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Chroniques Cinéma, Recommandé par IDDBD

Casedoc#4 | Edmond, un portrait de Baudoin (Laetitia Carton)

Durant plus d’un an, la réalisatrice a suivi Edmond Baudoin. A 70 ans, cet ancien chef-comptable devenu dessinateur par désir profond et par peur de l’ennui fait partie des grands auteurs de la bande dessinée contemporaine. Avec son dessin unique au pinceau, il est dès ses premières planches dans les années 80, un personnage tout à fait à part dans l’édition. 30 ans et une cinquantaine de livres plus tard, ce portrait filmé nous permet de le découvrir dans son intimité, entre son petit village de l’arrière-pays niçois, les grands festivals et surtout les discussions feutrées autour d’un dessin, moments privilégiés d’échanges sur l’art, la liberté, la vie.

Au risque de me répéter, dire qu‘Edmond Baudoin est un monument de la bande dessinée est un doux euphémisme. Totalement décalé dans la production très standardisée des années 80, il reste malgré l’explosion de l’édition alternative, un auteur « différent ». Je dois avouer que je partage avec la réalisatrice – et sans doute beaucoup des amateurs de Baudoin – un rapport très particulier à cette œuvre majeure, reposant principalement sur l’intime et une façon singulière de raconter des histoires.

D’ailleurs, en y réfléchissant un peu, Baudoin ne raconte pas d’histoires. Il les livre à la vue des lecteurs. Et c’est justement toute la réussite de ce film : reprendre cet état d’esprit particulier. Par l’intermédiaire d’un montage réalisé avec beaucoup de justesse, Lætitia Carton met en parallèle ses propres images avec celle d’Edmond Baudoin. Elles illustrent ainsi les lieux, les discours et les pensées offertes à la caméra par le dessinateur. On découvre ainsi ce lien permanent entre l’œuvre et l’homme. Les lieux, les paysages, les êtres voire même les situations qui peuplent les albums de Baudoin sont irrémédiablement liées à sa vie.

De plus, la complicité entre la réalisatrice et son sujet (qui a d’ailleurs participé à l’écriture) lui permettent d’offrir au spectateur une vision profonde de l’homme. Outre l’artiste, on découvre un message, celui d’un homme qui a fait le choix de la liberté, de la passion et d’une certaine forme d’épicurisme. Une philosophie qui trouve son écho dans les traits de son pinceau. Libre et profond.

Une belle mise en perspective soutenue (je m’en voudrais de l’oublier) par une bande-son entre jazz et accordéon de grande qualité. Un film réussi qui donne envie d’en découvrir un peu plus et de retourner sur le chemin de St-Jean.

A noter : ce film n’est pas pour l’instant pas diffusé autre part qu’en festival et recherche donc un diffuseur. A bon entendeur…

A lire : le film ayant été financé en partie via Ulule, retrouvez la page de présentation

A voir : la bande annonce

EDMOND, un portrait de Baudoin (trailer) from Kaleo films on Vimeo.

 

Edmond, un portrait de Baudoin
Réalisateur : Laetitia Carton
Durée : 86′
Production : Kaelo
Année de production : 2014

Chroniques BD, Recommandé par IDDBD

Chronique | Cœur de Pierre (Gauthier & Almanza)

Il est né avec un cœur de pierre, elle, avec un cœur d’artichaut… (Synopsis éditeur)

Dans ce présent billet, je souhaitais rendre hommage
A l’écriture poétique de Séverine Gauthier
Qu’elle m’excuse par avance pour les futurs dommages
Et l’écrasement naïf de ses si jolis pieds

Bercé par un élan d’enthousiasme certain
cet album-là ma foi, a bien tout pour me plaire
Il surnage au milieu de ces vagues embruns
de BD jeunesses qui souvent m’indiffèrent.

Au milieu d’une biblio de mon quartier,
je l’ai vue exposé dans sa belle couverture.
Je m’en saisi aussitôt et d’un pas assuré
M’en allait tout gaiement vers sa saine lecture

J’avais entrevu un dessin en rondeur
Qui dès les premières planches se confirma.
Admirant tout autant ses belles couleurs,
j’aimais le travail de Monsieur Almanza

Contant les amours naissants de trois petits cœurs
Le texte était fort simple et touchant à la fois.
D’inspiration rappelant une Mécanique du cœur,
il faisait battre un rythme en tout point délicat

Pas d’excès de paroles dans des phylactères
mais une vraie osmose entre forme et histoire.
Qui malgré des thèmes parfaitement sévères
Saisit le sentiment et notamment l’espoir.

