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Chroniques Cinéma, Recommandé par IDDBD

Chronique d’été #6 | L’illusionniste (Sylvain Chomet)

A la fin des années 50, un vieil illusionniste tente de continuer son métier malgré les débuts tonitruants du rock’n’roll. Peu à peu, il se fait une raison, le music-hall disparaît. Alors, de Paris à Londres, il se retrouve bientôt au fin fond de l’Écosse. Dans un pub, il rencontre Alice, une jeune femme innocente en quête de liberté. Le début d’une nouvelle vie.

Pour son deuxième long métrage d’animation, Sylvain Chomet, ancien scénariste de Nicolas de Crécy notamment sur Léon la Came, adapte un scénario inédit de Jacques Tati. Scénario hautement polémique qui serait un exutoire à un épisode familial assez sombre de la vie du grand cinéaste. Je laisserai le débat aux spécialistes du réalisateur.

Pour ma part, il ne m’a fallu que quelques instants pour être pris dans cette histoire. Un grand bonhomme – Jacques Tati lui-même – nostalgique d’un paradis perdu, seul, quasi-mutique. On pourrait parler de misère et pourtant, l’atmosphère n’apparaît jamais pesante. Les décors sont beaux, changeant, tout comme la lumière qui varie tout au long du film. Ce film bénéficie effectivement d’une lumière très réussie. Entre celles du music-hall et de l’environnement écossais, il y a de la place pour un panel très large qui modifie complètement les sensations et les émotions exprimées.

Ce film est d’une rare tranquillité comparé aux grosses productions actuelles. Tout est calme pour le spectateur et pour le personnage-titre jusqu’au moment où cette jeune fille que personne ne comprend pas arrive dans la vie du vieux bonhomme. Elle est jeune et insouciante, un peu jolie. Un contact tout à fait particulier se créé entre ces deux personnages solitaires. Amour ou relation paternelle ? C’est là que la vie rejoint la fiction et que la polémique prend son envol. Je ne m’y attarderais pas plus. Côté film, je dirais que tout ceci est une affaire de destin. On aime à croire à cette histoire. Le réveil d’un vieil homme, l’épanouissement d’une jeune femme. Il y a beaucoup d’humanité et de tendresse, on reconnaît ici la marque de Jacques Tati.

Côté dessin, le studio de Sylvain Chomet s’affranchit un peu plus de l’influence de son ancien compère Nicolas de Crécy qui avait fortement marqué ses productions précédentes (Les Triplettes de Belleville mais aussi le court métrage La Vielle dame et les pigeons) en proposant une 2D très sobre. Entre nous, on fait pire que Nicolas de Crécy comme influence. Bref, j’ai apprécié ce côté un peu désuet et la grande qualité de la colorisation. Si pour les Triplettes, le graphisme foisonnant collait parfaitement à l’univers déjanté et baroque du récit, cette forme aurait dénaturé profondément le charme réaliste de ce scénario.

Pour conclure, L’Illusioniste porte le sceau du grand Jacques Tati dans ses parties les plus claires comme les plus sombres. Je n’ai pas lu le texte original, il me semble donc compliqué de juger l’adaptation. En revanche, le film d’animation en lui-même est d’une rare qualité qui saura vous emporter dans un tourbillon tranquille d’émotions et de sensations. Une fable, un épisode de vie, un passage de témoin. C’est quand même beau le cinéma.

La bande-annonce

L’Illusioniste
un film de Sylvain Chomet
(France-Ecosse, 2010, 1h20)

Chroniques Cinéma

Chronique d’été #5 | Goshu le violoncelliste (Takahata)

Goshu est un jeune violoncelliste inexpérimenté. Très timide, il est particulièrement maladroit et met à mal l’exécution de la 6e symphonie de Beethoven par son orchestre. Piquant une colère noire, le chef lui reproche son manque de concentration. Il doit faire des progrès rapidement. Goshu se retire alors dans sa petite maison au milieu de la campagne pour s’exercer. Tour à tour, les animaux viennent le visiter pour lui faire découvrir les aspects cachés de son travail et de sa propre personnalité.

Nous continuons nos chroniques d’été (rassurez-vous plus que trois), avec un petit film destiné au jeune public réalisé par Isao Takahata en 1981. Adapté d’une nouvelle du romancier Kenji Miyazawa, Goshu le violoncelliste est une fable champêtre à première vue plutôt anodine. Les enfants y verront une succession de situation plutôt drôle où des animaux apparaissent les uns après les autres (un chat, un coucou, un Tanuki, une souris) pour embêter ce pauvre Goshu dans ses répétitions. Mais le co-fondateur des studios Ghibli, réalisateur de Pompoko, de Mes Voisins les Yamada et surtout du fabuleux (et lacrymal) Tombeau des lucioles (1988), est un réalisateur qui aime, sous le couvert de l’humour, évoquer les choses importantes de la vie. Et ce film d’à peine 1 heure aborde des notions bien plus importantes qu’une simple farandole d’animaux. Même si l’animation a pris quelques années (j’avais 1 an à la sortie du film), la réalisation est particulièrement fluide et soignée. Elle devait même être novatrice pour l’époque. Je n’ai pas vraiment de souvenir de cette qualité pour des films de cette période… enfin, je ne suis pas vraiment une référence. Pour les décors, l’équipe d’Isao Takahata a produit au lavis et à l’aquarelle un lieu particulièrement enchanteur, voire magique.

