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Mini-Chroniques | Bon vieux temps, dernière oeuvre, mangakas et bonhomme michelin…

Bonjour iddbdiens, iddbdéiennes. En ce moment, j’avoue être complètement à la ramasse sur l’écriture hebdomadaire de chroniques. J’ai des excuses faut dire… dont un projet professionnel dont je vous reparlerais dans quelques temps et qui impliquera sans doute le blog lui-même. Mais pour tout vous avouer, dans l’état actuel de mon cerveau, j’ai la pertinence de Suzy, 12 ans, dans l’approche critique de mes lectures et le niveau de Harold, 8 ans, dans ma rédaction de chronique. J’évite donc de me lancer dans de grande approche métaphysique et vous propose donc un billet de mini-chroniques, que dis-je, de micro-chroniques mêmes avec une approche simple mais efficace : Une partie = une chronique. Attention ça déchire… ou pas.

Petite histoire des colonies françaises (Otto T. & Grégory Jarry)

Faisant incontestablement partie des auteurs récurrents des chroniques d’IDDBD, nous sommes toujours heureux de vous présenter des œuvres d’Otto T. et Grégory Jarry (et non Alfred bougre de clavier qui tape sans réfléchir…). Le premier volume de cette série en 5 tomes date de 2006 et a fait découvrir ces deux auteurs au grand public, surtout lors d’une exposition qui lui fut consacré à Angoulême en 2012 et qui tourne toujours en France dans les médiathèques et autres centres culturels de bon goût. Plutôt habitués aux one-shot ou série très courte, voilà nos deux trublions de FLBLB qui se lance dans l’histoire ô combien révélatrice de l’Empire. Mais pas n’importe lequel. Celui de la France, le fameux pays des droits de l’homme et tout et tout…

Comme à leur habitude (cf les détails dans nos différentes chroniques de Petite histoire du grand Texas, La conquête de Mars ou Village Toxique), ils jouent constamment sur le décalage entre le dessin très stylisé d’Otto T. et le récit au ton d’universitaire en pleine gloire intellectuelle de Grégory Jarry. Résultat, il découpe avec gentillesse mais acidité les petites réalités de l’histoire de notre beau pays et de nous rappeler avec une certaine énergie les vertus positives de la colonisation (comme disait l’autre).

Si on peut reprocher un manque de renouvellement de la formule, on doit admettre qu’elle reste encore d’une grande efficacité. C’est drôle, décalé en plus d’être instructif car très bien documenté. A n’en pas douter, les cours d’histoire seraient moins rébarbatifs en compagnie de ces deux auteurs.

Une série qui fera bientôt l’objet d’une synthèse sur KBD.

Le vent se lève (Hayao Miyazaki)

J’avais prévu de faire une grande chronique pour évoquer l’ultime film du maître de l’animation japonaise. Une forme d’hommage. Mais le résultat elle était aussi pénible à écrire qu’à lire, trop de superlatifs.

Alors bon, à défaut de faire une vraie critique, je la fais courte. Ce que je pense de ce film ? Oui, assurément, Hayao Miyazaki est le plus grand. Et les plus grands savent se renouveler tout en maintenant leur propre univers. Ici, il signe un film d’un réalisme troublant, complètement ancrée dans l’histoire de son pays. Surprenant pour un homme qui a érigé son œuvre sur le fantastique. Mais le rêve n’est jamais très éloigné. Ce rêve, son héros va le poursuivre, malgré tout, au dépens des autres. Pour sa dernière œuvre, le créateur des studios Ghibli ouvre et ferme en même temps une parenthèse artistique riche et profonde. Sorte de testament artistique non avoué, Le Vent se lève n’a rien à envier dans sa mise en scène, dans ses dialogues, dans ses cadrages ou dans la profondeur de ses personnages au plus grandes œuvres des plus grands réalisateurs du 7e art… Qu’ajouter ?

Encore des superlatifs… et juste un merci.

Bakuman T16 et T17 (Obha & Obata)

Sans transition, souvenez-vous de notre chronique des premiers volumes de Bakuman. Le temps passe et je dois avouer que je suis toujours assez fan de ce shonen sur les coulisses de la création de manga. Après avoir dépassé la surprise et la découverte, la série a trouvé son rythme, ses personnages et gags récurrents. Un peu trop bavarde sur ces derniers volumes, on sent qu’il est maintenant le temps de conclure avec un ultime défi. La série, comme souvent avec ce genre de manga, commence lentement à s’essouffler. Heureusement, la série est terminée au Japon en 20 volumes. Suffisant pour terminer l’histoire en beauté.

Mais la question ultime reste en suspens, nos deux jeunes héros vont-ils réussir à atteindre leur rêve ? Devenir les n°1 et voir leur manga être adapté en série TV ? Nous avons bien une idée de la réponse mais… Bref, on attend avec impatience la fin.

Le Bibendum céleste (Nicolas de Crécy)

Option patrimoniale pour cette dernière micro-chronique d’une série phare de la Nouvelle BD. The chef d’œuvre de Nicolas de Crécy m’est retombé dans les mains il y a peu. Je ne me souvenais plus de cette ambiance si particulière et ce fut de nouveau un choc pour ce retour à New-York-sur-Loire.

Le Bibendum céleste nous plonge dans la folie pure des aventures d’un jeune phoque devenant la coqueluche innocente des hautes autorités pédagogico-culturelles de la ville. Un grand n’importe quoi où un mini-diable en salopette cherche à mener la danse sans pour autant être sûr qu’il tient la corde. Une histoire de fou pour les fous par un auteur au talent énorme qui a bien plus qu’inspiré Sylvain Chomet pour Les Triplettes de Belleville.

Je ne vous cacherais pas qu’il faut mieux être reposé pour apprécier à sa pleine mesure cette orgie graphique et narrative. Mais comme je l’écrivais à l’époque pour Journal d’un fantôme, Nicolas de Crécy est un auteur exigeant avec ses lecteurs. Bref, un livre monstrueux où l’absurde et la poésie est une norme artistique.

20 ans et pas une ride… à redécouvrir avec un plaisir de fin gourmet.

