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Chroniques Cinéma, Recommandé par IDDBD

Casedoc#4 | Edmond, un portrait de Baudoin (Laetitia Carton)

Durant plus d’un an, la réalisatrice a suivi Edmond Baudoin. A 70 ans, cet ancien chef-comptable devenu dessinateur par désir profond et par peur de l’ennui fait partie des grands auteurs de la bande dessinée contemporaine. Avec son dessin unique au pinceau, il est dès ses premières planches dans les années 80, un personnage tout à fait à part dans l’édition. 30 ans et une cinquantaine de livres plus tard, ce portrait filmé nous permet de le découvrir dans son intimité, entre son petit village de l’arrière-pays niçois, les grands festivals et surtout les discussions feutrées autour d’un dessin, moments privilégiés d’échanges sur l’art, la liberté, la vie.

Au risque de me répéter, dire qu‘Edmond Baudoin est un monument de la bande dessinée est un doux euphémisme. Totalement décalé dans la production très standardisée des années 80, il reste malgré l’explosion de l’édition alternative, un auteur « différent ». Je dois avouer que je partage avec la réalisatrice – et sans doute beaucoup des amateurs de Baudoin – un rapport très particulier à cette œuvre majeure, reposant principalement sur l’intime et une façon singulière de raconter des histoires.

D’ailleurs, en y réfléchissant un peu, Baudoin ne raconte pas d’histoires. Il les livre à la vue des lecteurs. Et c’est justement toute la réussite de ce film : reprendre cet état d’esprit particulier. Par l’intermédiaire d’un montage réalisé avec beaucoup de justesse, Lætitia Carton met en parallèle ses propres images avec celle d’Edmond Baudoin. Elles illustrent ainsi les lieux, les discours et les pensées offertes à la caméra par le dessinateur. On découvre ainsi ce lien permanent entre l’œuvre et l’homme. Les lieux, les paysages, les êtres voire même les situations qui peuplent les albums de Baudoin sont irrémédiablement liées à sa vie.

De plus, la complicité entre la réalisatrice et son sujet (qui a d’ailleurs participé à l’écriture) lui permettent d’offrir au spectateur une vision profonde de l’homme. Outre l’artiste, on découvre un message, celui d’un homme qui a fait le choix de la liberté, de la passion et d’une certaine forme d’épicurisme. Une philosophie qui trouve son écho dans les traits de son pinceau. Libre et profond.

Une belle mise en perspective soutenue (je m’en voudrais de l’oublier) par une bande-son entre jazz et accordéon de grande qualité. Un film réussi qui donne envie d’en découvrir un peu plus et de retourner sur le chemin de St-Jean.

A noter : ce film n’est pas pour l’instant pas diffusé autre part qu’en festival et recherche donc un diffuseur. A bon entendeur…

A lire : le film ayant été financé en partie via Ulule, retrouvez la page de présentation

A voir : la bande annonce

EDMOND, un portrait de Baudoin (trailer) from Kaleo films on Vimeo.

 

Edmond, un portrait de Baudoin
Réalisateur : Laetitia Carton
Durée : 86′
Production : Kaelo
Année de production : 2014

Recommandé par IDDBD

Chronique | Légendes de la Garde : la Hache Noire (David Petersen)

Des décennies avant les évènements de l’année 1152, Celanawe, soldat aguerri de la Garde du royaume des souris, est envoyé à la recherche de la mythique hache noire. Une quête légendaire qui le mène bien au-delà de la mer et de ses propres interrogations.

Mini-chroniques pour grands héros

Si vous avez déjà lu la première chronique d’IDDBD de l’Hiver 1152 (T2 de la série), vous savez déjà tout le bien que je pense de Légendes de la Garde. Alors pourquoi revenir aujourd’hui sur le 3e opus paru en octobre dernier ?

Il s’agit tout d’abord de saluer le geste d’auteur. David Petersen ne tombe pas dans la facilité en se contentant de transposer l’univers de la fantasy classique vers un royaume de souris. Il évite l’écueil « kawaï » (oh les belles p’tites souris qui se battent avec leurs mignonnes p’tites z’épées !). Non, malgré leur taille, les soldats de La Garde sont des héros au sens noble du terme. Haute valeur morale et grand devoir pour petits personnages.

 

Cependant, jusqu’à ce troisième album, il manquait peut-être le détail permettant d’inscrire cette œuvre dans la lignée des grandes sagas de fantasy. Ce détail qui fait la différence entre une simple histoire de guerriers courageux et une légende de héros intrépides, celle qui résonne dans les mémoires. Et c’est avant tout pour cela qu’il convient de revenir sur cet album très particulier, à la fois indépendant et terriblement attaché à l’ensemble.

Entrer dans la légende

Avec 40 ans de recul par rapport aux événements des premiers livres, David Petersen offre à ses lecteurs une profondeur temporelle qui fait toute la différence. Cette dernière donne à l’univers créé une cohérence évidente. Malgré les effets graphiques et narratifs des premiers volumes, en particulier les belles illustrations type enluminures médiévales, le récit ne s’inscrivait pas forcément dans une dimension « historique ». Or, avec La hache noir, titre du 3e volume, l’histoire prend des airs de roman d’apprentissage quasi-mystique. Une dimension incarné par le personnage principal de toute la série : cette fameuse hache noire. Entre mythe et réalité, ce terme de Hache noire qui désigne aussi bien l’arme que son porteur est la base d’une mémoire collective et représente le véritable lien entre les générations de souris. N’est-ce pas le rôle des mythes d’être le ciment d’une société ? Cet album le construit pour nous.