Goshu est un personnage particulièrement intéressant. Timide, renfermé, solitaire, il est frappé de mutisme au contact des autres. Bref, il représente parfaitement l’adolescent avec ses terreurs, ses colères et surtout, ses blocages. Pour se retrouver, il n’a que cette cabane sobre au milieu d’une charmante campagne japonaise. Et pourtant, même les animaux, seuls véritables habitants de ces lieux (nous ne croiserons jamais d’humains), semblent encore le déranger. C’est donc, en forçant un peu les choses que chacun va lui apporter son aide : expression de sentiments aussi puissants que la colère ou la compassion, prise de conscience du rythme, du travail, de l’effort… Par des chemins détournés, ils rendent ce personnage meilleur, plus ouvert. Meilleur humain… et aussi meilleur musicien.

Avec ce film, Takahata répond à sa manière à une question importante de la vie d’un artiste : comment transcender la technique pour donner de l’âme à sa création ? Le réalisateur trouve une réponse à travers ce personnage adolescent à fleur de peau : ouverture aux autres, capacité à outrepasser ses propres barrières, ne pas avoir honte d’exprimer ses sentiments, se nourrir des sentiments des autres, être plus humain… La science du « lâcher-prise » et du don de soi. Une belle recette pour une belle morale. Ceux qui ont touché à l’artistique auront sans doute leur avis sur la question.

Pour terminer, je n’ai malheureusement pas eu la chance de voir ce film en version originale. Il semble qu’il n’existe pas de version française sous-titrée en DVD, ce qui est bien dommage. Sans être l’œuvre majeure du maître (voir Le Tombeau des Lucioles) et même si elle est destinée aux plus jeunes, il serait tout de même intéressant de découvrir cette œuvre dans sa version d’origine. Ô toi, éditeur de DVD, pense aussi au grand gamin qui a bien ri en voyant la petite bataille entre Goshu et le chat ! Merci.

La bande annonce (en VO)


Goshu le violoncelliste

Goshu le violoncelliste
un film d’Isao Takahata (Japon, 1981)
d’après la nouvelle de Kenji Miyazawa
Durée : 1h03mn

Chroniques Cinéma, Recommandé par IDDBD

Chronique d’été #3 | Le Tableau (Laguionie)

Il était une fois un tableau représentant une forêt et un château. Ce tableau était peuplé d’êtres de peinture : les Toupins, entièrement peint, les Pafinis auxquels ils manquaient des couleurs et enfin les Reufs qui étaient encore des esquisses. Les Toupins se sentant supérieurs méprisaient et maltraitaient les autres. Mais dans l’ombre, un toupin et une pafini tombèrent amoureux. Par un heureux hasard, un petit groupe parti à la rechercher le peintre pour qu’il termine son tableau et gomme ainsi les différences.

Après la grosse machine américaine et le savoir-faire japonais, nous continuons cet été consacré au cinéma d’animation avec une production signée Jean-François Laguionie. Dans le monde de l’animation, la production française est toujours un cas un peu à part. Produisant moins que les deux grands centres mondiaux que sont les Etats-Unis et le Japon, la France cultive une certaine exception dans la forme et le fond. Entre Michel Ocelot (Kirikou) ou Sylvain Chomet (Les Triplettes de Belleville) qui sont les portes drapeaux du genre, on saisit rapidement la différence d’approche. Jouant sur l’atmosphère, sur des techniques d’animation très différentes, voire désuètes parfois, sur des scénarios parfaitement écrits, l’animation française s’appuie également sur une grande tradition et sur une formation sûre. Reste des moyens beaucoup moins important d’où une production moins régulière. Du coup, dans les vagues américaines, le spectateur passe parfois à côté de très bons films. Et si Le Tableau a eu son petit succès d’estime, ce fut moins le cas côté spectateur. Heureusement, nous sommes là pour remettre un petit coup.

Car voir ce film, c’est se plonger dans un univers parallèle durant un petit plus d’1h. Comme toute bonne fable, nous échappons aux cadres strictes de la logique et de la science (des personnages de peintures qui traversent des tableaux) tout en restant ancré dans des thématiques de notre société humaine. En effet, nos héros font face à des réalités particulièrement parlantes et qui sont aussi les moteurs des grandes histoires : racisme, domination, révolte, guerres absurdes, amours contrariés, quête de soi, inspiration et bien sûr arts. Tout cela contenu dans un monde qui rappelle constamment les tableaux des grands peintres de la fin du XIXe et du début du XXe siècle. On pense notamment à Modigliani dont le peintre héros de cette histoire s’inspire profondément.

Techniquement, si le réalisateur a fait le choix du numérique, il s’applique à reproduire un décor en 2 dimensions. Il coupe les perspectives et appuie sur les traits comme il s’agissait d’un pinceau. Ainsi, contrairement à la plupart des films d’animations grands publics (on peut aussi parler de cette approche en BD), nous n’avons pas les couleurs et les textures parfaites. S’ajoute à cela quelques passages en prise de vue réelle dans l’atelier du peintre où les personnages évoluent. Là encore, le réalisateur créé un monde à part, différent du reste du film, un environnement mystérieux et surprenant alors qu’il s’agit d’une simple maisonnette.

Comme je l’expliquais plus haut, il faut prendre cette histoire comme un conte avec ses défauts et ses qualités. Certains pourraient critiquer l’aspect parfois un peu naïf des personnages. Je ne suis pas d’accord. Chacun à sa propre personnalité et parlera aux grands comme aux petits. Chacun y trouvera un plaisir différent. L’un avec les dessins, l’autre avec l’histoire d’amour, le suivant pour cette quête du créateur et les multiples visages de la création. L’univers est riche, l’animation aussi et l’histoire vous emportera. Une très belle réussite du réalisateur de Gwen et le Livre de sable, Le Château des singes et L’Île de Black Mór.

