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Chroniques Cinéma, Recommandé par IDDBD

Cendrillon (Théâtre) | Joël Pommerat

C’est l’histoire d’une très jeune fille, d’une promesse à une mourante, d’un malentendu, d’un deuil impossible et d’une histoire d’amitié. C’est un ancien récit, conte populaire au-delà du temps, revu et revisité par un auteur-metteur en scène talentueux. Il était une fois Cendrillon de Joël Pommerat.

Filmer le spectacle vivant : hérésie ou partage ?

En commençant cette chronique, j’ai en tête les images de pièces de théâtre diffusées par les télévisions dans les années 80/90 et filmées dans des dispositifs assez pauvres. Une caméra fixe face au plateau et quelques plans resserrés ici ou là. Sans être fabuleuses, elles avaient aux moins le mérite d’exister et de permettre à tous de découvrir les acteurs populaires dans des pièces sympathiques à défaut d’être incontournables. Mais depuis quelques années, des producteurs et éditeurs venus eux-mêmes du théâtre indépendant ou institutionnel développent une offre alternative beaucoup plus riche. Avec un vrai sens de la réalisation, bien souvent en collaboration directe avec les troupes, ils cherchent à mettre en valeur le travail des artistes sur des pièces parfois exigeantes. Bon… Les amateurs de théâtre vont peut-être râler un peu. Je partage votre point de vue : rien ne remplace la scène, le direct, ce jeu de dupe entre une troupe et son public, l’ambiance d’une salle, l’humain. Tous ces éléments font l’essence même de l’art dramatique. Difficile d’écrire le contraire. Même la lecture d’une pièce offre au final un sentiment incomplet. Il manque quelque chose. Toutefois, et sans perdre de vue ces réalités, livre ou captation sont de formidables opportunités de promotion, un moyen de rendre accessible à un plus grand nombre la forme théâtrale. Sans oublier qu’elle est l’une des premières pratiques artistiques en France, il me semble indispensable de proposer ce genre de choses en bibliothèques.

Revisiter le mythe

Cela permet ensuite de découvrir des auteurs-metteurs en scène d’une qualité indéniable tel que Joël Pommerat. Son Cendrillon fait exactement partie de ce genre de pièce qui mériterait d’être régulièrement mis en avant dans les collections. A noter que la version DVD est une captation spéciale du spectacle réinterprété et spécialement mis en scène pour le format. Il existe plusieurs façons de réinterpréter les contes ou les mythes comme Cendrillon. On peut y coller au maximum en se contentant de l’illustrer. C’est le parti le moins risqué et sans aucun doute le moins intéressant. Il également possible de l’adapter à ses attentes, à son public. On pense tous à Walt Disney qui en fit un joli bonbon rose. Efficace mais discutable. Ou alors, l’auteur intègre ses messages, ses représentations cachées pour récréer quelque chose d’inédit, utiliser la parabole du mythe pour évoquer un sujet tout autre. Le choix que fit Joel Pommerat pour ce Cendrillon. Tout commence par un malentendu. Malentendu. Le terme est juste. J’ai toujours apprécié la synonymie entre les verbes « entendre » et « comprendre ». Comprendre c’est écouter. Et c’est justement par l’impossibilité de comprendre la voix inaudible d’une mère mourante que « la très jeune fille » fait la promesse de ne jamais oublier de penser à elle, nuit et jour. La très jeune fille s’oublie dans ce deuil impossible acceptant alors les abus de sa nouvelle belle famille. De la cave d’une maison de verre où les oiseaux viennent s’écraser au bal d’un château où un jeune prince attend un coup de téléphone de sa mère, Joël Pommerat entraine le spectateur dans un entre-monde où réalisme, absurdité, fantasme et fantaisie sont au rendez-vous. Drôle, émouvante et toujours cruelle, cette pièce nous parle de notre rapport à l’autre, de notre relation à la mort, au deuil, au refus de la vérité. Le metteur en scène se plaît à jouer avec nos repères en redéfinissant les relations entre les personnages ou en introduisant des figures seulement évoqués dans le conte traditionnel. On pense notamment au père et au roi (jouer par le même acteur) qui semblent complètement perdus dans cette histoire. Dans un décor minimaliste qui suggère plus qu’il ne montre, la mise en scène bien filmé par un réalisateur inspiré est à la fois inventive et efficace. Les acteurs sont très bons. Mentions spéciales à Déborah Rouach qui joue une Cendrillon (Cendrier) à la fois lunaire et touchante bien loin des habituelles représentations et à Catherine Mestoussis en marâtre éructante refusant l’idée même de vieillesse. Je vous laisse avec des extraits du spectacle. Car le mieux avec le thêatre, c’est quand même de le regarder.

Cendrillon (théâtre) Création de Joël Pommerat D’après le mythe de Cendrillon Réalisation de la captation : Florent Trochel Editions DVD : Axe Sud Production Durée : 90′ Langue : VF A noter : le texte de la pièce est édité dans la collection de Poche Babel chez Actes Sud

Chroniques BD, Recommandé par IDDBD

Ulysse, les chants du retour (Jean Harambat)

Ô  lecteur, rappelle-toi le mythe d’Ulysse retrouvant son Ithaque dévastée par la cupidité des prétendants après 20 ans d’un exil douloureux. Rappelle-toi de son arrivée grimée par Athéna sous les traits d’un pauvre berger. Rappelle-toi de la reconquête du trône et du cœur de sa bien-aimée Pénélope. Découvre une relecture à la fois fidèle et originale de ce mythe fondateur de la culture occidental.

« Toutes les grandes œuvres sont des Iliades ou des Odyssées »

L’Odyssée ou « comment Ulysse a galéré pour rentrer chez lui après la guerre de Troie » fait partie de notre culture collective. Même sans avoir lu en profondeur les poèmes épiques du vieil Homère, qui n’a pas entendu un jour l’histoire du Cyclope ou l’effroyable récit des envoutantes mais mortelles sirènes ?