 

Si l’histoire peut se lire indépendamment des autres volumes de la série, on s’aperçoit de tous les détails évidents qui sautent aux yeux. On voit naître des lieux et des personnages que l’on s’amusera à retrouver dans les albums précédents. On comprend alors mieux un certain nombre d’évènement. Bref, on se replonge avec amusement dans le foisonnement graphique et narratifs des premiers volumes. Bref, ce 3e volume permet de repartir dans la découverte de l’univers avec, en plus, ce plus-que-détail qui donne toute sa mesure à cette œuvre si particulière dans le paysage de la bande dessinée.

Pour finir, dernière bonne raison de lire cette série : dans le cadre de nos lectures estivales, nous vous proposerons bientôt une synthèse KBD sur l’intégrale de cette série. Bref, vous n’aurez plus d’excuses si vous passez à côté !

A lire : les chroniques de Yvan et Bulles et Onomatopées

Légendes de la garde : la hache noire (3e volume de la série)
Titre Original : Mouse Guard : the Black Axe
Scénario et dessins : David Petersen
Editions : Gallimard Jeunesse, 2014 (21€)
Edition originale : Archaia Entertainement, 2013

Public : Tout public
Pour les bibliothécaires : une super série qui demande toutefois d’être portée auprès d’un public plus jeune. Un must-have !

Chroniques Cinéma, Recommandé par IDDBD

Chronique | Marina Abramovic : the artist is present (Matthew Akers)

En 2010, le MoMA, le célèbre musée d’art contemporain de New York, consacre une rétrospective à l’œuvre de Marina Abramovic. La plasticienne serbe réalise depuis 40 ans des performances mettant à l’épreuve son propre corps. A la veille de cette exposition, nouvelle démarche artistique en soi, le réalisateur Matthew Akers se penche sur cette artiste hors limite.

L’art de la question

Parfois, le hasard nous fait découvrir une œuvre singulière qui change notre perspective sur un objet, une pensée, un mouvement. Pour tout vous avouer, je ne suis pas vraiment un aficionados de l’art contemporain. Je reste souvent dubitatif face à des œuvres dont l’expression esthétique me semble parfois réduite au minimum. A vrai dire, je n’ai pas vraiment les clefs. C’est donc avec un détachement très professionnel que j’ai découvert ce film, le visualisant d’un œil distrait afin de savoir où et comment le classer dans les rayons de la vidéothèque. Marina Abramovic, non, ça ne me disait rien.

Très vite, j’ai été happé par ce personnage charismatique, fille en mal de tendresse de héros communistes de l’ex-Yougoslavie, que certains aiment nommer « la grand-mère de la performance artistique« . Rester assise durant des jours, se flageller devant une caméra, jouer avec des couteaux, foncer dans un mur ou marcher durant 3 mois le long de la grande muraille de Chine pour rejoindre son amoureux parti de l’autre bout, voici quelques exemples d’œuvres réalisés par Marina Abramovic. Je vous entends vous poser LA question : « mais nom d’un petit flûtiau, en quoi est-ce de l’art ? »

L’art d’ouvrir les yeux

Cette question qu’on n’ose plus lui poser trouve tout son écho dans ce film et peut-être un début de réponse dans le nouveau défi qu’elle affronte dans la rétrospective qui lui est consacré au MoMA. The Artist is present est le nom de sa nouvelle œuvre. Pendant trois mois, durant l’ouverture du musée, Marina Abramovic sera dans un carré de lumière, assise sur une chaise, attendant qu’une personne veuille bien s’asseoir face à elle dans un dialogue silencieux. Dans cette rencontre entre l’artiste et son public, éprouvante pour la première, bouleversant pour le second, la question de l’art se pose sans cesse et apporte son lot d’interrogations et d’interprétations. Qu’apporte le public ? Qu’y trouve-t-il ? Est-il touché ?

Pour nous aider à comprendre, Matthew Akers utilise les outils classiques du documentaire : témoignage de son entourage professionnel, scène de travail, discussions avec Marina, retour sur le passé – en particulier sur sa relation avec l’artiste allemand Ulay – et focus sur des œuvres représentatives. Si parfois des effets faciles auraient pu être évités (une utilisation malvenue de violons par exemple), le réalisateur évite le schéma chronologique « jeunesse-début-accomplissement-présent ». Par un montage efficace, il dissémine les éléments afin d’en faire ressortir ce qui résonne dans la préparation et le déroulement de « The Artist is present« , véritable fil rouge du film.

Résultat, le spectateur reçoit des clefs de lecture permettant d’appréhender l’œuvre globale de l’artiste. Outre le caractère attachant du personnage principal – même si je la soupçonne de savoir particulièrement bien utiliser l’objet cinématographique – ce film est une porte ouverte vers une désacralisation relative de l’art contemporain. A l’image de cette performance et de cette artiste, il traite avec égalité le moindre spectateur, ouvrant son cœur les yeux dans les yeux. Quand l’art est émotion.