Chroniques BD, Recommandé par IDDBD

Chronique | Vie de Mizuki (Shigeru Mizuki)

A plus de 80 ans et après une vie artistique particulièrement bien remplie, Shigeru Mizuki décide de se pencher sur sa vie. Pour cela, il utilise sa plume et le dessin si particulier qui ont su séduire des milliers de lecteurs à travers le monde. Une autobiographie fleuve…

Les contes du vieux sage

Nous nous sommes longtemps regardés. Lui, tranquillement installé sur mon étagère, patientant doucement. Il me laissait m’approcher et prendre les livres d’à côté avec sagesse, sans jalousie. Sûr de sa force et du contenu de ses pages, il savait que son heure viendrait. De mon côté, j’apercevais cette grosse masse jaune au milieu des couleurs éparses de ma bibliothèque. Je l’évitais sans trop savoir pourquoi. Étais-ce la peur d’entamer un long chemin de croix ? Je m’étais déjà brulé avec l’indigeste biographie dégoulinante d’adoration de Tezuka produite par ses studios après sa mort. J’avais peur d’un long déballage de grandeur et de réussite…  Et puis, un matin naturellement, j’ai tourné la première page. Ingrat, c’est le mot. J’étais un ingrat incapable de faire confiance à un vieux sage. Comment oublier ces bons moments passés au milieu de l’imaginaire japonais, des tribulations d’une vieille femme, des aventures d’un petit héros mort-vivant ou dans les absurdités d’une guerre ? Dès les premiers instants, Shigeru Mizuki nous fait partager ses souvenirs personnels. Bienvenus dans le Japon d’avant-guerre, dans une famille moyenne japonaise dont la vie n’est pas toujours simple dans ce climat de nationalisme exacerbé. Le père est un insouciant un peu naïf qui va vite devoir quitter la maison pour nourrir ses 3 fils (Shigeru est le second) et sa femme. Rien de bien extraordinaire sinon cette incroyable simplicité dans le ton qui, sans en avoir, l’air nous décrit peu à peu un la société nippone et nous prouve tout le talent de conteur du mangaka.

Figure de l’anti-héros

Artiste dans l’âme sans pour autant trouve sa voie, l’auteur est loin de se présenter comme un super-héros du manga. Humilité toute japonaise ? Sans doute. D’ailleurs, il insiste sur ses plus mauvais côtés. Petit garçon puis jeune homme original, Shigeru est paresseux, gourmand, plonge ses parents dans un désert de perplexité et provoque parfois l’agacement chez ses lecteurs. Ce qui frappe avant tout c’est la dualité entre l’auteur et le personnage de son récit. Du haut de ses 80 ans, le mangaka fait preuve d’un recul impressionnant. Il est en effet capable d’une vraie férocité vis-à-vis de lui-même, de sa famille et de son pays. Son personnage est perpétuellement détaché de la réalité, son insouciance est chronique. Très tôt, il est bercé par les histoires et les croyances de cette vieille domestique dont il fera plus tard l’héroïne d’un de ses plus grands livres. Son imaginaire est son œuvre à venir sont déjà bien présent.

Loin du manga

Mais cette faculté à se couper du réel ne lui évite pas de participer à la guerre du Pacifique. Alternant phases de souvenirs personnels avec son graphisme rond habituel et longues explications historiques par un dessin ultra-réaliste, Shigeru Mizuki dresse avec virulence le tableau d’une époque où boucherie, humiliations; aveuglement sont les maîtres-mots. Une période qui lui inspire quelques œuvres dont Opération Mort (prix du patrimoine à Angoulême en 2011). Sans en avoir l’air, il engage son statut d’auteur dans une critique politique et sociale puissante de vérité. D’ailleurs, comme un fil rouge entre le passé et le présent, on retrouve les figures réelles ou imaginaires qui hantent sa carrière de mangaka. Parfois, narratrices, protagonistes ou simples détails, elles sont déjà présentes dans l’esprit de ce petit garçon passant au fil des pages de jeune adulte inconscient à dessinateur-vétéran de guerre. C’est bien beau mais… et le manga dans tout ça ? Secondaire, anecdotique même durant les deux premiers volumes de cette autobiographie. Mizuki prend ses lecteurs à contrepied. On aurait pu imaginer une belle histoire du manga alternatif. Mais non. Si comme beaucoup d’enfants de son milieu, Shigeru lit les mangas d’avant-guerre (Norakuro notamment), il n’y pas grand choses de plus hormis quelques références (notamment à Katsuchi Nagai, créateur de la revue Garô). En fait, même s’il dessine beaucoup, le manga ne semble pas encore faire partie de sa vie. Revenu de la guerre, Mizuki devient d’ailleurs dessinateur de kamishibaï, un job difficile et mal payé. Quand cette pratique tombe en désuétude dans le milieu des années 50, Mizuki se rabat sur le moyen d’expression populaire qui explose… le manga. Le succès ? Évidemment… mais ce sera à lire dans le tome 3 (à paraitre). Durant les 1000 premières pages de cette œuvre monumentale, Shigeru Mizuki ne livre pas un testament spirituel ou artistique, mais en tant qu’auteur, livre sa vision de l’histoire japonaise. Avec toujours ce détachement qui semble être une part profonde de sa personnalité, il joue avec son propre personnage tout en donnant un  point de vue souvent acide. Une œuvre riche qui fait de l’autobiographie un outil de compréhension du monde et non un genre nombriliste. Vie de Mizuki rejoint ainsi Une vie dans les marges de Yoshihiro Tatsumi au rang des livres incontournables. Deux grands auteurs pour mieux comprendre le manga… et le Japon.

Vie de Mizuki (2/3 volumes parus) Scénario et dessins : Shigeru Mizuki Editions : Cornélius, 2012 (33,50€) Public : Adulte Pour les bibliothécaires : Incontournable si vous êtes capable de mettre 100€ pour 3 albums. Ce qui constitue la seule limite à  l’achat de cette série. Je comprends bien la volonté de faire des beaux livres, la lecture est particulièrement agréable. Mais 35€ le volume pour une œuvre qui, pour moi, est incontournable en bibliothèque publique, c’est dur ! Tant pis pour les pauvres ou ceux qui n’ont pas de grosses bibliothèques à portée.

Chroniques BD, Recommandé par IDDBD

Chronique | Knights of Sidonia (Tsutomu Nihei)

An 3394 de l’ère commune, le dernier contact du Sidonia avec un autre vaisseau humain date de plus de 700 ans. Voici plus d’un millénaire que ce vaisseau-monde ère dans l’espace. 1000 ans que la Terre a été détruite par les Gaunas, une race d’extraterrestres avec laquelle les terriens n’ont jamais pu entrer en contact. Et même si aucune attaque n’a été répertoriée depuis longtemps, ces êtres restent encore une menace pour le vaisseau et l’existence même de l’humanité. Seuls les pilotes des sentinelles armés d’Aristats peuvent combattre ces envahisseurs. L’histoire débute quand Nagate Tanikaze, un jeune homme sorti des tréfonds de la colonie, est capturé après un vol de riz. Ayant vécu ses premières années isolé du reste de Sidonia, il découvre peu à peu ce monde. Mais qui est-il vraiment ? Pourquoi lui confie-ton immédiatement un ancien modèle de Sentinelle ? Quel est son rôle dans l’avenir de Sidonia ? Toute saga a son héros.
Nihei pour les nuls

« En a-vant combatant de la lumièèèèè-re, notre vie vous l’avez entr-e vos… » Euh… Désolé. En relisant Knights of Sidonia j’ai immédiatement eu un petit coup de revival version Robotech. Ah, Robotech ! THE anime avec des pilotes d’avions-robots combattants des extraterrestres ! Ça ne date pas d’hier certes mais les mechas est un peu au manga ce que le jeu de mot est à Astérix, une base incontournable. Celui qui n’a pas lu ne serait-ce que quelques pages ou vu quelques séries de ce genre, ne peut pas affirmer sans rougir connaître la bande dessinée ou l’animation japonaise.