Dans Ulysse, les chants du retour,  Jean Harambat s’attaque à un plus de 2500 ans d’histoire littéraire. Il se concentre avec fidélité épisodes couvrant les aventures d’Ulysse sur Ithaque, soit les chants 13 à 24 (pardon XIII à XXIV ça fait plus classe) pour être précis. Mélangeant textes originaux et réinvention de dialogues, on retrouve les éléments narratifs qui ont fait de l’histoire d’Ulysse, un mythe traversant les âges : la figure du roi déchu,  la noblesse de la paysannerie, la fourberie des prétendants, la fidélité et la force de Pénélope, la vengeance implacable.

Côté graphisme, si j’ai parfois eu l’impression d’influence « Nouvelle BD » – notamment par trait et le traitement de la couleur qui rappellent un peu Christophe Blain ou Joann Sfar –  j’ai surtout apprécié le rappel de représentations issues des céramiques grecques antiques. A l’image de son écriture, Jean Harambat adapte avec modernité sans dénaturer. Résultat, l’ensemble est cohérent, fluide et efficace.

Mais quel est l’intérêt de cet album sinon une énième adaptation (réussie) d’un récit connu de tous ? Le lecteur attentif aura distingué ce petit détail surprenant sur la 4e de couverture : la présence d’une camionnette remplie de poule. Je ne suis pas spécialiste de nos amis gallinacés mais des poules au 10e siècle avant notre ère ça ne me choque pas. En revanche, une camionnette…

Le jeu de la double lecture

Quelle drôle d’idée ?! Non, rassurez-vous, Jean Harambat n’a pas craqué avant la fin ! Au contraire, il doit être assez content de lui avec son idée d’intercaler entre les chants homériques des petites histoires contemporaines où nous découvrons une galerie de personnage commentant le récit à leur manière. Ils sont historiens spécialistes des mythes grecs, bibliothécaire de l’unique établissement spécialisé sur Ithaque, cinéaste, ancien otage au Liban, journaliste, architecte, écrivain et j’en oublie sans doute.

Loin d’être des anachronismes, ces petites historiettes sont des respirations plus ou moins courtes qui créent le lien entre passé et présent, comme pour éclairer le fil rouge que forme cette histoire dans notre civilisation. En ajoutant ces petites passages, Il transforme complètement notre vision et, sans oublier la narration, il nous propose d’ouvrir les portes en nous fournissant des clés d’analyse. Ainsi, Ulysse, les chants du retour dépasse largement le cadre d’une mise en image de l’Odyssée.

Car ces différents aspects montrent les richesses de l’œuvre littéraire sans sa forme, sa construction et sa symbolique. Il interroge la figure héroïque d’Ulysse. Pourquoi est-il encore plus populaire qu’Achille, autre grand héros de la Guerre de Troie ? Pour son intelligence ? Ses aventures ? Pour ce côté ordinaire qui fait d’un roi grec un simple jouet du hasard, l’anti-héros qui peine à retrouver les siens. Là encore, on aborde des thèmes dépassant le temps. Le retour à la vie normale après de longues épreuves, revenir chez soi quand tout a changé durant son absence. Dans bien des aspects, ces mythes sont d’une incroyable modernité.

La qualité du travail de Jean Harambat repose là-dessus. Montrer la modernité, l’intemporalité des grands mythes fondateurs, donner des clefs, faire parler ensemble héros de l’histoire antique et humain du 21e siècle.  Un histoire universelle, grande et marquante. Un bel hommage. Superbe !

Un livre sélectionnée pour le FIBD 2015 et dans une moindre mesure, pour le prix « Hors les Murs » du festival de Darnétal 2015. Les votants sont les prisonniers des établissements de Haute-Normandie. C’est vous dire si le sujet du retour chez soi est parfois parlant.

A lire : les 32 premières pages sur le site d’Actes Sud

Ulysse, le chant du retour (one-shot)
Scénario et dessins : Jean Harambat
d’après Homère
Éditions : Actes Sud, 2014 (26€)

Public : Adulte
Pour les bibliothécaires : Essentiel.

Chroniques Cinéma, Recommandé par IDDBD

Cause commune (Sophie Averty)

Fin 2009, une quarantaine de familles roms indésirables à Nantes, arrivent à Indre, une petite commune des bords de Loire. Dès le lendemain, le maire Jean-Luc Le Drenn décide de mettre un terme à ce qu’il appelle « la politique de la patate chaude », en refusant de les expulser à son tour. Grâce à l’engagement sans faille d’une poignée de citoyens et d’élus mobilisés par ce combat collectif et politique, les familles resteront 18 mois, avant qu’une solution digne et pérenne soit trouvée.

Récemment, une amie m’a envoyé un lien vers un article de Libération évoquant l’initiative d’un maire d’un village du Nord de la France. Ce dernier a déversé plusieurs tonnes de lisier sur un terrain occupé par un campement roms. Quelques jours plus tôt, nous avions évoqué ensemble les difficultés de proposer des œuvres abordant des thèmes polémiques, touchant ou marquant le spectateur par des partis pris « politique » (au sens de « vie de la cité ») tranchés. Peur de déranger ? Peur du conflit ? Peur du débat ? Peur de quoi au juste ? Telle était véritablement la question de notre discussion dont le point de départ avait été ce documentaire de Sophie Averty.

Sans aucune prétention, Cause Commune est un film interrogeant le spectateur sur sa place de citoyen et permet d’ouvrir le débat en dépassant l’unique question « roms ». Rôle de l’homme politique, de nos choix face à une situation jugée injuste, de notre implication à trouver des solutions sur le moyen ou le long terme… De nombreuses interrogations sont suscitées durant les 58 minutes proposées par Sophie Averty.  Le propos est juste car elle prend soin de ne pas lui donner une dimension politicienne. En effet, elle recadre l’idée dans son contexte, à l’échelle d’une politique et d’une réalité locale bien souvent éloignée des idéologies nationales. Rare sont les films qui réussissent cette pirouette entre citoyenneté et politique.