A lire : l’article de Libération sur la retrospective au MoMA

La bande annonce

 

Marina Abramovic : the artist is present
Réalisateur : Matthew Akers
Production : Show of force, HBO Documentary
Année de production : 2012

Chroniques Cinéma, Recommandé par IDDBD

Chronique | Jasmine (Alain Ughetto)

En 1978, Alain fait du cinéma d’animation en pâte à modeler et Jasmine étudie le théâtre de l’absurde. Ils tombent amoureux. En France, tout est simple mais à la fin de ses études, elle doit repartir en Iran au moment où une Révolution se met en marche. Quelques mois plus tard, il la rejoint à Téhéran. Tous les deux vivent une histoire d’amour singulière dans les heurts du changement. Mais il y a 30 ans, Alain laisse Jasmine et oublie la pâte à modeler.

Quand je tente de présenter le documentaire de création à des profanes, j’explique qu’il s’agit pour le réalisateur de chercher à capter l’instant afin de le retravailler à la manière de n’importe quel cinéaste pour donner sa propre vision du « réel ». Mais dès les premiers instants du film, il apparaît clairement que Jasmine échappe à cette définition très (trop) simple de ce qu’est le cinéma documentaire. Et oui, la création échappe encore aux petites cases du bibliothécaire !

L’angoisse d’une révolution

Ni tout à fait dans la réalité, ni tout à fait dans la fiction, Jasmine nous plonge dans les souvenirs amoureux du réalisateur. Mais des questions se posent : comment raconter le passé ? Comment en faire un documentaire sans images d’époques ? Qu’importe car une autre matière existe, bien présente. De réel, le réalisateur possède les dizaines de lettres envoyées par une jeune femme passionnée se languissant de l’absence de ce français dont elle est tombée amoureuse, la nostalgie et les regrets, les images oubliées en Super 8 ou encore, les archives d’une révolution pleine d’espoir au futur sombre.

La multitude

Quant aux images, comme un symbole, il choisit de les créer lui-même en renouant avec un savoir-faire qu’il avait perdu il y a 30 ans. Une matière « physique » cette fois-ci, une matière charnelle qui prend corps entre les doigts du réalisateur. Ainsi, pendant plus d’une heure, alternant prises de vue « réelles », images d’archives et séquences d’animation d’une beauté esthétique rare, Alain Ughetto raconte cet amour nostalgique et apaisé à l’aide de simple pâte à modeler. Il se met en scène en créant un personnage jaune et installe une  Jasmine bleue à ses côtés. Prenant vie, ces êtres incarnent une réalité, racontent l’Iran de la révolution, les femmes de ce pays, une autre culture et évoquent surtout une déchirure.

Sur les toits d’un Téhéran de polystyrène

Ainsi, bercés par les voix chaudes et profondes de Jean-Pierre Darroussin et Fanzaneh Ramzi, passeurs d’une écriture tout en subtilité, nous voici plongés dans une forme cinématographique bouleversante. A l’image de cette scène d’amour où les personnages et leurs couleurs s’entrelacent dans un jeu de couleur enivrant, ce film repousse sans cesse les limites. Celles d’un genre bien entendu mais aussi du regard sur l’autre.

Jasmine
Réalisateur : Alain Ughetto
Durée : 70′
Production : Les films du Tambour de Soie
Année de production : 2013
Distribution : Shellac Sud

Chroniques BD, Recommandé par IDDBD

Chronique | Cœur de Pierre (Gauthier & Almanza)

Il est né avec un cœur de pierre, elle, avec un cœur d’artichaut… (Synopsis éditeur)

Dans ce présent billet, je souhaitais rendre hommage
A l’écriture poétique de Séverine Gauthier
Qu’elle m’excuse par avance pour les futurs dommages
Et l’écrasement naïf de ses si jolis pieds

Bercé par un élan d’enthousiasme certain
cet album-là ma foi, a bien tout pour me plaire
Il surnage au milieu de ces vagues embruns
de BD jeunesses qui souvent m’indiffèrent.

Au milieu d’une biblio de mon quartier,
je l’ai vue exposé dans sa belle couverture.
Je m’en saisi aussitôt et d’un pas assuré
M’en allait tout gaiement vers sa saine lecture

J’avais entrevu un dessin en rondeur
Qui dès les premières planches se confirma.
Admirant tout autant ses belles couleurs,
j’aimais le travail de Monsieur Almanza

Contant les amours naissants de trois petits cœurs
Le texte était fort simple et touchant à la fois.
D’inspiration rappelant une Mécanique du cœur,
il faisait battre un rythme en tout point délicat

Pas d’excès de paroles dans des phylactères
mais une vraie osmose entre forme et histoire.
Qui malgré des thèmes parfaitement sévères
Saisit le sentiment et notamment l’espoir.

Balancé entre des cœurs d’or et de pierre
On s’identifie, on pleure et on s’inquiète.
Dans cet univers où ombre et lumière
aime à jouer ensemble jusqu’à perdre la tête.

Voici donc mon conseil à toi, ami lecteur :
Oublie donc ce billet qui vaut bien qu’on l’enterre
mais garde les noms de ces très bons auteurs
Gauthier, Almanza et leur Cœur de Pierre.

 

A découvrir : le blog de Séverine Gauthier

Cœur de pierre (one-shot)
Scénario : Séverine Gauthier

Dessins : Jérémie Almanza
Edtions : Delcourt (Jeunesse), 2013

Public : Tout public
Pour les bibliothécaires : Indispensable !