Pourtant, j’ai été surpris de voir Tsutomu Nihei se lancer dans une longue série (déjà 11 volumes au japon) de ce style. Tellement surpris que je suis même allé vérifier si mon cerveau ne me jouait pas des tours. Tsutomu Nihei, auteur du mythique Blame ou du court Abara… C’était bien lui. Un auteur dont l’univers pourrait aisément se qualifier de SF punk apocalyptique. Un univers toujours particulier qui fait appel aux angoisses, aux songes, se basant souvent sur des métaphores plus complexes. Bref, dans mon monde de lecteur, Nihei est un chaînon entre la BD grand public et indépendante, un créateur exigeant demandant des efforts à son lecteur. Il m’a d’ailleurs bien souvent laissé à la porte.

Un Gauna sous une forme humanoïde
Ultra-monde et… litchi

C’est vous dire si j’avais quelques appréhensions à l’entame de ma lecture de cette saga spatiale. Mais très vite, j’étais rassuré par un départ plutôt classique : un vaisseau perdu, une menace qui plane, un jeune héros… Tout commençait bien même si le trait des visages et la multiplication des personnages rendaient parfois la lecture un peu complexe. C’est du Nihei me disais-je, un petit effort. Nous découvrons donc Sidonia en même temps que notre héros. Un monde vaste, riche et surprenant, ponctué d’humains androgynes, de clones et de manipulation génétique. Durant mille ans, la technologie humaine a bien évolué. Mais son monde, recréé de toute pièce dans le ventre de Sidonia (avec même un véritable monde marin, c’est vous dire la taille du vaisseau), est encore assez proche de la Terre des origines. D’ailleurs, l’auteur nous gratifie entre les chapitres de quelques Vues de Sidonia montrant ainsi toute la diversité de ce monde.

Ballade dans le monde marin

Très vite, l’histoire ne tarde pas à se mettre en route. Une action forte, teintée de peur et je dirais même d’horreur car ces fameux gaunas sont monstrueux et mortels aussi bien sur le plan scénaristique que graphique. Là encore c’est une marque de fabrique de Tsutomu Nihei qui nous a toujours habitués à des monstres aux traits très percutant. Comment vous les décrire d’ailleurs ? Euh… c’est ridicule mais bon. Grosso-modo, le gauna, structurellement parlant, c’est un peu un litchi. Le gros noyau à l’intérieur est le corps, la partie vulnérable. Ce dernier est protégé par l’Amnios, une matière blanchâtre quasiment indestructible qui l’entoure et prend n’importe quelle forme. Et quand je dis n’importe laquelle… Bref, je vous laisse la surprise mais je peux vous affirmer qu’il ne vous viendrait pas à l’idée de traiter un gauna de litchi si vous en croisez un dans la rue… Mais je m’égare.

Une sentinelle ? Vraiment ?
Le diable est dans les détails

Partant de ce principe de départ, l’auteur ponctue donc son récit de combat épique avec ces êtres venus d’ailleurs. Sans surprise, Nagate répond aux attentes placées en lui par la mystérieuse Amiral de Sidonia. Mais Knights of Sidonia n’est pas qu’une suite très classique de combats et de lasers dans l’espace. S’ils font partie du décor, les scènes à l’intérieur de Sidonia ont une importance croissante. Ceux qui ont déjà lu Tsutomu Nihei savent qu’il ne peut se contenter d’une ligne droite dans son scénario, ou du moins pas sous cette forme. Au fur et à mesure de la lecture, l’histoire gagne en effet en épaisseur et ce qui apparaissait jadis comme une partie du décor devient peu à peu un élément important d’une intrigue qui dépasse plus largement la guerre contre les Gaunas. Quant à Nagate, son attirance-répulsion pour ces extraterrestres interroge sur la nature même de ces derniers… Bref, nous entrons donc dans une sorte de jeu de guerre, jeu politique, thriller qui rend l’ensemble à la fois plus complexe et plus passionnant.

Le clonage c’est fantastique

Si Knights of Sidonia représente sans aucun doute l’une des portes les plus simples pour accéder à l’œuvre d’un auteur à l’univers très riche, elle n’en demeure pas moins une série fascinante. Comme toute bonne œuvre de SF, elle ouvre la voie vers de nombreux sujets (clonage, science, dialogue entre les peuples, ambition politique…). On s’attache à ce héros naïf et au destin de cette colonie futuriste, dernier bastion connu de l’humanité. Bref, un manga dans la plus pure tradition mais qui n’en reste pas moins passionnant… A recommander !

Knights of Sidonia (6 volumes parus, série en cours au japon)
Scénario et dessins : Tsutomu Nihei
Editions Glénat, 2013

Public : Ados-Adultes
Pour les bibliothécaires : une série qui a déjà dépassé les 10 volumes au Japon. Mais l’auteur n’est pas un habitué des séries à rallonge. A mon avis série importante dans ce genre.

Chroniques BD

Prophecy (Tetsuya Tsutsui)

Au Japon, la jeune et séduisante lieutenant Yoshino est à la tête d’une brigade de police spécialisée dans la cybercriminalité. Un jour, son équipe remarque une vidéo postée sur Youtube par dénommé Paperboy. Il y annonce des punitions à l’encontre de personnes amorales, toutes ont un point commun, leur histoire a fait le buzz sur internet. Après avoir pris les menaces de Paperboy avec légèreté, le lieutenant Yoshino comprend qu’il n’est pas qu’un simple excentrique derrière son écran.

Freeters mon héros

Freeters. Drôle de terme, non ? Ce mot venant de l’anglais « free time » (temps libre) et de l’allemand « frei arbeiter » (travailleur libre) désigne les jeunes travailleurs japonais cumulant les petits boulots et les situations précaires. Apparu à la fin des années 80, il évoque plus largement cette frange de la population japonaise qui, volontairement ou involontairement, s’est retrouvé exclue du fameux modèle nippon. Je vous invite à découvrir le très bon documentaire Tokyo Freeters de Marc Petitjean sur ce sujet. Dans ce film, nous découvrons les conditions de vie de ces jeunes. Exploités dans des petits boulots journaliers, souvent considérés comme des parasites, parfois sans domicile, ils hantent ces cybercafés où l’on peut, pour quelques heures, dormir, manger voire prendre une douche… Des endroits qui sont au cœur de l’intrigue des 3 volumes de Prophecy.