Sophie Averty (au centre) fut l’une des protagonistes de cette histoire

Pour la réussir, la réalisatrice relate les événements chronologiquement. Elle interviewe les témoins et les différents acteurs. Ce procédé archi-classique est très vite enrichi par des idées simples mais diablement efficaces. Elles permettent de replonger les protagonistes et les spectateurs dans l’esprit de l’époque. Je pense notamment à quelques scènes rejouées pour l’occasion, en particulier ce conseil municipal extraordinaire dans le gymnase. Émouvant moment de cinéma où des prises de sons faites ce jour-là sont diffusées, où l’élue relie le discours puissant écrit par l’ensemble des représentants de la ville, où l’on comprend que l’engagement politique peut avoir une vraie consistance. Mais je n’oublie pas non plus l’incrustation d’images animées où la projection en plein air sur les lieux où les roms avaient été accueillis.

Au final, les réponses du comment et du pourquoi sont presque simples. Naturel, humanisme, empathie, honte, aide, intégration, joies, échanges sont des mots qui reviennent souvent dans la bouche des fonctionnaires, élus ou simples citoyens de cette petite ville. Comme un camouflet à la politique du rejet, leur histoire est forte, profonde et surtout, le plus important, n’a pas abouti à une impasse. Cause Commune est un film qui rend hommage à tous ces gens qui donnent un sens aux valeurs de notre République. Les habitants d’Indre en particulier. Il donne confiance dans la vraie action politique. Si comme moi, vous avez parfois envie de laisser passer des événements, paroles ou actions qui vous indignent, alors un conseil, repassez-vous ce film où juste sa bande annonce. Face aux événements de janvier ou aux dernières élections où quelques néo-fachos populistes déguisés en gentil Oui-Oui font 30% des voix , ce film est un gentil remède, un exemple pacifique mais résolu, une bonne dose de bon sens pour vous faire lever de votre canapé et vous dire, aller, aujourd’hui je change quelque chose.

Respect.

A lire : l’interview de la réalisatrice dans Libé
A voir :
la bande annonce

Cause Commune
Réalisateur : Sophie Averty
Durée : 58′
Production /  Diffusion : Z’azimut films, TVR – Televiziunea Romana (Roumanie), Tébéo – Télévision Bretagne Ouest, Ty Télé, Télénantes
Année de production : 2013

Chroniques BD, Recommandé par IDDBD

Carnet du Pérou (Fabcaro)

En juillet 2012, Fabcaro entame un voyage vers le Pérou. Au grès de ses déplacements, il découvre un pays, un peuple et une culture qui lui étaient encore inconnus. De ce voyage est né un carnet. Un regard neuf d’occidental sur un monde nouveau. Une vision inédite et personnelle… Personnelle, oui, c’est bien le mot.

 Exercice de styles

Toujours à la pointe de l’actualité du 9e art, IDDBD vous propose aujourd’hui la chronique d’un album sélectionné à Angoulême… en 2014. Mais peu importe car comme celui-ci va bientôt être réédité, on ne fera semblant de rien. D’autant plus que KBD consacrera le mois de mars prochain à  6 pieds sous terre. Donc, voici un nombre non négligeable de bonnes raisons de se pencher sur ce drôle de livre.

Pourquoi « drôle de livre » ? Car, si vous me le permettez, Fabcaro est un clown. Ceci n’est pas une insulte mais un véritable hommage. J’aime chez ces personnages leur courageuse impudeur pour pénétrer dans notre monde bien rangé et mettre le plus grand bazar possible. Pour nous faire rire, nous émouvoir, nous permettre de pointer nos imperfections à travers les leurs. Tout  ce qu’a produit  l’auteur en commettant ce livre.

Le carnet de voyage, c’est la noblesse de l’écrivain, l’exotisme du voyageur, l’enivrante découverte et l’intériorité du regard, un genre aussi vieux que la littérature. Cet exercice montre toute la finesse, l’intelligence et la sensibilité d’un auteur. Les plus grands, auteurs de BD compris, s’y sont attelés. A son tour, Fabcaro débarque dans cet univers avec tout le sérieux nécessaire… et un petit détail qui ne trompe pas : son nez rouge.

Du non bon usage d’un carnet de voyage

Car oui, Monsieur, vous êtes un clown et cela vous va très bien !  Au-delà des apparences d’une couverture et d’un objet soignés, ce voyage dépasse  le carnet d’anecdotes qui n’intéressent que son auteur. La génération blog est devenue spécialiste du style et je n’apprécie pas forcément. Alors, quand un dessinateur s’amuse avec ça, on peut parler de plaisir. D’ailleurs, le lecteur un peu perspicace  comprend dès le départ qu’il y a un deuxième voire troisième degrés à la lecture, rien qu’au ton volontairement emphatique. Ça ne prend pas ! Quand on chasse son naturel, celui-ci revient au galop avec tous les copains ! Et Fabcaro en possède 2 ou 3 qui participent aussi à l’aventure. Au milieu des dessins de leur copain, Fabrice Erre, James, Gilles Rochier, bref, des bons gars de la bande de 6 pieds, tracent quelques traits bien sentis.

Au milieu de fanfaronnades de créateur content d’eux-même, l’auteur nous montre avec impudeur ses petites névroses de créateur et ses grosses plantades. Et même avec cette matière, il joue pour tout à fait nous perdre entre réalité et fiction. Ceci n’est pas un carnet de voyage, c’est du poil à gratter.

Cependant, même si cet album est un drôle d’objet fait d’une accumulation d’éléments disparates, il n’en demeure pas moins cohérent et paradoxalement très fluide dans sa narration. Tout s’enchaine avec beaucoup de naturel et Fabcaro fait preuve d’une vraie maîtrise du média. Graphiquement, il s’amuse avec les styles, du réalisme au dessin le plus naïf et caricatural possible. Tout est là, même les clins d’œil amusés aux autres grands « voyageurs » du 9e art…

Au final, si vous sortez de ce carnet avec un véritable point de vue sur le Pérou, un conseil : arrêtez l’humour et retournez lire Le Figaro. Normalement c’est grand sourire et envie de vous replonger dans cette drôle d’expérience. Récit foutraque, anecdotes d’écriture, notes de réalisation d’un album, recueil d’œuvres tout aussi diverses que variées, support de photomontage, blagues potaches… C’est un peu tout, rien et surtout un joyeux bazar ! Surprises, rires et bizarreries à toutes les pages sont au rendez-vous d’un livre qui est vraiment à l’image de la production éditoriale de son éditeur : de l’humour exigeant sur la forme comme sur le fond. Un vrai grand coup de cœur pour bédéphiles au sens de l’humour averti !