Chroniques BD, Recommandé par IDDBD

Chronique | Pendant que le roi de Prusse faisait la guerre, qui donc lui reprisait ses chaussettes ? (Zidrou & Roger)

Catherine a 72 ans, elle est veuve. Elle vit avec son fils, Michel, 43 ans, handicapé suite à un accident de voiture. La vie d’avant, Catherine y pense de temps en temps mais cela fait si longtemps. Au fil de ces petites histoires du quotidien, nous découvrons une héroïne, une vraie, de celle qu’on ne trouve pas dans les livres…

Le combat ordinaire

Il y a bien longtemps que je n’avais pas lu une BD franco-belge « classique » avec autant de plaisir. Posons les cartes sur la table, ce magnifique album bénéficie déjà du très fameux label Recommandé par IDDBD. Comment dire ? Il n’y a rien à jeter. Ni la très belle écriture de Zidrou, décidément très inspiré pour évoquer les handicaps ou la maladie (cf l’excellentissime série Boule à Zéro), ni le dessin de Roger qui par sa simplicité et une très belle mise en couleurs répond parfaitement aux propos de l’album. L’idée n’est pas d’entrer dans un pathos malvenu mais bien de parler d’un quotidien, du bon comme du mauvais, de désacraliser le handicap sans un discours démagogique et mensonger.

Pendant que le roi de Prusse… est constitué de mini-chapitres, sorte de pièce de puzzle évoquant des instants de la vie de ces deux personnages. Michel est un gros bonhomme, adepte de puissance 4, de Playstation, d’éclairs au chocolat, de gilet à capuches… et de films pornographiques (si, si). A côté de lui, Catherine, une maman, une vraie, petite par la taille, grande par l’amour, prête à tout pour aider son fils malgré les difficultés et les frustrations. Le mot qui vient immédiatement à l’esprit au fil de ces petites histoires est justesse. Justesse dans le propos, dans les sentiments et dans tout ce qui n’est pas dit mais largement évoqué par des regards, des impressions, des couleurs. Un « non-texte » qui fait toute la différence. Rassemblés, ces nouvelles dressent un portrait tout en finesse à la fois drôle et émouvant. Capables de nous faire rire (la scène du vidéo-club) ou pleurer (au choix), elles se répondent, s’enrichissent, permettent de comprendre l’historique de cette vie. Au final, on ne peut qu’admirer cette petite femme bien plus forte que mille super-héros réunis, bien plus belle que mille héroïnes top-model à air-bags intégrés et string en peau de dragon. Elle a la force du quotidien, du temps qui passe.

Je vais arrêter là cette chronique bien trop élogieuse, pas la peine d’en rajouter. Ce billet est court mais pour une fois, je n’ai pas d’autres arguments que « Lisez Pendant que le Roi de Prusse…« . Simplement. Pour passer un bon moment. Pour lire un bon livre. Pour pleurer. Pour rire. Et le plus important, pour rencontrer une belle personne, une vraie gentille, une grande âme, de celle qu’on ne rencontre pas assez souvent. Peu importe qu’elle soit de papier car au fond, des Catherines, il y en a des milliers. Mais ces dernières ne font jamais de bruit, ne demandent jamais rien. Alors rendons leur hommage, à notre façon, par un sourire ou une larme, par la lecture d’un livre.

A lire : la chronique de Zaelle sur 9eart, la chronique de Ginie (B&O)et celle de Choco
A voir : la fiche album chez Dargaud

Pendant que le roi de Prusse faisait la guerre, qui donc lui reprisait ses chaussettes ? (one-shot)
Scénario : Zidrou
Dessins : Roger
Editions : Dargaud, 2013 (14,99€)

Public : ado, adultes
Pour les bibliothécaires : simplement indispensable. Sans aucun doute une des meilleures BD de l’année 2013.

Chroniques BD, Recommandé par IDDBD

Chronique | Vie de Mizuki (Shigeru Mizuki)

A plus de 80 ans et après une vie artistique particulièrement bien remplie, Shigeru Mizuki décide de se pencher sur sa vie. Pour cela, il utilise sa plume et le dessin si particulier qui ont su séduire des milliers de lecteurs à travers le monde. Une autobiographie fleuve…

Les contes du vieux sage

Nous nous sommes longtemps regardés. Lui, tranquillement installé sur mon étagère, patientant doucement. Il me laissait m’approcher et prendre les livres d’à côté avec sagesse, sans jalousie. Sûr de sa force et du contenu de ses pages, il savait que son heure viendrait. De mon côté, j’apercevais cette grosse masse jaune au milieu des couleurs éparses de ma bibliothèque. Je l’évitais sans trop savoir pourquoi. Étais-ce la peur d’entamer un long chemin de croix ? Je m’étais déjà brulé avec l’indigeste biographie dégoulinante d’adoration de Tezuka produite par ses studios après sa mort. J’avais peur d’un long déballage de grandeur et de réussite…  Et puis, un matin naturellement, j’ai tourné la première page. Ingrat, c’est le mot. J’étais un ingrat incapable de faire confiance à un vieux sage. Comment oublier ces bons moments passés au milieu de l’imaginaire japonais, des tribulations d’une vieille femme, des aventures d’un petit héros mort-vivant ou dans les absurdités d’une guerre ? Dès les premiers instants, Shigeru Mizuki nous fait partager ses souvenirs personnels. Bienvenus dans le Japon d’avant-guerre, dans une famille moyenne japonaise dont la vie n’est pas toujours simple dans ce climat de nationalisme exacerbé. Le père est un insouciant un peu naïf qui va vite devoir quitter la maison pour nourrir ses 3 fils (Shigeru est le second) et sa femme. Rien de bien extraordinaire sinon cette incroyable simplicité dans le ton qui, sans en avoir, l’air nous décrit peu à peu un la société nippone et nous prouve tout le talent de conteur du mangaka.