A découvrir : le site du film


Le Tableau
Réalisateur : Jean-François Laguionie
Scénario : Anik Le Ray
France, 2011, 1h16mn

Chroniques Cinéma, Recommandé par IDDBD

Chronique d’été #2 | Sword of the stranger (Ando)

Dans le japon féodal de l’ère Sengoku, alors que les provinces du royaume se déchirent dans d’incessants conflits militaires, Kotaro, un jeune orphelin est poursuivi par une troupe d’étranges soldats. Accompagné de son chien Tobimaru, il s’enfuit du temple où il a été accueilli puis est sauvé par Nanashi, un ronin solitaire. Le jeune garçon l’engage alors pour le protéger. Le reste est une affaire de destin, de rédemption… et de sabre.

Réalisé en 2007 par Masahiro Ando et produit par les studios Bones auquel nous devons entres autres la série Full Metal Alchemist ou le film Cowboy Bebop, Sword of the stranger s’inscrit dans la grande tradition du chanbara popularisé dans nos contrées par Akira Kurosawa. Le film de sabre est au cinéma asiatique ce que le western représente pour le cinéma américain et occidental, une sorte de mythologie moderne peuplée de héros fort, courageux et bien souvent solitaire.

Sword of the stranger n’échappe pas à cette règle. Nanashi – ce qui signifie sans nom – est bien le ronin solitaire attendu cherchant à cacher son passé. Quant à Kotaro, il remplit son rôle d’orphelin recherché pour d’obscures raisons plus ou moins justifié par la suite. Les rôles sont distribués, méchant compris, et tout se déroule comme prévu. Tout cela est bien classique et ne tire que vers un seul but : un duel final en apothéose entre les deux guerriers. Voie du sabre et code d’honneur, tel est le credo du chanbara.

Si Sword of the stranger est très classique dans sa construction, il nous propose cependant un scénario pour le moins original. Il sait inscrire son sujet dans la complexité politique du Japon de cette période. Dans les provinces, les Seigneurs locaux font la loi et négocient des alliances étranges, notamment avec des puissances étrangères comme la Chine, qui bouleversent l’équilibre et la paix du pays. Quand on connait les rapports géopolitiques entre les deux pays… Mais n’oublions pas non plus le personnage de Raru, super guerrier aux cheveux blonds et aux yeux bleu, chef de la milice, rival désigné de Nanashi, qui ajoute une pincée d’exotisme à cette histoire.

Mais la force de scénario est d’avoir créé un véritable lien entre Nanashi et Kotaro sous le couvert de combats sanglants particulièrement réussis sur le plan de l’animation et de la mise en scène (du grand spectacle !). Parfois, les rapports entre le faible et le fort sont plutôt à sens unique, artificiels. Ici, ce n’est pas vraiment le cas car les deux personnages principaux se complètent et s’animent l’un et l’autre. Deux personnages en détresse qui se trouvent par hasard. D’ailleurs, quand j’expliquais plus haut que le but du film est le duel ultime entre Raru et Nanashi je me trompais. En y réfléchissant, la scène principale se situe quelques minutes avant, lorsque Nanashi se libère de ses fantômes. Une scène d’à peine quelques secondes qui justifie tout le reste du film. Un simple geste, un mouvement émouvant et fort, à la fois quintessence du film de sabre et geste d’amour, de mort, de rédemption. Un sacré vrai moment de cinéma.

Je vais m’arrêter ici sous peine de trop en dire. Prenez juste le temps de voir ce film. Les amateurs du genre apprécieront, les autres pourraient bien être surpris. On en reparlera ensemble

A écoutez : la bande originale

La bande annonce évidemment


Sword Of The Stranger : Bande-Annonce par LeBlogDuCinema

Sword ot the Stranger
Réalisateur : Masahiro Ando
Scénario : Fumihiko Yakahama
Production : Studio Bones, 2007
Japon, 1h42mn

Chroniques BD

Chronique | Sailor Twain ou La Sirène dans l’Hudson (Mark Siegel)

Dans un bar, une jeune femme rencontre un marin. Ils évoquent ensemble le passé et la mort d’une personne. Qui ? Pourquoi ? Quand ? Le marin possède la vérité et décide de tout dévoiler à la simple vue d’un bijou. Quelques années plus tôt, Elijah Twain était le capitaine du Lorelei, un bateau vapeur américain naviguant sur le fleuve Hudson. Un jour, il découvrit une sirène blessé sur le pont. Le début d’une histoire fabuleuse et cruelle…

Nouveau et ancien continents

Mark Siegel est un américain qui a grandi France. Et visiblement, à la lecture de Sailor Twain, on peut légitimement se poser la question de l’impact de cette double culture sur son parcours. Après tout, il est l’un des éditeurs américains de Joann Sfar, Lewis Trondheim ou Emmanuel Guibert. Des auteurs phares de la Nouvelle BD européenne qui ont tous en commun d’avoir su à un moment de leur carrière se réapproprier les mythes et légendes populaires (aventuriers, monstres, saga de l’espace, bateaux volants…) pour nous offrir des œuvres originales. Sailor Twain dont l’action se déroule sur un bateau se nommant le Lorelei (cf la légende ici) assume complètement cette reprise des vieilles légendes. Quant au dessin, il suffit de voir le nez de Lafayette (un français évidemment) pour se rappeler d’Isaac le Pirate et y percevoir une légère filiation. Il faut reconnaître la très bonne qualité du dessin réalisé – il me semble – à la mine de plomb. L’ensemble traits des personnages, cadrages, décors est particulièrement réussi et convient bien à l’atmosphère recherchée.