A lire : bientôt la synthèse sur KBD

Carnet du Pérou (one-shot)
Scénario et dessins : Fabcaro
Editions : 6 pieds sous terre, 2013
Collection : Monotrème (Mini)

Public : adulte
Pour les bibliothécaires : un (très) drôle carnet de voyage. Un livre d’humour intelligent, c’est si rare 

Chroniques BD, Recommandé par IDDBD

L’enfance d’Alan (Emmanuel Guibert)

Avant de débarquer dans la France en guerre de 1944, Alan Ingram Cope a passé son enfance dans le Sud de la Californie. Portrait d’un jeune garçon dans l’Amérique des années folles, de la grande dépression et de l’Avant-Guerre.

Une histoire d’amitié c’est avant tout une histoire…

Il existe bien des façons de raconter l’histoire. On peut se borner à extrapoler sur des batailles, des drames politiques et géopolitiques de notre passé. Je ne doute pas de l’importance de ces récits, ni même de leur intérêt pour comprendre le monde actuel. Mais ils se bornent souvent à la simple vision des « grands hommes » et négligent le quotidien, l’évolution des mentalités, des hommes et des femmes ordinaires. Non, pour moi l’histoire n’est pas qu’un simple enchainement de tueries et de haines.

Avec l’Enfance d’Alan, Emmanuel Guibert continue son cycle consacré à Alan Ingram Cope commencé en 2000 (La Guerre d’Alan, 3 volumes). Il raconte surtout l’histoire à travers le destin d’un homme simple, doté d’une personnalité teintée d’intelligence, de lucidité et d’autodérision. Ainsi, ce héros ordinaire, décédé en 1999, était le sujet idéal pour raconter une « autre histoire. »

Mais plus important encore, l’histoire de ces livres est avant tout lié à une amitié entre le vétéran et l’auteur de bande dessinée. Cette rencontre est essentielle dans la vie et dans l’œuvre d’un des auteurs les plus discrets de la génération Nouvelle BD. Discret mais pas moins talentueux. Véritable esthète de la BD, Emmanuel Guibert cultive son goût pour les rencontres et les contrepieds dans un univers créatif très varié. D’Ariol à la Fille du professeur, du Photographe aux Sardines de l’Espace, de la Revue Lapin (où il pré-publie La Guerre d’Alan) à Japonais, un recueil de texte illustré, il a montré au cours de sa carrière son incroyable palette graphique et narrative.

Voix d’Alan, trait d’Emmanuel

Avec cet album, Emmanuel Guibert renoue avec un style épuré et une composition simple. Il propose peu de dialogues mais des récitatifs qui composent la « voix d’Alan ». Sous la plume du dessinateur, il est le narrateur. Ce dernier raconte, explique, précise, part dans des digressions et nous renvoie à plus tard. Quelques pages plus loin, le fil de l’histoire reprend et nous nous retrouvons au sein d’une famille américaine de Californie du Sud avec ses histoires de famille, ses traditions, ses amitiés et ses drames aussi.

Dans ce monologue d’une grande fluidité, l’auteur cherche à laisser toute sa place au héros. Mais la touche Guibert demeure. Utilisant toutes ses qualités de dessinateur, il joue avec les codes de la bande dessinée. Capable de faire disparaître totalement le décor pour laisser la seule place aux personnages décrits dans un effet de zoom, il peut quelques pages plus loin nous proposer une planche d’un réalisme quasi-photographique d’une nature sauvage, d’une rue de banlieue ou d’un vieux cliché.

Ainsi, par ce jeu constant entre récit graphique et narration, nous sommes plongés dans cette histoire très personnelle. Peu à peu, elle devient la nôtre, nous nous attachons aux personnages et aux situations. A l’image d’une couverture tout en simplicité, l’œuvre réalisée par Emmanuel Guibert est passionnante, aboutie, profonde d’humanité. Une œuvre à l’image d’un auteur majeur de la bande dessinée contemporaine. Un album récompensé à juste titre du Prix des journalistes de l’ACBD en 2013.

A voir : la fiche album (avec des extraits) sur le site de L’Association

L’enfance d’Alan (one-shot)
D’après les souvenirs d’Alan Ingram Cope
Scénario et dessins : Emmanuel Guibert
Editions : L’Association, 2012 (19€)

Public : Adulte
Pour les bibliothécaires : dans la continuité de La Guerre d’Alan, incontournable.

Chroniques BD, Recommandé par IDDBD

Les vieux fourneaux (Lupano & Cauuet)

Antoine, Emile et Pierre sont de vieux amis, de très vieux amis, de très très très vieux amis même. Ancien syndicaliste, vieil aventurier ou anarchiste profond, ils ont tous les trois des personnalités et des caractères bien particuliers. A la mort de Lucette, la femme d’Antoine, ils se retrouvent après des années sans se voir… mais ce n’est pas l’unique évènement. En effet, un secret vieux de plusieurs dizaines d’années se révèle… et lance nos camarades sur les routes accompagnées de Sophie, petite-fille d’Antoine, enceinte… et qui a hérité du bon caractère de sa grand-mère (c’est de famille).

Retour vers le passé

Nous avions commencé l’année sur IDDBD en vous proposant mon coup de cœur pour de l’année 2013, le très bon Mon ami Dahmer de Derf Backderf. Pour la dernière chronique annuelle, on remet le couvert la série qui nous aura marqué en 2014 : Les vieux fourneaux de Wilfrid Lupano au scénario et Paul Cauuet aux dessins (et couleurs).