Figure de l’anti-héros

Artiste dans l’âme sans pour autant trouve sa voie, l’auteur est loin de se présenter comme un super-héros du manga. Humilité toute japonaise ? Sans doute. D’ailleurs, il insiste sur ses plus mauvais côtés. Petit garçon puis jeune homme original, Shigeru est paresseux, gourmand, plonge ses parents dans un désert de perplexité et provoque parfois l’agacement chez ses lecteurs. Ce qui frappe avant tout c’est la dualité entre l’auteur et le personnage de son récit. Du haut de ses 80 ans, le mangaka fait preuve d’un recul impressionnant. Il est en effet capable d’une vraie férocité vis-à-vis de lui-même, de sa famille et de son pays. Son personnage est perpétuellement détaché de la réalité, son insouciance est chronique. Très tôt, il est bercé par les histoires et les croyances de cette vieille domestique dont il fera plus tard l’héroïne d’un de ses plus grands livres. Son imaginaire est son œuvre à venir sont déjà bien présent.

Loin du manga

Mais cette faculté à se couper du réel ne lui évite pas de participer à la guerre du Pacifique. Alternant phases de souvenirs personnels avec son graphisme rond habituel et longues explications historiques par un dessin ultra-réaliste, Shigeru Mizuki dresse avec virulence le tableau d’une époque où boucherie, humiliations; aveuglement sont les maîtres-mots. Une période qui lui inspire quelques œuvres dont Opération Mort (prix du patrimoine à Angoulême en 2011). Sans en avoir l’air, il engage son statut d’auteur dans une critique politique et sociale puissante de vérité. D’ailleurs, comme un fil rouge entre le passé et le présent, on retrouve les figures réelles ou imaginaires qui hantent sa carrière de mangaka. Parfois, narratrices, protagonistes ou simples détails, elles sont déjà présentes dans l’esprit de ce petit garçon passant au fil des pages de jeune adulte inconscient à dessinateur-vétéran de guerre. C’est bien beau mais… et le manga dans tout ça ? Secondaire, anecdotique même durant les deux premiers volumes de cette autobiographie. Mizuki prend ses lecteurs à contrepied. On aurait pu imaginer une belle histoire du manga alternatif. Mais non. Si comme beaucoup d’enfants de son milieu, Shigeru lit les mangas d’avant-guerre (Norakuro notamment), il n’y pas grand choses de plus hormis quelques références (notamment à Katsuchi Nagai, créateur de la revue Garô). En fait, même s’il dessine beaucoup, le manga ne semble pas encore faire partie de sa vie. Revenu de la guerre, Mizuki devient d’ailleurs dessinateur de kamishibaï, un job difficile et mal payé. Quand cette pratique tombe en désuétude dans le milieu des années 50, Mizuki se rabat sur le moyen d’expression populaire qui explose… le manga. Le succès ? Évidemment… mais ce sera à lire dans le tome 3 (à paraitre). Durant les 1000 premières pages de cette œuvre monumentale, Shigeru Mizuki ne livre pas un testament spirituel ou artistique, mais en tant qu’auteur, livre sa vision de l’histoire japonaise. Avec toujours ce détachement qui semble être une part profonde de sa personnalité, il joue avec son propre personnage tout en donnant un  point de vue souvent acide. Une œuvre riche qui fait de l’autobiographie un outil de compréhension du monde et non un genre nombriliste. Vie de Mizuki rejoint ainsi Une vie dans les marges de Yoshihiro Tatsumi au rang des livres incontournables. Deux grands auteurs pour mieux comprendre le manga… et le Japon.

Vie de Mizuki (2/3 volumes parus) Scénario et dessins : Shigeru Mizuki Editions : Cornélius, 2012 (33,50€) Public : Adulte Pour les bibliothécaires : Incontournable si vous êtes capable de mettre 100€ pour 3 albums. Ce qui constitue la seule limite à  l’achat de cette série. Je comprends bien la volonté de faire des beaux livres, la lecture est particulièrement agréable. Mais 35€ le volume pour une œuvre qui, pour moi, est incontournable en bibliothèque publique, c’est dur ! Tant pis pour les pauvres ou ceux qui n’ont pas de grosses bibliothèques à portée.

Chroniques BD, Recommandé par IDDBD

Chronique | Knights of Sidonia (Tsutomu Nihei)

An 3394 de l’ère commune, le dernier contact du Sidonia avec un autre vaisseau humain date de plus de 700 ans. Voici plus d’un millénaire que ce vaisseau-monde ère dans l’espace. 1000 ans que la Terre a été détruite par les Gaunas, une race d’extraterrestres avec laquelle les terriens n’ont jamais pu entrer en contact. Et même si aucune attaque n’a été répertoriée depuis longtemps, ces êtres restent encore une menace pour le vaisseau et l’existence même de l’humanité. Seuls les pilotes des sentinelles armés d’Aristats peuvent combattre ces envahisseurs. L’histoire débute quand Nagate Tanikaze, un jeune homme sorti des tréfonds de la colonie, est capturé après un vol de riz. Ayant vécu ses premières années isolé du reste de Sidonia, il découvre peu à peu ce monde. Mais qui est-il vraiment ? Pourquoi lui confie-ton immédiatement un ancien modèle de Sentinelle ? Quel est son rôle dans l’avenir de Sidonia ? Toute saga a son héros.
Nihei pour les nuls

« En a-vant combatant de la lumièèèèè-re, notre vie vous l’avez entr-e vos… » Euh… Désolé. En relisant Knights of Sidonia j’ai immédiatement eu un petit coup de revival version Robotech. Ah, Robotech ! THE anime avec des pilotes d’avions-robots combattants des extraterrestres ! Ça ne date pas d’hier certes mais les mechas est un peu au manga ce que le jeu de mot est à Astérix, une base incontournable. Celui qui n’a pas lu ne serait-ce que quelques pages ou vu quelques séries de ce genre, ne peut pas affirmer sans rougir connaître la bande dessinée ou l’animation japonaise.