Extrait de Tokyo Freeters de Marc Petitjean

Car, au-delà des questions habituelles des thrillers sur l’identité ou le mobile du criminel, c’est surtout l’approche sociétale de Tetsuya Tsutsui qui présente ici un véritable intérêt. Un peu comme d’habitude serions-nous tentés de dire avec cet auteur. Outre les freeters – véritable objet de débats  au Japon – on retrouve dans cette œuvre ses thèmes habituels comme Internet, les technologies de la communication, la violence du système. Si ses personnages restent toujours des exclus prenant la place d’une société incapable de réparer ses erreurs, Tetsuya Tsutsui va cette fois-ci plus loin en dénonçant les dérives de ce monde de la communication. Grosso-modo, il met l’internaute, et souvent ses propres lecteurs car il est lui-même issu du monde du web, face à ses propres contradictions. Vous savez, le fameux web 2.0 qui, derrière les écrans et l’anonymat qu’ils procurent, balance en pâture les plus faibles, les plus maladroits et transforme les moutons en loups. Ainsi, Paperboy, son héros qui porte à la fois le titre de livreur de journaux (boulot de freeter par excellence) et du célèbre héros d’un jeu vidéo éponyme, joue avec eux, avec la rapidité de leur réaction et en profite aussi pour mettre en place un plan qui dépasse l’imagination des policiers qui le poursuivent.

Cependant, même si le scénario est plutôt bien construit, distillant peu à peu des informations, il n’en reste pas moins des plus classiques avec des forces de l’ordre qui ont toujours un coup ou deux de retard. Et c’est là que l’auteur déçoit le plus. Lui qui fut loué pour son indépendance et ses productions souvent décalées et sans concessions (cf Reset ou Duds Hunt), propose ici une histoire certes efficace mais intégrée dans un schéma trop bien établi. Il choque tout en restant politiquement correct, jouant parfois sur des clichés bien éculés (ah le fameux politicard gras et profiteur). Bref, malgré un sujet des plus pertinents, la prise de risque est minimum. Est-ce lié à l’entrée de l’auteur dans le sérail des grandes maisons d’éditions japonaises ? Je suis bien incapable de vous répondre. Cependant, au vu de l’historique de l’auteur, on pouvait s’attendre à mieux. Ici, on a juste une œuvre intéressante mais pas vraiment inoubliable.

Prophecy (3 volumes, série terminée)
Dessins et scénario : Tetsuya Tsutsui
Editions : Ki-oon, 2013

Public : ados, adultes
Pour les bibliothécaires : Pas génial mais l’avantage d’être une série courte et efficace

Chroniques BD, Recommandé par IDDBD

Chronique | Mon ami Dahmer (Derf Backderf)

Dans les années 70, le jeune Derf Backderf est un collégien de la petite ville de Richmond, dans l’Ohio. Progressivement, il se fait des amis tout en fantasmant sur les filles et son avenir, qu’il imagine loin de sa ville. Dans cette vie d’ado américain moyen, il fait la connaissance d’un étrange garçon solitaire au comportement étrange : Jeffrey Dahmer. Très rapidement, il en fait la mascotte un peu trash des folies son groupe d’ami sans savoir que, des années plus tard, Jeff deviendra « le cannibale de Milwaukee », l’un des pires serial-killers de l’histoire des Etats-Unis. Chronique de la naissance d’un monstre.

Du mythe au réel

Dans la droite lignée du très fameux From Hell d’Alan Moore dont il s’inspire, Derf Backderf se jette dans les méandres de la pensée d’un tueur en série. Mais contrairement au grand scénariste anglais, l’auteur américain a partagé une partie de la vie de son sujet. Cette différence est fondamentale dans l’approche des deux auteurs. Jack l’éventreur, au même titre que le Père Fouettard est un mythe sans identité et sans corps apparent. Jeffrey Dahmer était un personnage bien réel, tout en chair, en malaise et en frustration. Quand Alan Moore tente d’expliquer les meurtres, Derf Backderf s’évertue à raconter la préhistoire de ce tueur. Il s’arrête quand tout bascule.

Mon ami Dahmer a connu une première version auto-éditée de 24 planches en 2002. Des années plus tard, frustré par cet album qu’il jugeait très moyen, l’auteur se remet à l’ouvrage, accumule les recherches et les témoignages.Tout y passe : la vie de Dahmer, ses interviews, ses parents, Richmond, le collège, les connaissances, les profs… La somme d’information dont on retrouve une partie en fin d’album sous la forme de notes est considérable. Le travail documentaire effectué, Derf Backderf pouvait se remettre au travail.

Ouvrir les yeux

Il avait enfin les éléments pour tenter de répondre à une question simple mais terrifiante : comment un jeune ado timide et décalé peut-il devenir un violent tueur en série ? Plus de 200 pages comprenant planches et notes tentent d’y répondre dans un graphisme niant toute forme de réalisme et qui, dans des nuances de gris, joue sur l’expressivité – voire la non-expressivité – des personnages. Ainsi, à l’image de la couverture, Jeffrey Dahmer apparaît comme un être déjà coupé du monde. Il est une statue inexpressive, figée pour mieux se déstructurer à la première occasion. En miroir, les autres personnages montrent toute une gamme d’expression, de sourire, de peur ou d’effroi.

Quant au déroulement de cette jeunesse… L’auteur choisit d’aborder son récit par le biais de ses souvenirs personnels et, à l’aide de ses recherches, imagine un grand nombre de situations vécues par Jeff. Mais il est difficile d’exprimer toute la complexité de la situation en quelques lignes. Je trouve plus juste d’utiliser des termes comme frustration, divorce, violence, peur, perte, abandon, alcool, moquerie et surtout, le mot-clef de ce récit : aveuglement.

Peut-être est-ce la réponse à la question posée par Derf Backderf dans cet album. En effet, aucun membre de la communauté ne s’est aperçu de la dérive de ce jeune homme. Les adultes n’ont jamais signalé ou agit pour le bien de cet ado qui passait pour les autorités scolaires comme « un garçon sans histoire ». Constat violent et sans équivoque : Jeffrey Dahmer est passé à travers les mailles du filet. Etait-il possible de voir en Dahmer le tueur qu’il allait devenir ? Non. Mais éviter qu’il passe à l’acte, sûrement. A l’image de l’Angleterre industrielle de la fin du 19e siècle décrite par Alan Moore, la société américaine libertaire des années 70 de Derf Backderf a produit son propre monstre. L’auteur lui-même, en choisissant de parler à la première personne et en se dessinant, s’implique dans le récit et ne renie pas son implication.

Et même s’il est difficile de se laisser toucher par le personnage de Jeffrey Dahmer, le lecteur que je suis a été marqué par cette errance profonde, par cette détresse sans secours. Non pas que Derf Backderf cherche à transformer ce futur tueur en un être sympathique mais il en montre toute l’humanité. Sans jamais dessiner la moindre scène sanguinolente, il en fait un être pas si différent de nous, et donc beaucoup plus terrifiant. Difficile de passer à côté de cet album époustouflant sélectionné à juste titre au FIBD d’Angoulême 2014.