On entend ici et là que la bande dessinée d’humour classique pour adulte se perd. Convenu, facile, lourd sont des adjectifs qui reviennent souvent dans les discussions. C’est vrai que si on se limite aux collections qui passent en revue toutes les professions (en particulier de la fonction publique) qui sont à l’humour ce que la musique militaire est à la musique, qu’on admet que la grande époque de Fluide Glacial est plutôt derrière nous (pas complètement mais…) et qu’on ne peut vraisemblablement pas obliger Goossens à faire 5 ou 6 albums par an, il faut avouer qu’on se marre de bon cœur avec plus de difficultés qu’il y a plusieurs années. Pourquoi ? A l’aune de l’histoire de la BD adulte, on pourrait éventuellement l’expliquer par le fait qu’elle est sortie définitivement du carcan « jeunesse » dans lequel elle était empêtrée avec les années Gotlib et consort… Je vous dis ça mais en fait, je n’en sais rien. Est-ce que les formules des anciens ne se perdent pas au fil du temps ?

Racines du rire

Visiblement, ce n’est pas le cas avec Les Vieux fourneaux. Pour rappel, cette série a presque reçu un quasi-plébiscite lors du prix des libraires 2014 (et pour la 2e fois consécutive au même scénariste d’ailleurs). Comme disait ma grand-tante Agathe : c’est dans les vieilles marmites… mais vous connaissez la suite. En lisant les deux premiers albums, j’ai immédiatement pensé à l’amour que l’on porte souvent aux vieux emmerdeurs dans les histoires en France. Les deux papys du Muppet show, les anciens du village corse d’Astérix et bien entendu, les héros de Les Vieux de la Vieille », roman de René Fallet adapté en 1960 par Gilles Grangier (avec Jean Gabin notamment). Trois vieux caractériels, une histoire bornée de bons mots et de franches rigolades…

Oui, je vous assure, il y a un air !

Oui, Les Vieux fourneaux, c’est exactement ça : des dialogues du tonnerre qui sentent le Michel Audiard, des quiproquos et des coups de sang pour finalement aboutir à une belle histoire d’amitié mais aussi de transmission avec la nouvelle génération – par le personnage de Sophie – qui semblent bien valoir la première. Au passage, les deux « pétages de plomb » en 4e de couverture proviennent bien du seul personnage féminin de – de 80 ans de cette histoire. Au bout du compte, on rit et on s’amuse avec ces personnages qui ne se refusent plus rien. Des dialogues et un scénario vraiment bien servi par un dessin comme seule la BD franco-belge est capable de sortir. Un dessin héritier des meilleures années Spirou où le réalisme s’accompagne de vraies caricatures (franchement nos héros ont des vrais gueules) tout en conservant un vrai dynamisme. C’est vraiment agréable, lisible tout en étant détaillé. Il y a parfois du Franquin dans le dessin de Paul Cauuet.

La place du vieux clown

Mais au-delà des apparences comiques, cette série ne propose pas uniquement une galerie de clown. Ses personnages ont une vraie histoire, positive ou négative, que chacun emporte avec lui. Ne pas profiter de leur expérience, de leur vécu, aurait été une vraie erreur de scénario. Cet écueil, Wilfrid Lupano l’évite avec beaucoup de maestria et en fait même le principal moteur de ses deux albums. Autre point fort, et je terminerai cette chronique (et l’année 2014) sur ce point, il ne s’agit pas ici de parler de vieux nostalgiques. Les personnages, même s’ils ont certaines préoccupations de leur âge, reste très ancré dans le monde actuel. Certes, il y a leur lien avec Sophie, la jeunesse prenant le relais un peu utopiste de leurs vieilles idées, mais ils sont toujours bien présent et tiennent leur rôle de vieux sages, de vieux philosophes… ou plus simplement de vieux emmerdeurs (oui, j’ai dit deux fois emmerdeurs dans cette chronique mais ils le valent bien). Bref, une place que l’on ne laisse plus beaucoup au 3e ou 4e âge aujourd’hui. Je pense en avoir assez dit pour cette série. Ouvrez, lisez, riez… On ne fait pas plus simple. Je n’aurais qu’un mot pour terminer cette chronique : bonne année 2015 à vous tous ! A lire : la synthèse des Kamarades de K.BD

Les Vieux fourneaux (2 volumes, en cours) Scénario : Wilfrid Lupano Dessins et couleurs : Paul Cauuet Editions : Dargaud, 2014 (12€) Public : Ado-adulte Pour les bibliothécaires : Prix des libraires 2014. Indispensable !

Chroniques BD, Recommandé par IDDBD

Jane, le renard & moi (Arsenault & Britt)