Pourtant, j’ai été surpris de voir Tsutomu Nihei se lancer dans une longue série (déjà 11 volumes au japon) de ce style. Tellement surpris que je suis même allé vérifier si mon cerveau ne me jouait pas des tours. Tsutomu Nihei, auteur du mythique Blame ou du court Abara… C’était bien lui. Un auteur dont l’univers pourrait aisément se qualifier de SF punk apocalyptique. Un univers toujours particulier qui fait appel aux angoisses, aux songes, se basant souvent sur des métaphores plus complexes. Bref, dans mon monde de lecteur, Nihei est un chaînon entre la BD grand public et indépendante, un créateur exigeant demandant des efforts à son lecteur. Il m’a d’ailleurs bien souvent laissé à la porte.

Un Gauna sous une forme humanoïde
Ultra-monde et… litchi

C’est vous dire si j’avais quelques appréhensions à l’entame de ma lecture de cette saga spatiale. Mais très vite, j’étais rassuré par un départ plutôt classique : un vaisseau perdu, une menace qui plane, un jeune héros… Tout commençait bien même si le trait des visages et la multiplication des personnages rendaient parfois la lecture un peu complexe. C’est du Nihei me disais-je, un petit effort. Nous découvrons donc Sidonia en même temps que notre héros. Un monde vaste, riche et surprenant, ponctué d’humains androgynes, de clones et de manipulation génétique. Durant mille ans, la technologie humaine a bien évolué. Mais son monde, recréé de toute pièce dans le ventre de Sidonia (avec même un véritable monde marin, c’est vous dire la taille du vaisseau), est encore assez proche de la Terre des origines. D’ailleurs, l’auteur nous gratifie entre les chapitres de quelques Vues de Sidonia montrant ainsi toute la diversité de ce monde.

Ballade dans le monde marin

Très vite, l’histoire ne tarde pas à se mettre en route. Une action forte, teintée de peur et je dirais même d’horreur car ces fameux gaunas sont monstrueux et mortels aussi bien sur le plan scénaristique que graphique. Là encore c’est une marque de fabrique de Tsutomu Nihei qui nous a toujours habitués à des monstres aux traits très percutant. Comment vous les décrire d’ailleurs ? Euh… c’est ridicule mais bon. Grosso-modo, le gauna, structurellement parlant, c’est un peu un litchi. Le gros noyau à l’intérieur est le corps, la partie vulnérable. Ce dernier est protégé par l’Amnios, une matière blanchâtre quasiment indestructible qui l’entoure et prend n’importe quelle forme. Et quand je dis n’importe laquelle… Bref, je vous laisse la surprise mais je peux vous affirmer qu’il ne vous viendrait pas à l’idée de traiter un gauna de litchi si vous en croisez un dans la rue… Mais je m’égare.

Une sentinelle ? Vraiment ?
Le diable est dans les détails

Partant de ce principe de départ, l’auteur ponctue donc son récit de combat épique avec ces êtres venus d’ailleurs. Sans surprise, Nagate répond aux attentes placées en lui par la mystérieuse Amiral de Sidonia. Mais Knights of Sidonia n’est pas qu’une suite très classique de combats et de lasers dans l’espace. S’ils font partie du décor, les scènes à l’intérieur de Sidonia ont une importance croissante. Ceux qui ont déjà lu Tsutomu Nihei savent qu’il ne peut se contenter d’une ligne droite dans son scénario, ou du moins pas sous cette forme. Au fur et à mesure de la lecture, l’histoire gagne en effet en épaisseur et ce qui apparaissait jadis comme une partie du décor devient peu à peu un élément important d’une intrigue qui dépasse plus largement la guerre contre les Gaunas. Quant à Nagate, son attirance-répulsion pour ces extraterrestres interroge sur la nature même de ces derniers… Bref, nous entrons donc dans une sorte de jeu de guerre, jeu politique, thriller qui rend l’ensemble à la fois plus complexe et plus passionnant.

Le clonage c’est fantastique

Si Knights of Sidonia représente sans aucun doute l’une des portes les plus simples pour accéder à l’œuvre d’un auteur à l’univers très riche, elle n’en demeure pas moins une série fascinante. Comme toute bonne œuvre de SF, elle ouvre la voie vers de nombreux sujets (clonage, science, dialogue entre les peuples, ambition politique…). On s’attache à ce héros naïf et au destin de cette colonie futuriste, dernier bastion connu de l’humanité. Bref, un manga dans la plus pure tradition mais qui n’en reste pas moins passionnant… A recommander !

Knights of Sidonia (6 volumes parus, série en cours au japon)
Scénario et dessins : Tsutomu Nihei
Editions Glénat, 2013

Public : Ados-Adultes
Pour les bibliothécaires : une série qui a déjà dépassé les 10 volumes au Japon. Mais l’auteur n’est pas un habitué des séries à rallonge. A mon avis série importante dans ce genre.