Balancé entre des cœurs d’or et de pierre
On s’identifie, on pleure et on s’inquiète.
Dans cet univers où ombre et lumière
aime à jouer ensemble jusqu’à perdre la tête.

Voici donc mon conseil à toi, ami lecteur :
Oublie donc ce billet qui vaut bien qu’on l’enterre
mais garde les noms de ces très bons auteurs
Gauthier, Almanza et leur Cœur de Pierre.

 

A découvrir : le blog de Séverine Gauthier

Cœur de pierre (one-shot)
Scénario : Séverine Gauthier

Dessins : Jérémie Almanza
Edtions : Delcourt (Jeunesse), 2013

Public : Tout public
Pour les bibliothécaires : Indispensable !

Chroniques BD, Recommandé par IDDBD

Chronique | Pendant que le roi de Prusse faisait la guerre, qui donc lui reprisait ses chaussettes ? (Zidrou & Roger)

Catherine a 72 ans, elle est veuve. Elle vit avec son fils, Michel, 43 ans, handicapé suite à un accident de voiture. La vie d’avant, Catherine y pense de temps en temps mais cela fait si longtemps. Au fil de ces petites histoires du quotidien, nous découvrons une héroïne, une vraie, de celle qu’on ne trouve pas dans les livres…

Le combat ordinaire

Il y a bien longtemps que je n’avais pas lu une BD franco-belge « classique » avec autant de plaisir. Posons les cartes sur la table, ce magnifique album bénéficie déjà du très fameux label Recommandé par IDDBD. Comment dire ? Il n’y a rien à jeter. Ni la très belle écriture de Zidrou, décidément très inspiré pour évoquer les handicaps ou la maladie (cf l’excellentissime série Boule à Zéro), ni le dessin de Roger qui par sa simplicité et une très belle mise en couleurs répond parfaitement aux propos de l’album. L’idée n’est pas d’entrer dans un pathos malvenu mais bien de parler d’un quotidien, du bon comme du mauvais, de désacraliser le handicap sans un discours démagogique et mensonger.

Pendant que le roi de Prusse… est constitué de mini-chapitres, sorte de pièce de puzzle évoquant des instants de la vie de ces deux personnages. Michel est un gros bonhomme, adepte de puissance 4, de Playstation, d’éclairs au chocolat, de gilet à capuches… et de films pornographiques (si, si). A côté de lui, Catherine, une maman, une vraie, petite par la taille, grande par l’amour, prête à tout pour aider son fils malgré les difficultés et les frustrations. Le mot qui vient immédiatement à l’esprit au fil de ces petites histoires est justesse. Justesse dans le propos, dans les sentiments et dans tout ce qui n’est pas dit mais largement évoqué par des regards, des impressions, des couleurs. Un « non-texte » qui fait toute la différence. Rassemblés, ces nouvelles dressent un portrait tout en finesse à la fois drôle et émouvant. Capables de nous faire rire (la scène du vidéo-club) ou pleurer (au choix), elles se répondent, s’enrichissent, permettent de comprendre l’historique de cette vie. Au final, on ne peut qu’admirer cette petite femme bien plus forte que mille super-héros réunis, bien plus belle que mille héroïnes top-model à air-bags intégrés et string en peau de dragon. Elle a la force du quotidien, du temps qui passe.

Je vais arrêter là cette chronique bien trop élogieuse, pas la peine d’en rajouter. Ce billet est court mais pour une fois, je n’ai pas d’autres arguments que « Lisez Pendant que le Roi de Prusse…« . Simplement. Pour passer un bon moment. Pour lire un bon livre. Pour pleurer. Pour rire. Et le plus important, pour rencontrer une belle personne, une vraie gentille, une grande âme, de celle qu’on ne rencontre pas assez souvent. Peu importe qu’elle soit de papier car au fond, des Catherines, il y en a des milliers. Mais ces dernières ne font jamais de bruit, ne demandent jamais rien. Alors rendons leur hommage, à notre façon, par un sourire ou une larme, par la lecture d’un livre.