A lire : la chronique de Sine Lege et l’incontournable synthèse de KBD rédigée par Choco

Mon ami Dahmer (one-shot)
Scénario et dessins : Derf Backderf (Etats-Unis)
Editions : çà et là, 2013 (20€)
Editions originales : Abrams Comicarts, 2012

Public : adulte
Pour les bibliothécaires : un des albums de l’année. Indispensable !

Chroniques BD

Chronique | Punk Rock Jesus (Sean Murphy)

En 2019, un producteur de télévision a une idée géniale : cloner le Christ et en faire un héros de téléréalité ! Après avoir récupérer de l’ADN sur le célèbre Saint-Suaire de Turin, le projet J2 voit le jour. De quoi faire enrager un certain nombre de groupes intégristes…

Sombre Jesus

Punk Rock Jesus, voici un titre qui en dit long sur le degré hautement iconoclaste de cette série de Sean Murphy. Urban Comics nous proposent dans cette élégante intégrale de découvrir les 6 épisodes de ce récit d’anticipation venu tout droit de la collection Vertigo. Au programme : critique des pouvoirs religieux et médiatiques. Chouette ! En général, quand les américains traitent ces sujets, on se retrouve avec des œuvres à fort potentiel déjanté comme Preacher ou Transmetropolitan. Mais, dès les premières pages, le lecteur comprend vite que la comparaison s’arrête là. Graphiquement, on se situe plus du côté des romans noirs de B.M. Bendis avec des personnages sombres dans un graphisme sobre et réaliste. Ça sent le drame, la violence et la mort. Ça pue les manipulations, la dépression et le mal-être. Bref, on ne s’attend pas vraiment à rigoler. Et hormis le pétage de plomb de Chris – le fameux clone de Jésus (rassurez-vous je ne gâche rien, c’est sur la couv’) – il n’y a effectivement pas vraiment de raisons de se réjouir. Enfin, si, mais pas dans le sens d’un travail des zygomatiques.

Comme toute bonne œuvre d’anticipation, Punk Rock Jesus n’est pas un outil de prédiction mais un moyen détourné pour parler de notre société contemporaine… Dans son monde, Sean Murphy décrit le poids des intégrismes religieux, l’intolérance, le contrôle des masses et en décor le danger du dérèglements climatiques. Rien de bien futuriste, non ? Dans cette série-métaphore, l’auteur évoque aussi son propre parcours. Catholique convaincu, il est devenu athée en 2003 et toute cette œuvre sonne comme un terrible pamphlet et une tentative très indirecte d’explication de la perte de ses croyances.

Intégrisme(s)

Pour cela, il abuse de personnages-clichés qui se révèlent être particulièrement pertinents dans sa démarche. Ils ont l’effet de bonnes caricatures : grossir le trait pour dénoncer. Entre le producteur machiavélique, la jeune vierge qui ne comprend que trop tard son erreur, le gros bras ancien tueur de l’IRA et la scientifique de génie se vendant afin de sauver le monde grâce à ses recherches, nous sommes amenés à voir toutes les facettes, et en premier lieu les plus sombres, de cette humanité qui bascule dans une folie religieuse de premier ordre.

Au cours d’une histoire bien pensée où moments d’actions pures et phases d’introspection s’alternent avec un certain équilibre, les rebondissement ne manquent pas pour accompagner le lecteur. Chris est soumis aux aléas d’une existence qui le dépasse totalement. Quand il décide de prendre les choses en main, il bascule vers une réalité tout aussi crue avec toute la violence de ses 16 ans. Mais ce sont surtout les personnages et les évolutions de leurs psychologies qui présentent l’intérêt véritable de cet album. D’ailleurs et contrairement à ce que l’on pourrait penser, le personnage de Chris n’est pas véritablement un personnage principal. Il joue plutôt le rôle de plaque tournante. Tout tourne autour de cet astre, il est l’objet des désirs, des folies, des peurs et des espoirs. Car si Punk Rock Jesus est pamphlet violent (dans tous les sens du terme) contre la religion et les médias il se veut surtout une tentative d’exploration de la nature humaine. Les croyances ne sont-elles pas révélatrices de ce que nous sommes après tout ? Et avec cette fin à la fois ouverte et révélatrice, les questions ne cessent pas.

Toutefois, je mettrais un bémol à cette lecture sur un point très précis. Il me semble que tout en basculant dans l’athéisme farouche, Sean Murphy ne peut s’empêcher de tomber aussi dans une certaine glorification de la science moderne. Et la croyance en une science toute puissante, capable de résoudre les problèmes qu’elle a elle-même créé, me semble tout aussi discutable que les croyances populaires en un messie sauveur… D’une certaine façon, on tombe d’une fascination à l’autre. Cependant, derrière toute cela, entre croyance en un dieu ou toute  puissante pensée humaine, le message final, symbolisé par le Dr Epstein, met en avant la nature profonde de l’homme…

Avec cette œuvre engagée, Sean Murphy signe une œuvre sombre et riche en débats. Dépassant le seul pamphlet, il propose une lecture des ressorts des croyances humaines. Contrat plutôt rempli au final. Sacrément fort.

A lire : les chronique de Champi et Choco

Punk Rock Jesus (one-shot)
Scénario et dessins : Sean Murphy
Editions : Urban Comics, 2013 (19€)
Editions originales : DC Comics (Vertigo)

Public : Adultes
Pour les bibliothécaires : une bonne référence, public plutôt ouvert nécessaire

Chroniques BD, Recommandé par IDDBD

Chronique | Evil Heart (Tomo Taketomi)

Umeo Masaki est un jeune garçon à problèmes. Dès ses premiers jours au collège, il commence par se battre avec des élèves plus âgés. Taciturne et violent, il n’arrive pas à se faire accepter. Il vit seul avec sa grande sœur, âgée de 16 ans, car sa mère est en prison. Mais sa vie bascule un jour en passant devant le gymnase. Il découvre une drôle de discipline, l’Aïkido, et un drôle de personnage, un étranger, le professeur Daniels.

Du sport, oui mais…

Petite anecdote pour commencer cette chronique. Quand j’ai animé la formation manga en septembre dernier, j’ai fait choisir en début de séance un album à chaque participant. J’avais pris soin de glisser parmi eux, Vitamine de Keiko Suenobu, un one-shot dont la couverture pouvait laisser à penser qu’il s’agissait d’un pur shojo de collégienne. Or, c’est un manga très dur sur le phénomène de l’Hijime. Ce petit piège avait pour but de démontrer qu’en matière de manga, il ne faut pas se fier aux apparences du graphisme. On pourrait qualifier ce genre de « faux-amis ».

Evil Heart fait complètement parti de cette catégorie. Il a tout du shonen-manga de sport et je dirais même du shonen-manga de sport romantique. S’il en reprend les bases, à savoir le jeune garçon perdu qui s’épanouit dans l’amitié (voire l’amour) dans une discipline et qui dépasse ses limites dans une compétition, cette série de Tomo Taketomi dépasse largement l’idée de base et ne cesse de surprendre son lecteur.