Mais Mark Siegel ne se contente pas de s’appuyer sur ces références de la vieille Europe. Il y ajoute une part de nouveau monde avec ces grands fleuves et ces bateaux qui ont fait la légende de l’Amérique. Un simple vapeur et le lecteur se replonge immédiatement dans les romans de Mark Twain (non, non c’est un hasard…) et plus largement dans la littérature américaine du XIXe siècle. Une littérature – en tout cas pour les références à Twain – décrivant avec précision et dureté la société américaine de l’époque. D’ailleurs, Mark Siegel a mené un travail de recherche historique titanesque sur cette période.

De la passion aux mystères

Sailor Twain oscille donc constamment entre ces deux eaux (oui bon hein, il fallait que je la fasse) qui constituent le moteur du récit. Entre fantastique et réalisme, l’histoire romantique autour des 4 personnages développés par Mark Siegel est globalement une réussite. Et comme disait la chanson, les histoires d’amour finissent mal en général… surtout quand une sirène est dans le coin et que la passion outrepasse la raison. Mais comment ? Et Pourquoi ? Là est la question comme écrivait ce bon vieux Will Shakespeare qui en connaissait un rayon sur l’affaire. Sailor Twain et son personnage principal nous entraine donc dans une partie de chasse aux indices afin d’élucider les failles dans la normalité. Et c’est dans cet aspect que ce récit trouve toutes ses limites.

À force de s’appuyer sur des références – que je n’ai pas la prétention de toutes capter –  j’ai globalement eu l’impression de déjà-vu/lu/entendu. Même si Mark Siegel a le mérite de proposer quelques trouvailles intéressantes, le risque pour le lecteur est de sentir en filigrane cette broderie de mythes et de légendes. Danger qui n’est pour moi pas éviter. De plus, si les premiers et derniers chapitres sont réussis, on constate une belle descente de rythme au milieu de l’histoire. Elijah et le lecteur commencent à tourner en rond. Le héros cherche, cherche encore, se bat avec ses démons pendant plusieurs dizaines de planches tandis que le lecteur un peu attentif a bien senti les choses venir. Il a déjà 2 ou 3 temps d’avance et commence à regarder où il se trouve… Au milieu… Bon…

Finalement, les retournements de situation sont prévisibles et le lecteur les voit presque arriver avec un certaine forme de soulagement. Quelques planches de moins pour un livre qui en compte presque 400 n’auraient pas été un mal. Mais bon, ça fait moins roman graphique c’est sûr. Non, je ne dénonce pas du tout la course à l’échalote de « plus-mes-livres-sont-gros-plus-on-les-prend-au-sérieux ».Bref, Sailor Twain est une œuvre qui assume ses références et qui saura (et qui a su d’ailleurs) convaincre. C’est une histoire bien dessinée, bien pensé, bien propre… résultat un vrai travail d’orfèvre. Cependant,  il manque ce grain de folie, cette originalité qui est le moteur des grandes œuvres fantastiques. Finalement, rien de bien original dans ces planches même si Sailor Twain demeure une lecture tout à fait agréable… Mais pas inoubliable. L’histoire jugera ma chronique… (ça c’est une phrase qui a la classe pour terminer une chronique, non ?)

A lire : Ah, ça me manquait de n’être pas d’accord avec Mo’, je vous mets sa chronique... et puis celle de Paka, enthousiaste aussi. Je crois être un des seuls à être dubitatif sur ce livre !
A voir : la fiche album sur le site de Gallimard

Sailor Twain ou La Sirène de l’Hudson (one-shot)
Scénario et dessin : Mark Siegel (USA)
Editions : Gallimard, 2013 (25€)

Public : Ados-adultes, fan des mythes, des légendes… et de Tom Sawyer
Pour les bibliothécaires : Succès critique, je reste plus dubitatif sur la pérennité d’un tel livre dans un fonds. Pour moi, une étoile filante.

Chroniques BD

Chronique | Buzz-Moi (Aurita)

En 2006, une quasi-inconnue sort un petit bouquin qui va faire du bruit bien au-delà du petit monde parfois anonyme de la bande dessinée. Avec Fraise et Chocolat, premier et deuxième volume, la jeune Aurélia Aurita connaît alors les joies du buzz, les flots d’interviews et de sollicitations… Bref, les joies du fameux quart d’heure de gloire que les auteurs craignent et rêvent à la fois. En 2009, elle revient sur cette période dans un nouveau livre : Buzz-moi. Tout un programme.

Parle-moi d’amour

Pour bien comprendre la genèse de Buzz-moi, il faut un peu revenir sur l’épisode Fraise et Chocolat. Pour ceux qui s’en souviennent, ce livre a été une tempête à l’époque. Dans ces deux livres, Aurélia Aurita parlait de sa relation avec Frédéric Boilet, auteur, éditeur, penseur de la Nouvelle Manga en France. Bon, vous allez me dire sur un ton sarcastique  : chouette, un auteur qui nous raconte sa vie !

Cependant, Fraise et Chocolat aborde le rapport amoureux du point de vue sexuel. Attention, je n’ai pas dit pornographique. Même si les scènes sont osées, l’angle n’est pas voyeuriste. D’ailleurs, il vaut mieux lire un bon vieux Manara si vous voulez vous chauffer avec ce genre de bande dessinée. Le dessin d’Aurélia Aurita n’étant pas un modèle de belles proportions et de réalisme outrancier.