Chroniques BD, Recommandé par IDDBD

Chronique | Mon ami Dahmer (Derf Backderf)

Dans les années 70, le jeune Derf Backderf est un collégien de la petite ville de Richmond, dans l’Ohio. Progressivement, il se fait des amis tout en fantasmant sur les filles et son avenir, qu’il imagine loin de sa ville. Dans cette vie d’ado américain moyen, il fait la connaissance d’un étrange garçon solitaire au comportement étrange : Jeffrey Dahmer. Très rapidement, il en fait la mascotte un peu trash des folies son groupe d’ami sans savoir que, des années plus tard, Jeff deviendra « le cannibale de Milwaukee », l’un des pires serial-killers de l’histoire des Etats-Unis. Chronique de la naissance d’un monstre.

Du mythe au réel

Dans la droite lignée du très fameux From Hell d’Alan Moore dont il s’inspire, Derf Backderf se jette dans les méandres de la pensée d’un tueur en série. Mais contrairement au grand scénariste anglais, l’auteur américain a partagé une partie de la vie de son sujet. Cette différence est fondamentale dans l’approche des deux auteurs. Jack l’éventreur, au même titre que le Père Fouettard est un mythe sans identité et sans corps apparent. Jeffrey Dahmer était un personnage bien réel, tout en chair, en malaise et en frustration. Quand Alan Moore tente d’expliquer les meurtres, Derf Backderf s’évertue à raconter la préhistoire de ce tueur. Il s’arrête quand tout bascule.

Mon ami Dahmer a connu une première version auto-éditée de 24 planches en 2002. Des années plus tard, frustré par cet album qu’il jugeait très moyen, l’auteur se remet à l’ouvrage, accumule les recherches et les témoignages.Tout y passe : la vie de Dahmer, ses interviews, ses parents, Richmond, le collège, les connaissances, les profs… La somme d’information dont on retrouve une partie en fin d’album sous la forme de notes est considérable. Le travail documentaire effectué, Derf Backderf pouvait se remettre au travail.

Ouvrir les yeux

Il avait enfin les éléments pour tenter de répondre à une question simple mais terrifiante : comment un jeune ado timide et décalé peut-il devenir un violent tueur en série ? Plus de 200 pages comprenant planches et notes tentent d’y répondre dans un graphisme niant toute forme de réalisme et qui, dans des nuances de gris, joue sur l’expressivité – voire la non-expressivité – des personnages. Ainsi, à l’image de la couverture, Jeffrey Dahmer apparaît comme un être déjà coupé du monde. Il est une statue inexpressive, figée pour mieux se déstructurer à la première occasion. En miroir, les autres personnages montrent toute une gamme d’expression, de sourire, de peur ou d’effroi.

Quant au déroulement de cette jeunesse… L’auteur choisit d’aborder son récit par le biais de ses souvenirs personnels et, à l’aide de ses recherches, imagine un grand nombre de situations vécues par Jeff. Mais il est difficile d’exprimer toute la complexité de la situation en quelques lignes. Je trouve plus juste d’utiliser des termes comme frustration, divorce, violence, peur, perte, abandon, alcool, moquerie et surtout, le mot-clef de ce récit : aveuglement.

Peut-être est-ce la réponse à la question posée par Derf Backderf dans cet album. En effet, aucun membre de la communauté ne s’est aperçu de la dérive de ce jeune homme. Les adultes n’ont jamais signalé ou agit pour le bien de cet ado qui passait pour les autorités scolaires comme « un garçon sans histoire ». Constat violent et sans équivoque : Jeffrey Dahmer est passé à travers les mailles du filet. Etait-il possible de voir en Dahmer le tueur qu’il allait devenir ? Non. Mais éviter qu’il passe à l’acte, sûrement. A l’image de l’Angleterre industrielle de la fin du 19e siècle décrite par Alan Moore, la société américaine libertaire des années 70 de Derf Backderf a produit son propre monstre. L’auteur lui-même, en choisissant de parler à la première personne et en se dessinant, s’implique dans le récit et ne renie pas son implication.

Et même s’il est difficile de se laisser toucher par le personnage de Jeffrey Dahmer, le lecteur que je suis a été marqué par cette errance profonde, par cette détresse sans secours. Non pas que Derf Backderf cherche à transformer ce futur tueur en un être sympathique mais il en montre toute l’humanité. Sans jamais dessiner la moindre scène sanguinolente, il en fait un être pas si différent de nous, et donc beaucoup plus terrifiant. Difficile de passer à côté de cet album époustouflant sélectionné à juste titre au FIBD d’Angoulême 2014.

A lire : la chronique de Sine Lege et l’incontournable synthèse de KBD rédigée par Choco

Mon ami Dahmer (one-shot)
Scénario et dessins : Derf Backderf (Etats-Unis)
Editions : çà et là, 2013 (20€)
Editions originales : Abrams Comicarts, 2012

Public : adulte
Pour les bibliothécaires : un des albums de l’année. Indispensable !

Chroniques BD, Recommandé par IDDBD

Chronique | Evil Heart (Tomo Taketomi)

Umeo Masaki est un jeune garçon à problèmes. Dès ses premiers jours au collège, il commence par se battre avec des élèves plus âgés. Taciturne et violent, il n’arrive pas à se faire accepter. Il vit seul avec sa grande sœur, âgée de 16 ans, car sa mère est en prison. Mais sa vie bascule un jour en passant devant le gymnase. Il découvre une drôle de discipline, l’Aïkido, et un drôle de personnage, un étranger, le professeur Daniels.