Car le sujet principal d’Evil Heart est bien moins le sport que la violence familiale et ses conséquences. En effet, on apprend rapidement qu’Umeo (dit Ume) a subi ainsi que sa sœur et sa mère, la violence d’un père puis d’un grand frère. D’ailleurs, notre jeune héros ne pratique pas l’aïkido pour les joies de l’amitié, mais bien pour être prêt à défendre ses proches contre tous les dangers… et en particulier la figure de Shigeru, son frère, à la fois démon intérieur et lourde réalité. D’autant plus que se pose la question de la transmission quasi-génétique de cette violence qui pèse sur ses épaules. La joie, l’amitié, le dépassement de soi ne font pas partie de ses préoccupations. Quant à la compétition…

Une autre philosophie

Pour ceux qui connaissent cet art martial, l’Aïkido n’utilise que des techniques de défenses. Par ce simple état de fait, Evil Heart se démarque déjà de tous les autres mangas sportifs. Alors qu’on ne peut plus lever un orteil sans parler compétition de nos jours, ce manga apparaît donc comme un rafraîchissement en faisant de l’autre non plus un adversaire mais un partenaire. Tomo Taketomi s’appuie donc sur une philosophie différente pour bâtir son histoire car l’entraide et la communication sont au cœur même du récit. Moins d’actions, plus d’interactions entre ses personnages et surtout des questions sans cesse renouvelées.

Dans les pages de ces 6 volumes, les certitudes sont rares et bien souvent synonymes de dangers. Ainsi, le lecteur alterne donc entre calme et grosse tempête… de quoi relancer régulièrement son intérêt. Mais plus que le rythme, l’auteur prend le temps de décortiquer les peurs, les espoirs et l’évolution lente de son héros à travers son évolution de pratiquant d’Aïkido. Si l’humour et la légèreté font partie du voyage – en particulier avec le Pr. Daniels, figure classique du sage qui ne se prend pas au sérieux – on se retrouve confronté sans mesure aux différentes réalités du personnage. Une réelle empathie se créé non seulement avec lui, mais aussi avec les autres acteurs de cette histoire finalement touchante et particulièrement bien pensée.

Car Tomo Taketomi a eu deux bonnes idées. La première a été de ne pas faire une série à rallonge qui, aurait trop usé la corde. Ce qui arrive malheureusement trop souvent. Cette série a été écrite en plus de 5 ans, ce qui est un délai rare dans un manga. La deuxième idée a été de ne pas multiplier les personnages importants, lui permettant de mieux maîtriser le caractère complexe de chacun tout en se renouvelant. J’avoue que ce dernier aspect m’a beaucoup surpris et qu’il est pour moi un point important de la réussite de sa série. En effet, tout en se focalisant toujours sur le héros principal, il a su tour à tour laisser une place à chacun des protagonistes, de Machiko à Shigeru lui-même en passant par des personnages beaucoup plus obscures dont je tairais le nom pour ne pas gâcher votre plaisir de lecture.

Côté Aïkido, mon spécialiste maison n’a pas eu l’air de trop rechigner à la vue des images dessinées. Pour ma part, j’ai trouvé les dessins plutôt réussi mais dans une forme très classique. Par quelques traits, la famille Masaki a un réel lien de parenté sans forcément être des clones. Pour le coup, la lecture est très agréable et fluide. Rien de bien révolutionnaire là-dedans, on sent que l’attention première a été porté comme souvent sur la réussite du scénario.

Bref, si vous aimez le manga de sport, vous pouvez tenter Evil Heart. Mais vous êtes prévenus. Evil Heart dépasse complètement ce genre et devient un vrai manga de société et dans une certaine mesure, propose une philosophie de vie différente où l’autre n’est pas un concurrent mais un partenaire… Une chouette leçon pour une chouette série ! Un must have comme on dit chez les iroquois.

A lire : le dossier spécial sur manga news

Evil Heart (6 volumes – série terminé)
Scénario et dessins : Tomo Taketomi
Éditions : Kana (2005-2011), 7,50€

Public : Ado-Adultes (c’est un seinen)
Pour les bibliothécaires : une série courte & de qualité. Pas d’excuses pour ne pas l’avoir dans votre mangathèque.

Chroniques BD

Chronique | Le temps est proche (Christopher Hittinger)

An de grâce 1301, l’Europe s’apprête à vivre un siècle compliqué. Entre la guerre, la peste, les schismes et autres joyeusetés, la population a bien du mal à se réjouir dans le dernier siècle du « Moyen-Âge ». Et pourtant, Dante, Christine de Pisan ou Giotto annoncent déjà la Renaissance… Oui, le temps est proche. Mais ça reste à prouver dans cet almanach érudit d’un auteur très inventif.

En 2013, le festival d’Angoulême consacrait une exposition complète à une association qui avait réussi l’exploit d’être deux fois lauréat du Prix de la Bande Dessinée indépendante : The Hoochie Coochie. Après FLBLB, je découvrais encore un éditeur poitevin (mais fondé à Paris) au nom à coucher dehors. Moi qui me targuait d’être un amateur éclairé, je pouvais rallumer ma chandelle, car , même s’il me semble avoir croisé quelques Turkey Comix, je n’avais pas entendu parler d’eux. Bref, aujourd’hui, je rattrape un peu le temps perdu (ceci est un jeu de mots non prémédité).

Cet album fait partie de la catégorie « Drôle d’objet en vérité ». Christopher Hittinger, auteur important du catalogue de The Hoochie Coochie, aborde le thème de la BD historique sous un angle assez inattendu. Personnellement, quand on mélange les termes BD et histoire dans la même phrase, ça me rappelle des lectures peu enthousiasmantes qui ont constitué la base de la bande dessinée traditionnelle voire archi-classique, j’ai quelques plaques qui apparaissent et ça me démange de refermer assez rapidement. Je sais ce n’est pas bien mais j’ai le droit d’avoir moi aussi mes idées préconçues zut à la fin quoi ! Bref, ces récits prennent souvent la forme de simples aventures où la grande histoire ne devient qu’un champ d’action comme un autre, un simple prétexte.

Mais ici, l’auteur aborde l’histoire de face, par une idée simple mais terriblement efficace. Son récit prend la forme d’un almanach du 14 siècle à travers 100 saynètes correspondant toutes à une année. 100, pas une de plus, pas une de moins. Elles peuvent prendre des formes diverses, allant de la simple case à plusieurs pages, mais sont toutes classées dans l’ordre chronologique. Le temps passe alors sous nos yeux et devient alors le seul et unique véritable héros de cette comédie humaine violente, belle, teintée de sarcasme ou d’espoirs. Parfois, Christopher Hittinger aborde le simple fait historique, quelquefois il prend le temps de développer ses personnages mais il est toujours le seul à choisir le rythme de son discours, accélérant au besoin, pointant les moments qu’il juge clés. Du point de vue de l’utilisation du média bande dessinée, c’est une œuvre en tout point remarquable.