Hélène est une fille à peine sortie de l’enfance qui subit harcèlement et intimidation de la part de ses « amies d’écoles ». Heureusement, pour l’aider à surmonter sa solitude, elle se réfugie dans le monde de Jane Eyre, dans le réconfort de sa mère et dans son imagination débordante. Avant de commencer cette chronique je tiens à remercier mes camarades de KBD qui m’ont poussé à relire Jane, le renard & moi sur lequel je m’étais arrêté distraitement il y a quelques mois. Fatigué, mal luné ou que sais-je ? J’avais lu et n’avais pas trouvé dans ces pages l’œuvre époustouflante dont tout le monde parlait. Je refermais donc l’album et passais à autre chose. A vrai dire, je suis peut-être un sombre blogolecteur de mauvaise foi mais il devait quand même me rester un soupçon de doute quand Mo’ proposa cet album à la lecture pour une future synthèse de KBD. Je m’inscrivais donc sur la liste en me disant qu’il faudrait bien une voix dissonante pour donner un peu de fil à retordre au rédacteur de la synthèse dominicale. Ainsi, installé sur mon canapé, je me replongeais dans la première bande dessinée du duo Isabelle Arsenault et Fanny Britt. Immédiatement, la magie opéra, m’emmenant dans cette école très commune où une enfant très commune se retrouve dans une situation, elle aussi, des plus communes. Retour vers le futur… et les mots de la petite Hélène, unique narratrice de l’histoire, qui résonne dans mon esprit. Ce sentiment de rejet que, vous, moi, elle, avons tous un jour connu avec plus ou moins de force. Et la cruauté des enfants. Et l’envie de trouver une échappatoire à l’ordinaire stupide et méchant. Les textes de Fanny Britt sont d’une justesse incroyable et prennent leurs aises grâce au travail d’illustration remarquable d’Isabelle Arsenault. Avec son utilisation très surprenante d’une couleur capable d’éclater au milieu d’un océan de gris, elle réussit à créer l’atmosphère nécessaire à l’épanouissement des mots. Une véritable osmose se créent naturellement entre les deux auteurs. Quand Hélène parle, le dessin d’Isabelle absorbe les non-dits, les descriptions, tout ce qui pourrait « polluer » ou alourdir le texte de Fanny. Mais quand le texte laisse toute la place, alors c’est une puissance créatrice – celle de l’imagination –  qui se réveille avec des doubles pages fantasmagoriques qui entrainent encore un peu plus le lecteur dans ce monde à la fois fabuleux et réaliste. Cette osmose entre les éléments graphiques et narratifs crée un album particulièrement fort, et surtout très juste. Tour à tour ou ensemble, les deux auteurs savent jouer sur les rythmes, sur la finesse des sentiments, sur les petits riens qui, sans être explicites, font toute la différence entre une simple histoire et un récit qui touche profondément. Et pourtant, si peu d’effets de style ! Beaucoup de simplicité – ou en tout cas d’épure – dans une forme qui définit pour moi toutes les qualités de la bande dessinée québécoise et plus largement nord-américaine. Si on connait depuis longtemps les qualités des auteurs américains, leurs cousins canadiens n’ont rien à leur envier. Avec un vrai souci du récit intime loin d’un nombrilisme de plus en plus pénible dans la BD européenne (dois-je vous reparler de Paul ?), une qualité graphique indéniable (ou de Jocelyn Houde ?), une forme d’autodérision et de fantaisie (au hasard Rémy Simard), on peut admettre qu’il se passe des choses Outre-Atlantique. Pour terminer sur Jane, le Renard & Moi, on ne peut être qu’admiratif devant ce travail d’une réelle justesse et d’un équilibre parfait. Un album qui saura toucher grand, petit, moyen, un travail à montrer aux apprentis auteurs. Ce récit parlera aux jeunes collégiens mal-à-l’aise dans leur peau, à leurs parents qui ont connu cela, à ceux qui l’ont fait subir aussi. Et puis, comme le monde n’est pas si noir, cette fable moderne a sa morale. Là aussi tout en naturel et en simplicité. A lire : les chroniques de Mo’, Lunch, Badelel et Bidib A découvrir : la fiche album sur le site de La Pastèque

Jane, le Renard et Moi (one-shot) Scénario : Fanny Britt Dessins : Isabelle Arsenault Editions : La Pastèque, 2012 Public : Tout public Pour les bibliothécaires : Vous ne l’avez pas encore ? En ados, en adultes, en jeunesse… ou vous voulez mais achetez-le ! Et faites ce qu’il faut pour le faire sortir !

Chroniques BD, Recommandé par IDDBD

City Hunter (Tsukasa Hojo)

Quand vous n’avez plus d’espoir, que la justice ou la police ne peuvent plus vous aider, alors laissez le message XYZ à la gare de Shinjuku. Car dans la jungle du quartier tokyoïte, le duo City Hunter règle les affaires sensibles. Derrière ce pseudonyme se cache le sage Hideyuki Makimura et l’exubérant Ryo Saeba. Un duo de choc dans une ville menacée par les cartels de la drogue sud-américains.

De Nicky à Ryo

City Hunter est surtout connu par le grand public grâce à son adaptation TV : Nicky Larson. Si cette version française a rendu service à la série et à l’introduction du manga en France en étant l’un des grands succès de la génération Club Dorothée (de 1987 à 1991), elle a également contribué à donner une image très décalée de l’œuvre originale. La faute à une censure et à un doublage farfelue qu’on hésite à qualifier de mythique ou de summum du ridicule. Il fallait donc se replonger dans le manga publié de 1986 à 1992 dans le Jump pour découvrir les  aventures originales de Ryo Saeba. Pour le replacer dans l’histoire du manga, il faut se rappeler que les années 1970-1980 sont un peu l’âge d’or de la bande dessinée japonaise contemporaine. Les jeunes auteurs nés dans les années 50 ou 60 bénéficient des avancées artistiques des pionniers d’après-guerre et font preuve eux-mêmes d’une grande créativité. Dragon Ball, Akira, La Rose de Versailles et City Hunter font partie des réussites majeures de cette période.

Schizophrénie à la japonaise

Le succès et le ressort même de cette série reposent sans conteste sur la personnalité de Ryo Saeba, le fameux « nettoyeur ». A la fois loup solitaire et joyeux drille, grand professionnel et détraqué sexuel, il est surtout clown qui cache sa sensibilité sous le couvert du n’importe quoi. En fait, l’apport même de City Hunter à la bande dessinée japonaise est justement la popularisation d’un héros porteur du fameux double héritage culturel (cf la première partie du texte de la formation manga). Ryo Saeba est à la fois la figure du samouraï chère à la tradition noble et bourgeoise de l’ère Edo, mais il est aussi l’héritier des personnages de récits populaires bénéficiant d’un rapport au corps très libre. Cette liberté est d’ailleurs souvent une source d’incompréhension pour le lecteur occidental de manga.  Ainsi, le lecteur de City Hunter sera constamment balancé entre scènes d’actions sérieuses et moments franchement décalés où sexualité et ridicule sont la règle. Comme symbole, le fameux Mokkori, instant de grâce ultime où Ryo Saeba réagit de manière très masculine à une situation d’excitation particulièrement érotique (pour lui). Bref, pour ceux qui ne connaissent pas… je vous laisse découvrir.