Non, cet album parle bien d’amour, de la relation de couple. Comme elle le rappelle elle-même dans Buzz-moi, Fraise et Chocolat est une histoire pour dire « je t’aime ». Surprenant de bout en bout, choquant pour les âmes prudes, il se distingue par son approche décomplexé et je dirais presque révolutionnaire en BD – en tout cas en BD européenne car des auteures japonaises de ladies comics comme Mari Okazaki ont déjà marqué leur époque. Le fait qu’il soit écrit par une jeune femme a renforcé encore le message. Depuis, elles sont quelque unes à avoir pris le relais. Sans même parler du renouveau de la BD érotique. Mais revenons à nos moutons.

Buzz-moi ou l’art de gérer…

Donc Buzz-moi parle de cette période un peu incroyable vécue par l’auteure.  Elle raconte sa relation à la presse écrite et télévisuelle, lance quelques anecdotes sympathiques mettant en lumière quelques personnalités célèbres, montre les pratiques douteuses de certains journalistes culturels (ou non). Bref, c’est la tempête médiatique et la folie afférente. Elle ne l’a pas cherché, pourtant elle la trouve.

On y retrouve les mêmes formules que dans ses précédents livres : une forme de recueil de souvenirs s’ajoutant les uns à la suite des autres. Dans ces saynètes successives, l’action passé est vécue et dessinée tandis que la « voix off » – la voix présente de l’auteure elle-même – commente avec un certain recul son propre vécu. D’un côté le dessin est simple, parfois naïf ou caricatural, de l’autre, l’écriture est fine, souvent drôle et acide, parfois ambigüe. On ressent chez Aurélia Aurita une vraie recherche de sincérité. Elle assume complètement sa subjectivité et sa sensibilité. En tout cas, si ce n’est pas le cas, elle est encore plus doué que je ne l’imaginais.

Bon, la limite de ce genre de récit reste toujours un peu le même. Buzz-moi présente sans aucun doute moins d’intérêt pour ceux qui n’auront pas vraiment adhérer au propos de Fraise ou Chocolat ou même de  Je ne verrais pas Okinawa, autre très bon album d’Aurélia Aurita. Car il présente tout de même une autre facette du monde de la bande dessinée et des médias. Cet album a l’avantage de donner des éléments de réflexion sur la notion de célébrité, de sa gestion, des milieux culturels, des médias. Cependant, avec toute la modestie de l’auteure, il reste au niveau de l’expérience personnelle. L’auteur ne nous livre pas un essai. Autant Fraise et Chocolat pouvait parler au plus grand nombre, autant celui-ci reste du domaine de l’anecdote. Il n’en reste cependant pas moins intéressant à découvrir, histoire de prolonger un peu l’aventure.

A lire : l’article de du9 sur Fraise et Chocolat
A découvrir : des extraits sur le site des Impressions Nouvelles
Souvenez-vous : le buzz, on connait aussi sur IDDBD

Buzz-moi (one shot)
Scénario et dessins : Aurélia Aurita
Éditions : Les Impressions Nouvelles, 2009 (15€)
Public : Adultes

Pour les bibliothécaires : un bon album, un peu anecdotique. A conseiller si vos lecteurs se sont arrachés Fraise et Chocolat.

 

L’interview d’Aurélia Aurita sur France Inter


France Inter – Aurelia Aurita par franceinter

Chroniques BD, Recommandé par IDDBD

Chronique | Les Noceurs (Brecht Evens)

Ce soir, Gert organise une soirée chez lui. Les invités arrivent, tous attendent la venue de Robbie. Robbie est LA star des nuits de la ville, LE type incontournable. Robbie fascine les foules, séduit les femmes et est copié par les hommes. Mais Robbie tarde à venir. Quant à Naomi, elle prépare sa soirée…

Fascination et témérité

Outre le fait d’avoir pu retrouver les amis de KBD à Angoulême cette année, la chose pour laquelle je n’ai pas regretté le déplacement a été sans aucun doute l’exposition consacrée à  La Boite à Gand et en particulier au travail de Brecht Evens (souvenez-vous), prix de l’audace en 2011 pour Les Noceurs. Comme je vous l’avais expliqué, j’ai été surpris par ces dessins constitués de couches successives s’empilant les uns sur les autres sans jamais se mélanger et formant pourtant un tout. J’ai été troublé par l’atmosphère spéciale émanant de cet univers. Finalement, je suis sorti complètement séduit graphiquement tout en me demandant si cette bande dessinée-là n’était pas finalement bien trop conceptuelle pour mon petit cerveau.

Bref, en terme diplomatique, j’avais juste un peu peur de m’ennuyer dans les mêmes proportions que lors d’une projection d’un film documentaire de 1933 de Dziga Vertov en russe sous-titré en anglais juste après le repas (c’est du vécu, si, si !). La qualité est là mais qu’est-ce qu’on… Bref, c’est dire si j’avais une certaine appréhension quant à l’entame de ce livre.

Sens du trait

Et bien non.

Je me suis retrouvé quelques mois plus tôt dans la salle d’exposition, retrouvant cette même fascination, cette sorte d’hypnose qui m’avait scotchée devant plusieurs tableaux. Même imprimé, le travail de Brecht Evens reste un moment d’étonnement presque enfantin. Coup de chapeau aux imprimeurs car la qualité de l’impression est indéniable. Son dessin, loin des canons académiques qui veulent que les personnages soient reconnus à leurs visages, est parfaitement adapté à l’atmosphère de son histoire. Des halos de couleurs qui forment des silhouettes, des traits pour en faire des visages humains et nous voici dans ce monde.