A lire : la chronique de Zaelle sur 9eart, la chronique de Ginie (B&O)et celle de Choco
A voir : la fiche album chez Dargaud

Pendant que le roi de Prusse faisait la guerre, qui donc lui reprisait ses chaussettes ? (one-shot)
Scénario : Zidrou
Dessins : Roger
Editions : Dargaud, 2013 (14,99€)

Public : ado, adultes
Pour les bibliothécaires : simplement indispensable. Sans aucun doute une des meilleures BD de l’année 2013.

Chroniques Cinéma

CaseDoc #2 | Histoire de la planche 52 (Avril Tembouret)

Ce film retrace la création de la planche 52 du dernier album de Valerian, personnage mythique de la bande dessinée de science-fiction. S’immergeant dans le quotidien des auteurs, essentiellement celui de l’illustrateur, le spectateur découvre le travail quasi-artisanal de transformation des mots en images. Difficultés, choix, retour en arrière et discussions sont le quotidien de Jean-Claude Mézières et Pierre Christin. Durant plusieurs jours dans le cadre feutré de l’atelier de l’illustrateur, on voit naître la planche finale des crayonnés à l’encrage.

De mon point de vue d’humble bédéphile, j’ai trouvé ce témoignage intéressant. On retrouve ce que tout bon fan de BD a ressenti un jour dans sa vie quand, après quelques heures ou quelques minutes (c’est selon) d’attentes pour une dédicace, il découvre la magie d’un dessinateur. Ce fameux geste qui, en quelques traits, fait naître une silhouette sous les yeux ébahies de son public. Merveilleux et fascinant. Dans Histoire de la page 52, nous allons un peu plus loin que ces mouvements ô combien maîtrisés. On assiste également aux errements, aux doutes ou à l’enthousiasme d’un illustrateur. Tout cela dans un style cinématographique très sobre, avec un montage plutôt sage laissant la belle place à un Jean-Claude Mézières en verve. Je trouve juste dommage de voir aussi peu Pierre Christin, l’un des plus grands scénaristes de la BD européenne.

Et justement, c’est là que, pour moi, le film manque un peu sa cible et est assez représentatif de la vision de la bande dessinée en Europe… à savoir un art avant tout graphique. Rappelez-moi le nombre de scénaristes qui ont reçu un prix à Angoulême ? Sans commentaire.

En fait, Histoire de la page 52 ne filme pas vraiment la création d’une planche mais le dessin d’une planche. La nuance est subtile – et discutable certes –  mais nous ne voyons finalement que la moitié « visuelle » de la création. On oublie que faire de la bande dessinée c’est aussi raconter une histoire. Qu’en est-il de Pierre Christin et de son travail d’écriture ? On en distingue l’aboutissement au début de film mais de nombreuses questions restent en suspens. Comment cette planche est apparue dans son esprit ? Quelle est sa place dans le récit ? Quelles ont été ses difficultés ? A-t-il eu le syndrome de la « page blanche » ? Quid du découpage, de la construction des dialogues, etc… Si on s’attarde avec un certain brio sur les errements de Jean-Claude Mézières, on oublie presque totalement l’invisible travail des mots pourtant fondamental en BD… ou en cinéma.

Finalement, je ressors de ce film un peu frustré. Il me manque des éléments non pas pour comprendre mais pour apprécier ce travail. Malgré cette réalisation propre, ce film manque pour moi d’un peu de matière pour atteindre son but : vouloir nous faire entrer dans les profondeurs de la création d’une bande dessinée. Au-delà, j’attends toujours LE film documentaire qui saura prendra un parti esthétique fort pour nous parler de 9e art.