Du sport, oui mais…

Petite anecdote pour commencer cette chronique. Quand j’ai animé la formation manga en septembre dernier, j’ai fait choisir en début de séance un album à chaque participant. J’avais pris soin de glisser parmi eux, Vitamine de Keiko Suenobu, un one-shot dont la couverture pouvait laisser à penser qu’il s’agissait d’un pur shojo de collégienne. Or, c’est un manga très dur sur le phénomène de l’Hijime. Ce petit piège avait pour but de démontrer qu’en matière de manga, il ne faut pas se fier aux apparences du graphisme. On pourrait qualifier ce genre de « faux-amis ».

Evil Heart fait complètement parti de cette catégorie. Il a tout du shonen-manga de sport et je dirais même du shonen-manga de sport romantique. S’il en reprend les bases, à savoir le jeune garçon perdu qui s’épanouit dans l’amitié (voire l’amour) dans une discipline et qui dépasse ses limites dans une compétition, cette série de Tomo Taketomi dépasse largement l’idée de base et ne cesse de surprendre son lecteur.

Car le sujet principal d’Evil Heart est bien moins le sport que la violence familiale et ses conséquences. En effet, on apprend rapidement qu’Umeo (dit Ume) a subi ainsi que sa sœur et sa mère, la violence d’un père puis d’un grand frère. D’ailleurs, notre jeune héros ne pratique pas l’aïkido pour les joies de l’amitié, mais bien pour être prêt à défendre ses proches contre tous les dangers… et en particulier la figure de Shigeru, son frère, à la fois démon intérieur et lourde réalité. D’autant plus que se pose la question de la transmission quasi-génétique de cette violence qui pèse sur ses épaules. La joie, l’amitié, le dépassement de soi ne font pas partie de ses préoccupations. Quant à la compétition…

Une autre philosophie

Pour ceux qui connaissent cet art martial, l’Aïkido n’utilise que des techniques de défenses. Par ce simple état de fait, Evil Heart se démarque déjà de tous les autres mangas sportifs. Alors qu’on ne peut plus lever un orteil sans parler compétition de nos jours, ce manga apparaît donc comme un rafraîchissement en faisant de l’autre non plus un adversaire mais un partenaire. Tomo Taketomi s’appuie donc sur une philosophie différente pour bâtir son histoire car l’entraide et la communication sont au cœur même du récit. Moins d’actions, plus d’interactions entre ses personnages et surtout des questions sans cesse renouvelées.

Dans les pages de ces 6 volumes, les certitudes sont rares et bien souvent synonymes de dangers. Ainsi, le lecteur alterne donc entre calme et grosse tempête… de quoi relancer régulièrement son intérêt. Mais plus que le rythme, l’auteur prend le temps de décortiquer les peurs, les espoirs et l’évolution lente de son héros à travers son évolution de pratiquant d’Aïkido. Si l’humour et la légèreté font partie du voyage – en particulier avec le Pr. Daniels, figure classique du sage qui ne se prend pas au sérieux – on se retrouve confronté sans mesure aux différentes réalités du personnage. Une réelle empathie se créé non seulement avec lui, mais aussi avec les autres acteurs de cette histoire finalement touchante et particulièrement bien pensée.

Car Tomo Taketomi a eu deux bonnes idées. La première a été de ne pas faire une série à rallonge qui, aurait trop usé la corde. Ce qui arrive malheureusement trop souvent. Cette série a été écrite en plus de 5 ans, ce qui est un délai rare dans un manga. La deuxième idée a été de ne pas multiplier les personnages importants, lui permettant de mieux maîtriser le caractère complexe de chacun tout en se renouvelant. J’avoue que ce dernier aspect m’a beaucoup surpris et qu’il est pour moi un point important de la réussite de sa série. En effet, tout en se focalisant toujours sur le héros principal, il a su tour à tour laisser une place à chacun des protagonistes, de Machiko à Shigeru lui-même en passant par des personnages beaucoup plus obscures dont je tairais le nom pour ne pas gâcher votre plaisir de lecture.

Côté Aïkido, mon spécialiste maison n’a pas eu l’air de trop rechigner à la vue des images dessinées. Pour ma part, j’ai trouvé les dessins plutôt réussi mais dans une forme très classique. Par quelques traits, la famille Masaki a un réel lien de parenté sans forcément être des clones. Pour le coup, la lecture est très agréable et fluide. Rien de bien révolutionnaire là-dedans, on sent que l’attention première a été porté comme souvent sur la réussite du scénario.

Bref, si vous aimez le manga de sport, vous pouvez tenter Evil Heart. Mais vous êtes prévenus. Evil Heart dépasse complètement ce genre et devient un vrai manga de société et dans une certaine mesure, propose une philosophie de vie différente où l’autre n’est pas un concurrent mais un partenaire… Une chouette leçon pour une chouette série ! Un must have comme on dit chez les iroquois.

A lire : le dossier spécial sur manga news

Evil Heart (6 volumes – série terminé)
Scénario et dessins : Tomo Taketomi
Éditions : Kana (2005-2011), 7,50€

Public : Ado-Adultes (c’est un seinen)
Pour les bibliothécaires : une série courte & de qualité. Pas d’excuses pour ne pas l’avoir dans votre mangathèque.

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