Car à l’image d’une œuvre comme Cages de Dave McKean, l’intérêt de cette œuvre n’est pas spécialement dans l’articulation habituelle scénario/dialogue/dessin. L’univers graphique développé par Brecht Evens au fil de ses pages est si présent, si fort de signification qu’il laisse des miettes à des dialogues dont on pourrait presque se passer. Dans les Noceurs, la place n’est pas donnée aux mots mais aux traits, parfois innombrables, parfois unique. Ils sont autant de sensations, autant d’expression du message. Car, même si l’auteur s’amuse à casser les codes habituels de la narration en bande dessinée – notamment par la multiplication de planches complètement déstructurées du point de vue de la lecture – l’album est pensé avec une grande justesse.

Carnaval de nuit

D’ailleurs, la couverture est à l’image de cet album, c’est à la fois un flot continu de perceptions contradictoires (malaise, sensualité, onirisme, perte de repères, excitation, folie…) et une progression constante vers un but. Brecht Evens ne raconte pas une histoire dans ce livre, il expose un monde. Un monde parallèle, nocturne, presque fantasmagorique, qui nous apparaît dans toute sa démesure et qui colle parfaitement au graphisme de l’auteur. D’un petit appartement où l’on attend en s’ennuyant, à la boite branchée, temple de la religion nocturne, on découvre le petit peuple des Noceurs, une société divisée en classe.

Le chef est Robbie le magnifique, nimbé de bleu, chef incarné, légende nourrit de mille anecdotes. A ses bottes, arrive la multitude, la cour cherchant la lumière auprès de leur Roi. Puis, les non-initiés symbolisés par la candide Naomi, jeune femme en rouge du petit peuple, découvrant ce monde. Et enfin, Gert, le loser, l’exclu aux traits verdâtres qui ne comprend rien, ni à lui-même, ni aux autres. Pourtant, il est l’ami intime du chef… Mais connaît-on vraiment les légendes ?

Au bout de l’histoire, on se pose la question de la signification de cet album. Y’a-t-il un message ? Sans aucun doute. Mais la grande force de cette « histoire-qui-n’en-est-pas-vraiment-une-ou-enfin-si-mais-non » est de laisser toute sa place aux lecteurs. Étrangement, il est facile de se glisser dans ces personnages silhouettes. Paradoxalement, ils ont beaucoup d’humanité. Finalement, le lecteur prendra la place qu’il souhaite dans cet espace, comme un jeu de rôle. Chacun aura une réponse, chacun sera marqué, car chacun a connu un jour où l’autre ce monde de la nuit où les normes et les valeurs changent… A Paris, Gand ou Tokyo, les Noceurs sont là… silhouettes dans la nuit.

A lire : les chroniques enthousiastes chez Mango et Littérature graphique
A lire (aussi) : la chronique moins enthousiaste de Legoff, compère de KBD
A voir : la fiche album sur le site d’Actes Sud

Les Noceurs (one-shot)
Scénario et dessins : Brecht Evens
Traduit du néerlandais par Vaidehi Nota & Boris Boublil
Editions : Actes Sud, 2010 (22€)

Public : Adulte
Pour les bibliothécaires : un auteur à moitié fou qui vous dézinguera votre rayon roman graphique. Indispensable !

Bibliothèques, Chroniques BD, Chroniques Cinéma, Mini-chronique

Mini-chronique | Le libraire de Belfast à la BPI

Amis parisiens, vous avez bien de la chance ! Jeudi 16 mai à 20h la BPI projette dans le cadre de son cycle sur l’imaginaire des villes, le très bon film documentaire Le libraire de Belfast de la réalisatrice Alessandra Celesia.

Ce film est bien plus qu’un portrait d’un vieux libraire nord-irlandais à la retraite. C’est celui de toute une communauté à la fois excentrique et terriblement touchante : un jeune rappeur à l’accent trop marqué, un punk dyslexique amateur d’opéra, une serveuse cherchant à percer dans la chanson…

Dans ce film choral, les sensations et les éléments s’enchainent et se contredisent. Alessandra Celesia filme une communauté d’exclue d’une modernité réservée à des privilégiés. A la place, solidarité, simplicité, écoute, vivre ensemble… Tous ces mots et toutes ses valeurs transparaissent durant 52 minutes.

Les valeurs, ce vieux libraire en a tant à transmettre alors il parle, de lui, de sa vie, de son plaisir charnel du contact avec le livre, de son esprit commercial qui ne l’a pas aidé à devenir riche. Sur son visage, le temps qui passe. Et en filigrane, avec l’écho des paroles de ses amis, la présence de cette ville, immuable et forte, pesante, avec son histoire furieuse.

Voilà, ce film c’est un peu ça et beaucoup d’autres choses. Si vous avez l’occasion de le voir, à la BPI ou dans les collections de n’importe quelle bonne bibliothèque, n’hésitez pas ! 50 minutes de très bon cinéma.

Plus d’info sur l’image ci-dessous et sur le site de la BPI.

 

Le libraire de Belfast
un film documentaire d’Alessandra Celesia
Production : Zeugma Films, 2012
54min, VOSTFR

A voir : la bande annonce sur le site de Zeugma Films

Chroniques BD

Chronique | City Hall (Guérin & Lapeyre)

Dans un Londres uchronique aux allures steampunk, comprenez le genre qui mélange fantasy et révolution industrielle, le ministre des finances est assassiné d’une façon bien étrange. Immédiatement, Carlton Lester, chef de la police, est sur place. Quand il découvre une feuille de papier accroché au cadavre, c’est la panique. En effet, dans ce monde, tout ce qui est écrit sur du papier prend vie… et il semble qu’un malfaiteur ait découvert ce secret. Aussitôt, le maire de Londres fait appel à deux jeunes auteurs de e-books, Jules Verne et Arthur Conan Doyle.