A voir : la fiche du film sur le site du producteur

Histoire de la page 52
Réalisateur : Avril Tembouret
Durée : 43′
Production : Kanari
Pays : France
Version : VF
Année de production : 2013

La bande annonce

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Chroniques BD, Mini-chronique

Mini-Chroniques | Bon vieux temps, dernière oeuvre, mangakas et bonhomme michelin…

Bonjour iddbdiens, iddbdéiennes. En ce moment, j’avoue être complètement à la ramasse sur l’écriture hebdomadaire de chroniques. J’ai des excuses faut dire… dont un projet professionnel dont je vous reparlerais dans quelques temps et qui impliquera sans doute le blog lui-même. Mais pour tout vous avouer, dans l’état actuel de mon cerveau, j’ai la pertinence de Suzy, 12 ans, dans l’approche critique de mes lectures et le niveau de Harold, 8 ans, dans ma rédaction de chronique. J’évite donc de me lancer dans de grande approche métaphysique et vous propose donc un billet de mini-chroniques, que dis-je, de micro-chroniques mêmes avec une approche simple mais efficace : Une partie = une chronique. Attention ça déchire… ou pas.

Petite histoire des colonies françaises (Otto T. & Grégory Jarry)

Faisant incontestablement partie des auteurs récurrents des chroniques d’IDDBD, nous sommes toujours heureux de vous présenter des œuvres d’Otto T. et Grégory Jarry (et non Alfred bougre de clavier qui tape sans réfléchir…). Le premier volume de cette série en 5 tomes date de 2006 et a fait découvrir ces deux auteurs au grand public, surtout lors d’une exposition qui lui fut consacré à Angoulême en 2012 et qui tourne toujours en France dans les médiathèques et autres centres culturels de bon goût. Plutôt habitués aux one-shot ou série très courte, voilà nos deux trublions de FLBLB qui se lance dans l’histoire ô combien révélatrice de l’Empire. Mais pas n’importe lequel. Celui de la France, le fameux pays des droits de l’homme et tout et tout…

Comme à leur habitude (cf les détails dans nos différentes chroniques de Petite histoire du grand Texas, La conquête de Mars ou Village Toxique), ils jouent constamment sur le décalage entre le dessin très stylisé d’Otto T. et le récit au ton d’universitaire en pleine gloire intellectuelle de Grégory Jarry. Résultat, il découpe avec gentillesse mais acidité les petites réalités de l’histoire de notre beau pays et de nous rappeler avec une certaine énergie les vertus positives de la colonisation (comme disait l’autre).

Si on peut reprocher un manque de renouvellement de la formule, on doit admettre qu’elle reste encore d’une grande efficacité. C’est drôle, décalé en plus d’être instructif car très bien documenté. A n’en pas douter, les cours d’histoire seraient moins rébarbatifs en compagnie de ces deux auteurs.

Une série qui fera bientôt l’objet d’une synthèse sur KBD.

Le vent se lève (Hayao Miyazaki)

J’avais prévu de faire une grande chronique pour évoquer l’ultime film du maître de l’animation japonaise. Une forme d’hommage. Mais le résultat elle était aussi pénible à écrire qu’à lire, trop de superlatifs.

Alors bon, à défaut de faire une vraie critique, je la fais courte. Ce que je pense de ce film ? Oui, assurément, Hayao Miyazaki est le plus grand. Et les plus grands savent se renouveler tout en maintenant leur propre univers. Ici, il signe un film d’un réalisme troublant, complètement ancrée dans l’histoire de son pays. Surprenant pour un homme qui a érigé son œuvre sur le fantastique. Mais le rêve n’est jamais très éloigné. Ce rêve, son héros va le poursuivre, malgré tout, au dépens des autres. Pour sa dernière œuvre, le créateur des studios Ghibli ouvre et ferme en même temps une parenthèse artistique riche et profonde. Sorte de testament artistique non avoué, Le Vent se lève n’a rien à envier dans sa mise en scène, dans ses dialogues, dans ses cadrages ou dans la profondeur de ses personnages au plus grandes œuvres des plus grands réalisateurs du 7e art… Qu’ajouter ?

Encore des superlatifs… et juste un merci.

Bakuman T16 et T17 (Obha & Obata)

Sans transition, souvenez-vous de notre chronique des premiers volumes de Bakuman. Le temps passe et je dois avouer que je suis toujours assez fan de ce shonen sur les coulisses de la création de manga. Après avoir dépassé la surprise et la découverte, la série a trouvé son rythme, ses personnages et gags récurrents. Un peu trop bavarde sur ces derniers volumes, on sent qu’il est maintenant le temps de conclure avec un ultime défi. La série, comme souvent avec ce genre de manga, commence lentement à s’essouffler. Heureusement, la série est terminée au Japon en 20 volumes. Suffisant pour terminer l’histoire en beauté.