Au bout du compte, et c’est l’ancien étudiant qui avait une nette préférence pour la micro-histoire qui parle, j’ai aimé ce que j’ai lu. Paradoxalement, tout en proposant une suite de faits historiques et donc une structure linéaire, l’auteur montre à sa manière les évolutions globales de la société féodale. Finalement, il développe dans son livre une lecture en diagonale des événements, les reliant les uns aux autres par de minuscules mais probants détails. Résultat, il donne un vrai sens à l’ensemble alors que ce livre aurait pu apparaître au départ comme une suite désordonnée. Mais non, la cohérence est surprenante. Ces 100 saynètes participent toutes à la petite histoire du livre et à la grande histoire de l’Europe du 14e siècle.

Concernant le dessin, là encore Christopher Hittinger prend le parti de s’éloigner de la tradition de la bande dessinée européenne classique. Il est d’ailleurs beaucoup plus proche du comics d’auteurs. Dans une certaine mesure, il m’a fait penser à la série L’Etoile du Chagrin de Kazimir Strzepek (chez ça & là). Il n’hésite pas à mélanger des personnages réalistes, des bonhommes bâtons, de vagues silhouettes ou des traits animaliers. Côté décors, même travail entre réalisme, finesse et simple évocation. A l’image de son propos, on est surpris de voir une forme de logique et d’homogénéité. Mais la surprise, et surtout l’expérience, est vraiment le maître mot de cet ouvrage.

En refermant Le Temps est proche, on a le sentiment d’avoir vécu l’histoire du 14e sous des formes diverses, du plus petit des humains aux plus grands bouleversements de l’Europe. Comment ? On ne sait pas trop. Le lecteur est entraîné dans cette spirale historique. Une année, puis vient la suivante avec son lot de rebondissement. Pourtant, Christopher Hittinger ne se contente pas d’évoquer de simples faits, il crée du lien entre eux et enrichit considérablement son propos. Un beau travail d’auteur et même d’historien. Pour ma part, je signerais bien pour traverser le siècle suivant avec lui et sa perception de l’histoire.

A lire : un entretien sur le site du9
A découvrir : le site de The Hoochie Coochie et le site de Christopher Hittinger

Le temps est proche (one-shot)
Scénario et dessins : Christopher Hittinger
Editions : The Hoochie Coochie, 2012 (20€)

Public : Adultes
Pour les bibliothécaires : un ouvrage idéal pour un fonds BD alternative. Pas simple pour les petits budgets cependant ou alors avec le lectorat qu’il faut.

Chroniques BD, Recommandé par IDDBD

Chronique | Beauté (Hubert & Kerascoet)

Morue est une paysanne peu gâtée par la nature. Pauvre et laide, elle se dirige vers une vie compliquée, très compliquée. Un jour, elle sauve par hasard une fée qui lui accorde un don. Malgré sa laideur, tous les humains la perçoivent désormais comme la plus extraordinaire beauté du monde. Rapidement, elle devient l’objet de toutes les convoitises et surtout de celles des puissants. Un conte de fée moderne réunissant à nouveau le trio gagnant de Miss pas Touche.

Du contre-pied comme art du conte

Cela commence comme un conte de fée, une jeune femme, des difficultés et un don du ciel. Cela finit avec une morale. Classique et facile. Mais, l’art de bien raconter une histoire, et en particulier ce genre si ancien du conte, se mesure à la capacité de l’auteur à nous emmener avec lui dans son monde. N’oublions pas non plus que quelle que soit l’imagination du scénariste, il faut tout de même de bons personnages.

Alors Hubert, fait-il partie de ces auteurs qui se prennent les pieds dans le tapis de la tradition ? Dans Beauté on retrouve les grands classiques : la belle, le preux , la bonne fée et la méchante sorcière… Tout est là mais… Hubert n’est pas un scénariste à s’émerveiller devant de jolies personnages ni à se laisser prendre dans mille ans de traditions populaires. Il aime jouer avec ces figures et propose très régulièrement à ses lecteurs des scénarios qui ne ressemblent à aucun autre, faits de surprises, de virevoltants rebondissements enchanteurs, drôles et bien souvent teintés d’une pointe de sarcasmes. Ceux qui auront lu les Miss Pas touche ou autre Sirène des Pompiers comprendront mieux l’idée (les autres auront l’amabilité de se rendre dans leurs bibliothèques ou librairies les plus proches).

Bref, dans l’univers merveilleux de Beauté, la princesse est une mocheté, le preux est un imbécile et la bonne fée… Ah la bonne fée ! Difficile d’en parler sans mettre en péril les tenants et les aboutissants de cette histoire d’apparence qui n’a d’apparence que le nom. Malgré tout, et justement parce que le scénariste s’évertue à prendre les chemins de traverse, il crée une galerie de personnages particulièrement  imparfaits. Ce qui contribue grandement à la noirceur général qui inonde ce conte pas vraiment fait pour les enfants. Mais quel bonheur de voir Morue, personnage sensible, naïf, généreuse ou jalouse, commettre des erreurs aux conséquences dramatiques tout en tirant une expérience peu commune ! Pourtant, Morue reste une véritable héroïne de contes de fées qui doit faire preuve d’audace, de bon sens, parfois de chance pour se tirer (ou non) de ses mauvais choix. Une description qui conviendrait tout aussi bien à Blanche, l’héroïne de Miss pas Touche.

Justement. Pour compléter cette histoire qui s’inscrit à la fois dans la tradition et dans le rupture avec le conte traditionnel, Hubert se fait accompagner au dessin pour ses vieux acolytes, le très fameux duo de dessinateur Kerascoët. Ça fait maintenant longtemps qu’ils nous émerveillent par la qualité de leur travail. La réussite de l’album leur doit beaucoup car ils ont su trouver l’équilibre entre dynamisme et grâce sans jamais tomber dans une forme de réalisme. Du coup, les moments difficiles, parfois particulièrement violents, restent dans le domaine de la fiction. Quant à Morue/Beauté, par je ne sais quel artifice, ce double-personnage reste toujours unique quelque soit sa forme.

Du coup, ses aventures prennent d’autant plus d’épaisseurs. Car au-delà de la simple apparence, thème important de l’œuvre, on perçoit sa véritable nature et tout ce qu’elle représente. Beauté est une série qui, pour moi, parle magnifiquement de la lutte des femmes pour l’égalité. Et malgré sa fausse légèreté, montre toute la difficulté du combat. Les hommes n’y ont pas la vie facile, posséder qu’ils sont à la seule vue de cette Beauté magique. A l’image de son héroïne, cette histoire repose sur les ressorts de la logique, de l’intelligence, du courage et de la prise de conscience d’une force intérieure. Un beau message qui frappe d’autant plus qu’il est écrit par un homme.

