C’est l’histoire d’une ville en proie à la criminalité, à la violence et à la drogue. C’est l’histoire d’un quartier, au milieu de cette ville. C’est l’histoire d’anonymes ou de puissants qui se battent pour régner ou simplement survivre. Bref, d’une série télé à une bande dessinée, bienvenu à Baltimore.
Baltimore entre télévision et bande dessinée
C’est la première fois que je tente l’expérience d’une double chronique sur des supports aussi différents qu’une bande dessinée et une série télévisée. Mais l’occasion était bien trop belle pour passer à côté.
Cet été, par le plus grand des hasards, j’empruntais à la bibliothèque les deux premiers volumes d’une série de BD dont j’avais vaguement entendu parler. Très vaguement. Dans le même temps, j’achevais avec bonheur la 5e saison de The Wire (Sur écoute en français). J’étais pris de nostalgie à l’idée de laisser McNullty, le plus écorché vif de tous les policiers irlandais de l’histoire de la télévision américaine. En ouvrant The Grocery, le lien dans mon esprit ne s’est pas fait immédiatement. Pourtant, peu à peu, je retrouvais des détails qui me mettaient la puce à l’oreille : les coins de rue, les vendeurs de drogue, les dealers, les gros 4×4 et cette violence inhérente au milieu. Trop de détails pour n’y voir qu’une simple inspiration. Pas un plagiat mais une vraie continuité. The Grocery, c’est une histoire parallèle dans un monde au graphisme assumé.
A body of an american
Mais je mets les choses à l’envers. Je vous parle de The Wire et du lien avec The Grocery sans évoquer toutes les qualités de cette série. Au début, The Wire est une fiction policière évoquant le combat des policiers de Baltimore contre les réseaux de ventes de drogue. David Simon, ancien journaliste au Baltimore Sun City Desk devenu scénariste, dresse une galerie de personnage dont la grande figure est le fameux McNullty dont je vous parlais plus haut. Alcoolique, divorcé, volage, mais enquêteur surdoué, il est un peu à l’image de ses collègues, sans repère. Au cours des cinq saisons, ce qui semble être une enquête policière se transforme peu à peu en radiographie de la société américaine : politique, argent, journalisme, système éducatif, valeurs… Tout y passe avec cette capacité qu’ont les américains à mettre le doigt sur leurs propres paradoxes.
Comme souvent, cette série signée HBO – chaîne qu’on ne présente plus dans le monde des séries TV avec notamment Game of Thrones ou Six Feet Under – frappe fort avec un réalisme décomplexé. Rien n’est blanc, rien n’est noir, tout est plus ou moins crasseux. Chacun a ses propres raisons pour agir, tous ont des explications et les vrais pourris ne sont pas toujours ceux que l’on croit. C’est violent certes, souvent désespéré, mais l’humour n’est pas absent et parfois la lumière scintille un peu au milieu de ces rues sombres.
Bref, The Wire bénéficie d’un scénario remarquable en même temps qu’une bande originale qui frise la référence absolue, de toute façon quant on utilise The Pogues ça ne peut être que recommandable. J’en profite d’ailleurs pour tirer mon chapeau et rendre hommage à Philip Chevron, guitariste du groupe irlandais et créateur de la mythique chanson Thousand are sailing qui nous a quitté hier.
Sur écoute, saison 4.2
The Grocery, la série dessinée par Guillaume Singelin et scénarisé par Aurélien Ducoudray, s’inscrit donc pleinement dans cet univers. Et je préciserais même un lien réel avec la saison 4, où les réalisateurs avaient fait un focus sur un groupe d’enfants/adolescents.
Mais, il ne faut pas limiter The Grocery à la série américaine qui l’a inspiré. En effet, les deux auteurs injectent leurs propres éléments pour créer une œuvre propre. Tout d’abord, ils prennent le parti de faire tomber un jeune candide dans ce monde de brutes. Elliott est le fils de l’épicier juif qui vient juste de racheter The Grocery, la boutique du coin de la rue. Il est tout neuf, tout gentil et très intelligent. Lui qui fait des concours d’orthographe, il joue rapidement le rôle de l’intellectuel du coin. Ah oui, j’oubliais. Eliott est une grenouille… d’ailleurs il a même un petit quelque chose d’Ariol, le petit âne d’Emmanuel Guibert. Bref, imaginez simplement Ariol dans une banlieue chaude… Je confirme, ça saigne.
Et pour saigner, ne vous fiez pas du tout au dessin qui peut apparaître au début comme enfantin. Je ne sais pas vraiment si on peut parler d’anthropomorphisme pour tous les personnages mais je crois que le choix est judicieux tant un rendu réaliste aurait pu être insoutenable. Le scénario en effet ne lésine jamais sur la violence réelle et symbolique. Âme sensible s’abstenir !
Peu à peu, de nouveaux personnages entrent en scène : un vétéran de la guerre en Irak qui perd sa maison suite à la crise économique, un rescapé de la chaise électrique, nouveau caïd de la rue, une hispanique en quête de vengeance… Ces histoires singulières forment un tout et donnent une cohérence à l’univers. Tous les personnages sont liés les uns aux autres de près ou de loin, les actions des uns influencent la vie des autres et tous portent des cicatrices et sont prêts à rendre les coups qu’on leur donne. La fin du 2e tome est sans équivoque… Mais je m’arrête là pour ne pas vous gâcher les surprises et les rebondissements nombreux qui ne manqueront pas de vous donner envie d’aller plus loin. Personnellement, j’attends la suite avec une très grande impatience.
A lire : les chroniques de Mo’, de Tristan sur B&O
Et pour finir : ceux qui ont vu The Wire reconnaîtront
The Wire (Sur écoute)
créé par David Simon
5 saisons (60 épisodes) 2002-2008The Grocery (2 volumes – en cours)
Scénario : Aurélien Ducoudray
Dessins : Guillaume Singelin
Editions : Ankama, 2011
Collection : Label 619Public : Adulte
Pour les bibliothécaires : les séries TV et BD sont indispensables pour une bédéthèque et une vidéothèque de qualité.