Mais la question ultime reste en suspens, nos deux jeunes héros vont-ils réussir à atteindre leur rêve ? Devenir les n°1 et voir leur manga être adapté en série TV ? Nous avons bien une idée de la réponse mais… Bref, on attend avec impatience la fin.

Le Bibendum céleste (Nicolas de Crécy)

Option patrimoniale pour cette dernière micro-chronique d’une série phare de la Nouvelle BD. The chef d’œuvre de Nicolas de Crécy m’est retombé dans les mains il y a peu. Je ne me souvenais plus de cette ambiance si particulière et ce fut de nouveau un choc pour ce retour à New-York-sur-Loire.

Le Bibendum céleste nous plonge dans la folie pure des aventures d’un jeune phoque devenant la coqueluche innocente des hautes autorités pédagogico-culturelles de la ville. Un grand n’importe quoi où un mini-diable en salopette cherche à mener la danse sans pour autant être sûr qu’il tient la corde. Une histoire de fou pour les fous par un auteur au talent énorme qui a bien plus qu’inspiré Sylvain Chomet pour Les Triplettes de Belleville.

Je ne vous cacherais pas qu’il faut mieux être reposé pour apprécier à sa pleine mesure cette orgie graphique et narrative. Mais comme je l’écrivais à l’époque pour Journal d’un fantôme, Nicolas de Crécy est un auteur exigeant avec ses lecteurs. Bref, un livre monstrueux où l’absurde et la poésie est une norme artistique.

20 ans et pas une ride… à redécouvrir avec un plaisir de fin gourmet.

Chroniques BD

Chronique | Punk Rock Jesus (Sean Murphy)

En 2019, un producteur de télévision a une idée géniale : cloner le Christ et en faire un héros de téléréalité ! Après avoir récupérer de l’ADN sur le célèbre Saint-Suaire de Turin, le projet J2 voit le jour. De quoi faire enrager un certain nombre de groupes intégristes…

Sombre Jesus

Punk Rock Jesus, voici un titre qui en dit long sur le degré hautement iconoclaste de cette série de Sean Murphy. Urban Comics nous proposent dans cette élégante intégrale de découvrir les 6 épisodes de ce récit d’anticipation venu tout droit de la collection Vertigo. Au programme : critique des pouvoirs religieux et médiatiques. Chouette ! En général, quand les américains traitent ces sujets, on se retrouve avec des œuvres à fort potentiel déjanté comme Preacher ou Transmetropolitan. Mais, dès les premières pages, le lecteur comprend vite que la comparaison s’arrête là. Graphiquement, on se situe plus du côté des romans noirs de B.M. Bendis avec des personnages sombres dans un graphisme sobre et réaliste. Ça sent le drame, la violence et la mort. Ça pue les manipulations, la dépression et le mal-être. Bref, on ne s’attend pas vraiment à rigoler. Et hormis le pétage de plomb de Chris – le fameux clone de Jésus (rassurez-vous je ne gâche rien, c’est sur la couv’) – il n’y a effectivement pas vraiment de raisons de se réjouir. Enfin, si, mais pas dans le sens d’un travail des zygomatiques.

Comme toute bonne œuvre d’anticipation, Punk Rock Jesus n’est pas un outil de prédiction mais un moyen détourné pour parler de notre société contemporaine… Dans son monde, Sean Murphy décrit le poids des intégrismes religieux, l’intolérance, le contrôle des masses et en décor le danger du dérèglements climatiques. Rien de bien futuriste, non ? Dans cette série-métaphore, l’auteur évoque aussi son propre parcours. Catholique convaincu, il est devenu athée en 2003 et toute cette œuvre sonne comme un terrible pamphlet et une tentative très indirecte d’explication de la perte de ses croyances.