Étonnement et surprises sont des mots qui reviennent régulièrement dans cette chronique. C’est effectivement le sentiment qui m’a traversé tout au long de la lecture de ce triptyque. Iconoclaste, sombre et intelligente, cette aventure est une quête féminine et féministe à la fois. Sous le format classique de la BD franco-belge, Beauté est une série qui fait réfléchir son lecteur avec délice, à la fois en douceur et en violence. La morale finale est à l’image de l’ensemble, d’une très grande finesse. Bref, juste indispensable !

A lire : la chronique de Tristan sur B&O et la chronique de Paka (2e tome)

Beauté (série en 3 volumes – terminée)
Scénario : Hubert
Dessins : Kerascoët
Edtions : Dupuis, 2011

Public : Ados-Adultes
Pour les bibliothécaires : Série courte et juste indispensable

Chroniques BD, Recommandé par IDDBD

Chroniques | The Wire (David Simon) / The Grocery (Singelin & Ducoudray)

C’est l’histoire d’une ville en proie à la criminalité, à la violence et à la drogue. C’est l’histoire d’un quartier, au milieu de cette ville. C’est l’histoire d’anonymes ou de puissants qui se battent pour régner ou simplement survivre. Bref, d’une série télé à une bande dessinée, bienvenu à Baltimore.

Baltimore entre télévision et bande dessinée

C’est la première fois que je tente l’expérience d’une double chronique sur des supports aussi différents qu’une bande dessinée et une série télévisée. Mais l’occasion était bien trop belle pour passer à côté.

Cet été, par le plus grand des hasards, j’empruntais à la bibliothèque les deux premiers volumes d’une série de BD dont j’avais vaguement entendu parler. Très vaguement. Dans le même temps, j’achevais avec bonheur la 5e saison de The Wire (Sur écoute en français). J’étais pris de nostalgie à l’idée de laisser McNullty, le plus écorché vif de tous les policiers irlandais de l’histoire de la télévision américaine. En ouvrant The Grocery, le lien dans mon esprit ne s’est pas fait immédiatement. Pourtant, peu à peu, je retrouvais des détails qui me mettaient la puce à l’oreille : les coins de rue, les vendeurs de drogue, les dealers, les gros 4×4 et cette violence inhérente au milieu. Trop de détails pour n’y voir qu’une simple inspiration. Pas un plagiat mais une vraie continuité. The Grocery, c’est une histoire parallèle dans un monde au graphisme assumé.

A body of an american

Mais je mets les choses à l’envers. Je vous parle de The Wire et du lien avec The Grocery sans évoquer toutes les qualités de cette série. Au début, The Wire est une fiction policière évoquant le combat des policiers de Baltimore contre les réseaux de ventes de drogue. David Simon, ancien journaliste au Baltimore Sun City Desk devenu scénariste, dresse une galerie de personnage dont la grande figure est le fameux McNullty dont je vous parlais plus haut. Alcoolique, divorcé, volage, mais enquêteur surdoué, il est un peu à l’image de ses collègues, sans repère. Au cours des cinq saisons, ce qui semble être une enquête policière se transforme peu à peu en radiographie de la société américaine : politique, argent, journalisme, système éducatif, valeurs… Tout y passe avec cette capacité qu’ont les américains à mettre le doigt sur leurs propres paradoxes.

Comme souvent, cette série signée HBO – chaîne qu’on ne présente plus dans le monde des séries TV avec notamment Game of Thrones ou Six Feet Under – frappe fort avec un réalisme décomplexé. Rien n’est blanc, rien n’est noir, tout est plus ou moins crasseux. Chacun a ses propres raisons pour agir, tous ont des explications et les vrais pourris ne sont pas toujours ceux que l’on croit. C’est violent certes, souvent désespéré, mais l’humour n’est pas absent et parfois la lumière scintille un peu au milieu de ces rues sombres.

Bref, The Wire bénéficie d’un scénario remarquable en même temps qu’une bande originale qui frise la référence absolue, de toute façon quant on utilise The Pogues ça ne peut être que recommandable. J’en profite d’ailleurs pour tirer mon chapeau et rendre hommage à Philip Chevron, guitariste du groupe irlandais et créateur de la mythique chanson Thousand are sailing qui nous a quitté hier.

Sur écoute, saison 4.2

The Grocery, la série dessinée par Guillaume Singelin et scénarisé par Aurélien Ducoudray, s’inscrit donc pleinement dans cet univers. Et je préciserais même un lien réel avec la saison 4, où les réalisateurs avaient fait un focus sur un groupe d’enfants/adolescents.

Mais, il ne faut pas limiter  The Grocery à la série américaine qui l’a inspiré. En effet, les deux auteurs injectent leurs propres éléments pour créer une œuvre propre. Tout d’abord, ils prennent le parti de faire tomber un jeune candide dans ce monde de brutes. Elliott est le fils de l’épicier juif qui vient juste de racheter The Grocery, la boutique du coin de la rue. Il est tout neuf, tout gentil et très intelligent. Lui qui fait des concours d’orthographe, il joue rapidement le rôle de l’intellectuel du coin. Ah oui, j’oubliais. Eliott est une grenouille… d’ailleurs il a même un petit quelque chose d’Ariol, le petit âne d’Emmanuel Guibert. Bref, imaginez simplement Ariol dans une banlieue chaude… Je confirme, ça saigne.

Et pour saigner, ne vous fiez pas du tout au dessin qui peut apparaître au début comme enfantin. Je ne sais pas vraiment si on peut parler d’anthropomorphisme pour tous les personnages mais je crois que le choix est judicieux tant un rendu réaliste aurait pu être insoutenable. Le scénario en effet ne lésine jamais sur la violence réelle et symbolique. Âme sensible s’abstenir !

Peu à peu, de nouveaux personnages entrent en scène : un vétéran de la guerre en Irak qui perd sa maison suite à la crise économique, un rescapé de la chaise électrique, nouveau caïd de la rue, une hispanique en quête de vengeance… Ces histoires singulières forment un tout et donnent une cohérence à l’univers. Tous les personnages sont liés les uns aux autres de près ou de loin, les actions des uns influencent la vie des autres et tous portent des cicatrices et sont prêts à rendre les coups qu’on leur donne. La fin du 2e tome est sans équivoque… Mais je m’arrête là pour ne pas vous gâcher les surprises et les rebondissements nombreux qui ne manqueront pas de vous donner envie d’aller plus loin. Personnellement, j’attends la suite avec une très grande impatience.

A lire : les chroniques de Mo’, de Tristan sur B&O

Et pour finir : ceux qui ont vu The Wire reconnaîtront

 

The Wire (Sur écoute)
créé par David Simon
5 saisons (60 épisodes) 2002-2008

The Grocery (2 volumes – en cours)
Scénario : Aurélien Ducoudray
Dessins : Guillaume Singelin
Editions : Ankama, 2011
Collection : Label 619

Public : Adulte
Pour les bibliothécaires : les séries TV et BD sont indispensables pour une bédéthèque et une vidéothèque de qualité.

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