Manga + France

Manfra… mot-valise utilisé depuis 2006 pour évoquer le manga à la française ou, si vous préférez, la bande dessinée européenne à la japonaise. On a parlé également de manga-camembert. Terme un peu moins flatteur. Mais à cette époque, la bande dessinée japonaise était le diable envahisseur incarné, et donc encore assez minoritaire dans la création européenne… en tout cas pour le grand public. Évidemment, de nombreux cas démontrent le contraire : Frédéric Boilet pour son travail d’éditeur et de créateur (L’épinard de Yukiko…), Jean-David Morvan dont la série Sillage a clairement des influences japonaises, Vanyda avec son trait « asiatique »  notamment dans L’immeuble d’en face, et bien entendu le monument Moebius qui a joué le jeu de la collaboration avec Taniguchi pour Icare.

Progressivement, la nouvelle génération d’auteur a intégré un certain nombre de codes, surtout graphiques, de la bande dessinée japonaise. Il suffit de voir le succès en médiathèque de livres pratiques sur « Comment dessiner un manga » pour s’en persuader. Après tout, à force de lire des bandes dessinées japonaises, et pour certains adolescents presque exclusivement de la bande dessinée japonaise,  il fallait bien que ça arrive. Et dire que les années 2000 ont été le point d’orgue de la vague manga est un doux euphémisme. Nés en 1978 et 1979, Rémi Guérin et Guillaume Lapeyre sont de cette première génération à avoir connu les animes et autres « japoniaiseries » comme disaient leurs (et les nôtres aussi) parents.

Pour autant, City Hall est-il un manga ? Oui… presque. Cette série intègre les codes narratifs du shonen manga et plus particulièrement du type Nekketsu. Pour simplifier : amitié, pouvoirs magiques, lutte contre les forces du mal et en filigrane la recherche de l’image du père sont les éléments principaux de cette série.

Horripilant fan service

Graphiquement, même combat. Malgré des visages plus carrés, un souci du détail sans doute plus abouti (décors, vêtements, visages, combat parfois au détriment d’une certaine visibilité…), nous sommes clairement dans une construction et un découpage manga. D’ailleurs, j’ai même été désorienté par la lecture européenne… de gauche à droite.

On retrouvera même le fameux fan service qui permet le soupçon d’érotisme nécessaire pour accrocher les lecteurs à certaines pages. D’ailleurs je souhaiterai faire un petit aparté à ce sujet. Récemment, un débat a fait rage sur le sexisme de la communauté geek.  La bande dessinée est un élément important de cette culture populaire (avec le JDR, les jeux vidéos…). Sexisme ou pas, je me demande quand même en voyant les tenues légères des personnages féminins de City Hall quel est l’intérêt en terme de narration ? Certes, cette série n’arrive pas à la cheville de certaines de ses consœurs  mais peut-on m’expliquer pourquoi une femme d’action comme Amelia (la figure féminine principale du récit) a-t-elle besoin d’avoir un pantalon taille-basse moulant et d’un petit débardeur mettant en valeur des formes généreuses ? Est-ce que ça arrête les balles ? Pourquoi, l’autre personnage féminin (dont je ne dévoilerai pas l’identité ici) est-elle simplement habillée comme une super-héroïne marvel  ? Quand on compare les personnages masculins, habillés tous comme des bourgeois londoniens de la fin du 19e, on se demande vraiment l’intérêt. On me parlera de rupture au côté « pépère » des personnages masculins. Je reste sceptique.

Il faudrait peut-être prendre conscience de ce côté un peu malsain (sans jeux de mots) de l’évolution de la bande dessinée grand public. L’industrie du manga, au même titre que le comics ou certaines branches de la bande dessinée européenne (je ne vous ferais pas un dessin), n’est pas forcément un exemple à suivre sur ce sujet.

Spécificité du manga français ?

Tout cela est d’autant plus dommageable que les auteurs de City Hall, tout en s’inscrivant dans le genre manga, ont réussi à proposer un récit particulièrement original. Comme je suis un petit malin, vous avez remarqué mon « presque » tout à l’heure. Oui je suis machiavélique, je sais !

Ce « presque » est la nuance qui donne tout son caractère – et sa réussite – à cette série. Globalement, il me semble difficile pour un européen de faire un vrai manga tant le genre repose sur une histoire du média particulière et complexe. Mais l’inverse est vrai également. Les mangakas faisant évoluer leur récit dans un milieu européen n’arrivent pas forcément à intégrer l’environnement. Je pense par exemple à Monster qui se déroule en Allemagne.

En revanche, réussir à intégrer sa propre culture dans un genre différent pour créer une forme hybride est un travail intéressant. Avec City Hall, il me semble que cet objectif commence à être atteint. En prenant pour personnages principaux et secondaires des auteurs classiques de la littérature européenne (Jules Verne, Arthur Conan Doyle, Georges Orwell…), en insérant constamment des références aux grandes œuvres, en intégrant les codes du « polar », en jouant également sur le débat – et la peur inhérente – du développement de la lecture sur support numérique, bref, en prenant en compte leur héritage et leur environnement culturel, ils ont ainsi créé un « vrai » manfra, pas une pâle copie d’une énième série japonaise.

On pourrait développer le côté lecture numérique mais ma chronique est déjà bien trop longue. Comme quoi, il y a beaucoup à dire sur cette série. City Hall est passionnant à plus d’un titre. Tout d’abord par le scénario bien pensé de son premier cycle, ensuite pour ce côté hybride qui en fait une œuvre à part, enfin parce qu’il est peut-être la réponse à une édition manga qui s’essouffle. Je regrette simplement ce côté fan service sexiste qui ne sert jamais vraiment le récit. Mais City Hall est une très bonne série à découvrir !