Intégrisme(s)

Pour cela, il abuse de personnages-clichés qui se révèlent être particulièrement pertinents dans sa démarche. Ils ont l’effet de bonnes caricatures : grossir le trait pour dénoncer. Entre le producteur machiavélique, la jeune vierge qui ne comprend que trop tard son erreur, le gros bras ancien tueur de l’IRA et la scientifique de génie se vendant afin de sauver le monde grâce à ses recherches, nous sommes amenés à voir toutes les facettes, et en premier lieu les plus sombres, de cette humanité qui bascule dans une folie religieuse de premier ordre.

Au cours d’une histoire bien pensée où moments d’actions pures et phases d’introspection s’alternent avec un certain équilibre, les rebondissement ne manquent pas pour accompagner le lecteur. Chris est soumis aux aléas d’une existence qui le dépasse totalement. Quand il décide de prendre les choses en main, il bascule vers une réalité tout aussi crue avec toute la violence de ses 16 ans. Mais ce sont surtout les personnages et les évolutions de leurs psychologies qui présentent l’intérêt véritable de cet album. D’ailleurs et contrairement à ce que l’on pourrait penser, le personnage de Chris n’est pas véritablement un personnage principal. Il joue plutôt le rôle de plaque tournante. Tout tourne autour de cet astre, il est l’objet des désirs, des folies, des peurs et des espoirs. Car si Punk Rock Jesus est pamphlet violent (dans tous les sens du terme) contre la religion et les médias il se veut surtout une tentative d’exploration de la nature humaine. Les croyances ne sont-elles pas révélatrices de ce que nous sommes après tout ? Et avec cette fin à la fois ouverte et révélatrice, les questions ne cessent pas.

Toutefois, je mettrais un bémol à cette lecture sur un point très précis. Il me semble que tout en basculant dans l’athéisme farouche, Sean Murphy ne peut s’empêcher de tomber aussi dans une certaine glorification de la science moderne. Et la croyance en une science toute puissante, capable de résoudre les problèmes qu’elle a elle-même créé, me semble tout aussi discutable que les croyances populaires en un messie sauveur… D’une certaine façon, on tombe d’une fascination à l’autre. Cependant, derrière toute cela, entre croyance en un dieu ou toute  puissante pensée humaine, le message final, symbolisé par le Dr Epstein, met en avant la nature profonde de l’homme…

Avec cette œuvre engagée, Sean Murphy signe une œuvre sombre et riche en débats. Dépassant le seul pamphlet, il propose une lecture des ressorts des croyances humaines. Contrat plutôt rempli au final. Sacrément fort.

A lire : les chronique de Champi et Choco

Punk Rock Jesus (one-shot)
Scénario et dessins : Sean Murphy
Editions : Urban Comics, 2013 (19€)
Editions originales : DC Comics (Vertigo)

Public : Adultes
Pour les bibliothécaires : une bonne référence, public plutôt ouvert nécessaire

Chroniques BD

Chronique | Le temps est proche (Christopher Hittinger)

An de grâce 1301, l’Europe s’apprête à vivre un siècle compliqué. Entre la guerre, la peste, les schismes et autres joyeusetés, la population a bien du mal à se réjouir dans le dernier siècle du « Moyen-Âge ». Et pourtant, Dante, Christine de Pisan ou Giotto annoncent déjà la Renaissance… Oui, le temps est proche. Mais ça reste à prouver dans cet almanach érudit d’un auteur très inventif.

En 2013, le festival d’Angoulême consacrait une exposition complète à une association qui avait réussi l’exploit d’être deux fois lauréat du Prix de la Bande Dessinée indépendante : The Hoochie Coochie. Après FLBLB, je découvrais encore un éditeur poitevin (mais fondé à Paris) au nom à coucher dehors. Moi qui me targuait d’être un amateur éclairé, je pouvais rallumer ma chandelle, car , même s’il me semble avoir croisé quelques Turkey Comix, je n’avais pas entendu parler d’eux. Bref, aujourd’hui, je rattrape un peu le temps perdu (ceci est un jeu de mots non prémédité).