Belles formes et actions : l’art de Hojo

Durant 32 volumes, soit 336 chapitres, le cowboy au grand cœur fera régner la justice face à des adversaires toujours renouvelés à coup de gros flingues (Freud mon ami !) et de coup de poing. Même si globalement les ressorts sont toujours un peu les mêmes, Tsukasa Hojo a su entourer son personnage principal d’une galerie de second rôle tout à fait croustillant. En tête, ce faux second rôle qu’est Kaori (la fameuse Laura de l’adaptation TV française). La sœur de Hideyuki entre tragiquement dans la vie de Ryo. Sous ses airs de garçon manqué, elle prend une place prépondérante dans la série. Si City Hunter est un polar, l’auteur y fait entrer une histoire d’amour. Qui a dit que les garçons (public cible de ce manga à la base) n’aimaient pas les romances ? Cependant, cette dernière est bien cachée par le côté ouvertement érotique de la plupart des protagonistes féminins secondaires. Ce côté « belle forme » est une marque de fabrique chez Hojo. Pour rappel, il est également le créateur de jolies voleuses de Cat’s eyes. Ce choix assumé est particulièrement efficace grâce à l’approche réaliste de son dessin. En effet, il a su intégrer les codes graphiques du manga hérité de ses aînées tout en développant sa propre forme. Ainsi, on oublie (un peu) les caricatures et les grands yeux pour des personnages fortement sexués et des décors réalistes. Gardant un découpage très nerveux, Tsukasa Hojo donne beaucoup de rythme à ses aventures, ménageant avec efficacité moments d’actions et de rigolades. Et c’est vrai, on rit beaucoup tout en étant pris par les histoires (environ deux par albums). Pour conclure, un classique… et quel classique ! Bénéficiant d’une image brouillée en France, City Hunter n’en demeure pas moins une œuvre importante du shonen manga (même si je le conseille plutôt pour un public plus adulte). A la fois drôle et bourré d’action, ce manga a ouvert la voie à des personnages de « clowns nobles » (Eikichi Onizuka de GTO par exemple) et montre toutes les qualités graphiques et narratives d’un auteur incontournable. Bref, à découvrir… ou redécouvrir !

City Hunter (32 volumes, série terminée) Dessins et scénario : Tsukasa Hojo Editions : Panini, 2005-2012 (10€) Editions originales : Shueisha, Tokuma Shoten, 1986-1992 Public : Adulte Pour les bibliothécaires : Considéré comme un shonen (public ado garçon) à sa sortie. Pour moi un indispensable en rayon adulte. Sous réserve de pouvoir acheter les 32 volumes. Mais bon… un classique quand même !

Chroniques BD, Recommandé par IDDBD

Wet moon T1 (Atsushi Kaneko)

Dans le Japon des années 60, le jeune inspecteur Sata revient d’une longue période d’absence. Qu’est-il arrivé ? Il ne le sait plus très bien. Il se rappelle de cette femme, accusé du meurtre d’un ingénieur fabriquant des modules pour un étrange programme spatial. Mais avec ce bout de métal dans son cerveau, il n’est plus sûr de rien. Une enquête entre hallucination et réalité.

Lynch, Burns… Kaneko !

Quand un éditeur essaye de vendre son livre à travers sa 4e de couverture, il aime parfois faire des références à des œuvres ou des auteurs majeurs. Ainsi, il n’est pas rare de retrouver les mêmes créateurs sur certains genres de livres. Par exemple, dès qu’il y a un peu d’écologie et de poésie, paf, on vous balance un Miyazaki ! C’est effectivement plus facile. Miyazaki, ça rassure quant à la qualité même si la plupart du temps, on se paye un peu notre tête.

Bref, en lisant la 4e de Wet Moon, j’ai souri en voyant les références à l’univers de David Lynch et à l’univers graphique de Charles Burns. Pour ceux qui ne suivraient pas, grosso-modo, une référence « lynchienne » correspond à un univers évoluant dans des sphères entre fantasmagorie et réalité, où le lecteur se trouvera sans repère. Normalement, au bout de l’histoire, chacun aura son interprétation… ou pas. Bref, Lynch c’est beau mais personne ne comprend vraiment ce qu’il veut dire. Je caricature un peu évidemment. Je ne voudrais pas me fâcher avec la secte lynchienne qui ne me lit sûrement pas de toute façon.

Pour continuer sur des bases plus simples pour un amateur de bande dessinée comme moi, une référence graphique à Charles Burns indique une très bonne maîtrise du noir et blanc. Si l’absence de couleurs dans le manga n’est pas rare, faire référence à un artiste américain en parlant d’un illustrateur japonais est en revanche plutôt une surprise.

Créateur en liberté

Mais n’oublions pas qu’il s’agit d’Atsushi Kaneko. Après Bambi et Soil, il nous entraine encore dans un univers complètement déjanté à la limite de… de quoi d’ailleurs ? Cet auteur bénéficie vraiment d’une liberté créative rare dans le milieu du manga des années 2010 et c’est véritablement toute sa force !

Dès les premières planches, nous voici plongés dans l’univers d’un roman noir : meurtre sadique, gueules de monstres, moiteur d’une station balnéaire, obsessions, flics ripoux. Au milieu, la lune où les russes viennent de débarquer, où le Japon souhaite se poser. Quel rapport avec notre histoire ? Bonne question. Mais pour résoudre cette énigme, il y a notre héros. Un personnage à la hauteur de ce monde, un tout jeune inspecteur de police qui porte dans son cerveau les germes de la folie, un petit bout de métal qui se balade et qui dérègle sa réalité…

La suite ? Une perte rapide de repères entre passé et présent dans des effets de découpages souvent hallucinés. Comme Sata, nous ne savons pas vraiment où Atsushi Kaneko nous entraine et quels sont les réalités des images que l’on perçoit. Entre métaphores, souvenirs et fantasmes, le chemin sera long avant de connaître le dénouement d’une histoire déjà bien prenante. Car l’auteur, loin de nous perdre complètement, nous laisse des indices, nous éclaire peu à peu sur les zones d’ombres… mais sommes-nous assurés de recevoir les bons éléments ? De là naît l’intérêt de suivre le récit jusqu’à son terme.