A découvrir : le blog officiel

City Hall (3 volumes, série en cours)
Scénario : Rémi Guérin
Dessins : Guillaume Lapeyre
Editions : Ankama, 2012 (7,95€)

Public : Ados
Pour les bibliothécaires : enfin, un manga français qui tient la route !

Chroniques BD, Recommandé par IDDBD

Chronique | Le Nao de Brown (Glyn Dillon)

Nao Brown travaille à temps partiel dans un magasin de jouets design pour les grands (des arts toys). Nao Brown est métisse, anglaise par sa mère, japonaise par son père. Ce dernier est retourné dans son pays depuis quelques temps déjà. Nao Brown est également illustratrice même si les temps sont durs. Nao Brown recherche l’amour. Nao Brown recherche surtout la paix car, sous ses airs sympathiques et un peu bohème, elle a un TOC caché… Violemment caché. Et le Nao de Brown dans tout ça ? C’est un portrait tout en finesse d’une quête d’identité.

The English Touch

Il faut se rendre à l’évidence, la bande dessinée anglaise possède un don pour nous sortir des pépites, de véritables auteurs OVNIS capables de nous produire des œuvres aussi surprenantes qu’admirables. Plus que des scénaristes de la trempe d’Alan Moore ou de Neil Gaiman, on pense immédiatement à une créatrice comme Posy Simmonds (Gemma Bovary, Tamara Drew…) qui a su faire entrer en contact la littérature classique et la bande dessinée. Comme son ainée, Glyn Dillon – qui est au passage le frère du non moins talentueux Steve Dillon – parle de ses contemporains avec un humour très anglais, fait d’auto-dérision, de bons mots, de situations cocasses et de beaucoup de subtilité. Auto-dérision, subtilité, humour, sensibilité caractérisent parfaitement le travail du cadet des frères Dillon sur Le Nao de Brown.

Le charme d’une héroïne

Ces mots définissent tout autant le personnage principal que le récit lui-même. De toute manière, il est très difficile de séparer les deux car, excepté durant le conte philosophique d’Abraxas, Nao est présente sur l’ensemble des planches. Et j’avoue que ce n’est pas pour nous déplaire car ce personnage présente toutes les caractéristiques d’une parfaite héroïne. La réussite la plus éclatante est graphique. Belle au naturel, touchante en pleurs, lumineuse souriante, terrifiante dans ses moments les plus violents, Nao est vivante sur le papier. Elle est simplement charmante. Cela tient bien entendu au merveilleux travail de dessinateur de l’auteur. Et ce qui est valable pour son héroïne l’est tout autant pour l’ensemble de son œuvre. Le travail d’aquarelliste est simplement époustouflant de la première à la dernière planche. L’univers graphique est à la fois très réaliste dans son trait et ponctué par une composition de planche très structuré, très complexe, qui donne véritablement un rythme au récit. Dillon joue sur les changements de couleurs. Les ambiances se transforment d’une case à l’autre… surtout au moment des fameuses crises.

Cercle complexe

Car cette belle jeune femme cache un lourd secret : un TOC. Nao n’est pas affublé de petits gestes psychotiques répétés à l’infini mais de véritables troubles de la conscience qui la pousse à s’imaginer faire des actes hyper-violents aux personnes qu’elles croisent. Oui, sous des airs de calme et de sérénité, Nao Brown est possiblement une psychopathe… Évidemment, cela a un impact sur son comportement et le rapport qu’elle entretient avec les autres… et surtout les hommes. Ainsi, dans cette quête initiatique vers soi-même, le lecteur suit le parcours, les rencontres, les aléas de la vie de cette jeune femme qui n’est pas tout à fait ce qu’elle semble être.

Pas passionnant me dites-vous ? A première vue peut-être. Seulement, Glyn Dillon ne se contente pas de cela. En effet, il introduit dans son récit un certain nombre d’éléments – comme le cercle par exemple qui est présent deux fois dans le nom même du personnage principal –  mélangeant métaphore, spiritualité, réflexions sur l’art, la création ou la philosophie. Ces éléments, un nombre importants de petits détails visibles ou subtils, font l’essence même de cette histoire singulière, la structure et aide le lecteur à se passionner pour ce très long récit parfois exigeant. Ils peuvent dérouter – et à la lecture de certaines critiques ce fut le cas – mais sont pour moi tout l’intérêt de ce livre.

Parfois complexe, tout comme peuvent l’être les récits de Posy Simmonds, le Nao de Brown fait partie de cette famille de livres dont la richesse permet de le redécouvrir à chaque lecture. De quoi nous donner envie de déménager pour Londres, histoire de croiser Nao dans une rue ou un pub, histoire de discuter avec elle, de comprendre un peu mieux les liens complexes qui font l’existence. Très beau.

Un livre qui a reçu le prix du jury au FIBD d’Angoulême 2013. Je souligne également le très bon travail d’édition d’Akileos qui mérite amplement ce prix pour fêter ses 10 ans.

A lire : la chronique de Lunch et Mo’

 

Le Nao de Brown (one-shot)
Dessins et scenario : Glyn Dillon (Grande-Bretagne)
Edition : Akileos, 2012 (25€)
Edition originale : SelfMadeHero, 2012

Public : Adulte, amateur de roman graphique
Pour les bibliothécaires : Ah ! Voici l’exemple même de livres compliqués à faire sortir. A acheter si vous avez un public bédéphile exigeant. Sinon… le dessin aidera beaucoup !

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