Pour une fois, je dois admettre que les références choisis par les éditions Casterman sont plutôt bien vues. Avec son trait noir épais et ses codes graphiques bien plus proche de l’univers des indépendants américains, Atsushi Kaneko rappelle assurément d’un auteur comme Charles Burns (je pense à El Borbah par exemple). Quant à l’univers ? Un seul adjectif me vient en tête : lynchien !

A noter que Wet Moon a reçu le Prix Asie de l’ACBD 2014.

A lire : la chronique d’Yvan et celle de Marie

Wet Moon T.1 (séries en cours, 2/3 tomes parus, série terminé)
Scénario et dessins : Atsushi Kaneko
Editions : Casterman, 2014 (8,50€)
Collection : Sakka
Editions originales : Kadokawa, 2012

Public : Adulte
Pour les bibliothécaires : plus court que Soil, bien parti pour être une série intéressante. A suivre mais pour 3 volumes, ça vaut le coup.

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Chronique | GTO : Great Teacher Onizuka (Toru Fujisawa)

Eikichi Onizuka, 22 ans, toujours puceau ne sait pas vraiment quoi faire de sa vie. Par un improbable concours de circonstance, il devient enseignant stagiaire dans un collège privée très réputé ? Mais comment lui, issu d’une université de 5e catégorie, ancien chef de gang bosozoku (motards), va-t-il faire face aux élèves, enseignants et parents qui veulent tous sa peau ? Avec fantaisie, humour, inventivité… et pas mal de surprises.

Un classique des 90′

Je profite de mes vacances d’été pour relire quelques classiques et GTO fait incontestablement partie de cette catégorie. Dans le style Shonen Gankuen – les histoires se déroulant en le milieu scolaire – c’est tout simplement un incontournable. De 1997 à 2002 et 25 volumes, Tôru Fujisawa et son équipe ont conquis un grand nombre de lecteur. Depuis de nouvelles séries de mangas, une anime (43 épisodes), des dramas ont vu le jour… La preuve d’un succès populaire incontestable.

Pourtant, GTO dresse un portrait particulièrement sombre du système éducatif japonais : violences, intimidations, abandons, suicides, obligations de résultats, égoïsme, parents absents, professeurs désabusés ou obsédés… Des jeunes filles sont la proie de détraqués sexuels à tous les coins de rue ou dans les transports. Des jeunes garçons sont complètement perdus dans un monde qui ne leur donne pas de repères. Nous sommes clairement dans le manga des années 90, mélange des grands thèmes d’après-guerre (la perte de confiance envers les adultes) et de cette remise en cause des valeurs du miracle japonais né avec la bombe Akira quelques années plus tôt. Pour rappel, en 1997, date du début de publication de GTO, le japon se remet à peine de l’éclatement de la bulle économique.

Héros, culottes et grandes valeurs

Au milieu de ce petit monde : Eikichi Onizuka. 22 ans, puceau, ancien chef de gang, capitaine de l’équipe de karaté d’une université pourrie où il est rentré en envoyant quelqu’un d’autre à sa place. Il est nul, ne connaît rien hormis les motos et pourtant…

Ce dernier se situe dans la droite ligne de ces héros des années 80/90 totalement anticonformiste mais porteur de réelles valeurs humaines. En fait, Onizuka est plus proche d’un Ryo Saeba (Nicky Larson en français) que du Gérard Klein dans l’Instit. Violent, obsédé sexuel, ados totalement attardé ne s’intéressant qu’à des futilités, il débarque un jour dans ce petit monde, semble mettre le bazar mais règle finalement les problèmes les uns après les autres. Au cours des 25 volumes de GTO, les soucis qui se posent à lui sont aussi variés que surprenants. Mais Tôru Fujisawa trouvent sans cesse de nouvelles façons de rebondir pour nous plonger un peu plus dans son monde. Ainsi, les nombreux cycles de cette histoire sauront vous faire découvrir de nouveaux aspects de la personnalité des personnages. Ados, profs, parents, tout ce petit monde qui forme une grande communauté à la fin de l’histoire, trouvera le moyen de vous séduire… et surtout de vous faire rire. Car c’est avant tout le but de GTO.

Cet humour est parfois très pipi-caca-petite-culotte blanche et saignement de nez. On peut d’ailleurs légitimement se poser la question de la présence de GTO dans la catégorie manga pour ados tant le côté sexuel est présent dans ce manga. De quoi avoir quelques maux de têtes pour les les bibliothécaires qui choisiront de l’intégrer dans leur secteur jeunesse ou ados. Au passage, cela prouve encore toute la liberté de ton des auteurs japonais par rapport à la bande dessinée franco-belge ou américaine. GTO serait tout simplement impossible chez nous. D’un autre côté, ce manga – hors de cet humour japonais très libre – aborde des thèmes qui parleront très fortement aux plus grands : prise de responsabilités, conscience de ses actes, importance de l’amitié et de la communication. Bref, une réflexion plus intéressantes qu’il n’y paraît sur le passage à l’âge adulte (héros principal compris) et des valeurs nobles portées par un héros charismatique et totalement iconoclaste.

Bref, si vous ne connaissez pas GTO, si vous souhaitez découvrir une série un peu longue qui saura vous détendre sans pour autant être totalement débile, si vous aimez les bons personnages avec un peu de profondeur, découvrez ce Great Teacher Onizuka. Assurément, une série qui vous procurera pas mal de joie !

A lire : le dossier Manga-news
A voir : Passion-GTO, un blog consacré uniquement à l’univers d’Onizuka

GTO : Great Teacher Onizuka (25 volumes, série terminée)
Scénario et dessins : Tôru Fujisawa
Editions : Pika, 2001-2004 (Nouvelle édition double en 2012)
Editions Originales : Kodansha (1997-2002)

Public : Grands ados-adultes
Pour les bibliothécaires : un classique mais en 25 volumes (enfin 13 avec l’édition double). Série terminée. A avoir dans une mangathèque idéale malgré quelques références qui ont un peu vieillies.

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