Cet album fait partie de la catégorie « Drôle d’objet en vérité ». Christopher Hittinger, auteur important du catalogue de The Hoochie Coochie, aborde le thème de la BD historique sous un angle assez inattendu. Personnellement, quand on mélange les termes BD et histoire dans la même phrase, ça me rappelle des lectures peu enthousiasmantes qui ont constitué la base de la bande dessinée traditionnelle voire archi-classique, j’ai quelques plaques qui apparaissent et ça me démange de refermer assez rapidement. Je sais ce n’est pas bien mais j’ai le droit d’avoir moi aussi mes idées préconçues zut à la fin quoi ! Bref, ces récits prennent souvent la forme de simples aventures où la grande histoire ne devient qu’un champ d’action comme un autre, un simple prétexte.

Mais ici, l’auteur aborde l’histoire de face, par une idée simple mais terriblement efficace. Son récit prend la forme d’un almanach du 14 siècle à travers 100 saynètes correspondant toutes à une année. 100, pas une de plus, pas une de moins. Elles peuvent prendre des formes diverses, allant de la simple case à plusieurs pages, mais sont toutes classées dans l’ordre chronologique. Le temps passe alors sous nos yeux et devient alors le seul et unique véritable héros de cette comédie humaine violente, belle, teintée de sarcasme ou d’espoirs. Parfois, Christopher Hittinger aborde le simple fait historique, quelquefois il prend le temps de développer ses personnages mais il est toujours le seul à choisir le rythme de son discours, accélérant au besoin, pointant les moments qu’il juge clés. Du point de vue de l’utilisation du média bande dessinée, c’est une œuvre en tout point remarquable.

Au bout du compte, et c’est l’ancien étudiant qui avait une nette préférence pour la micro-histoire qui parle, j’ai aimé ce que j’ai lu. Paradoxalement, tout en proposant une suite de faits historiques et donc une structure linéaire, l’auteur montre à sa manière les évolutions globales de la société féodale. Finalement, il développe dans son livre une lecture en diagonale des événements, les reliant les uns aux autres par de minuscules mais probants détails. Résultat, il donne un vrai sens à l’ensemble alors que ce livre aurait pu apparaître au départ comme une suite désordonnée. Mais non, la cohérence est surprenante. Ces 100 saynètes participent toutes à la petite histoire du livre et à la grande histoire de l’Europe du 14e siècle.

Concernant le dessin, là encore Christopher Hittinger prend le parti de s’éloigner de la tradition de la bande dessinée européenne classique. Il est d’ailleurs beaucoup plus proche du comics d’auteurs. Dans une certaine mesure, il m’a fait penser à la série L’Etoile du Chagrin de Kazimir Strzepek (chez ça & là). Il n’hésite pas à mélanger des personnages réalistes, des bonhommes bâtons, de vagues silhouettes ou des traits animaliers. Côté décors, même travail entre réalisme, finesse et simple évocation. A l’image de son propos, on est surpris de voir une forme de logique et d’homogénéité. Mais la surprise, et surtout l’expérience, est vraiment le maître mot de cet ouvrage.

En refermant Le Temps est proche, on a le sentiment d’avoir vécu l’histoire du 14e sous des formes diverses, du plus petit des humains aux plus grands bouleversements de l’Europe. Comment ? On ne sait pas trop. Le lecteur est entraîné dans cette spirale historique. Une année, puis vient la suivante avec son lot de rebondissement. Pourtant, Christopher Hittinger ne se contente pas d’évoquer de simples faits, il crée du lien entre eux et enrichit considérablement son propos. Un beau travail d’auteur et même d’historien. Pour ma part, je signerais bien pour traverser le siècle suivant avec lui et sa perception de l’histoire.

A lire : un entretien sur le site du9
A découvrir : le site de The Hoochie Coochie et le site de Christopher Hittinger

Le temps est proche (one-shot)
Scénario et dessins : Christopher Hittinger
Editions : The Hoochie Coochie, 2012 (20€)

Public : Adultes
Pour les bibliothécaires : un ouvrage idéal pour un fonds BD alternative. Pas simple pour les petits budgets cependant ou alors avec le lectorat qu’il faut.

Chroniques BD, Recommandé par IDDBD

Chronique | Beauté (Hubert & Kerascoet)

Morue est une paysanne peu gâtée par la nature. Pauvre et laide, elle se dirige vers une vie compliquée, très compliquée. Un jour, elle sauve par hasard une fée qui lui accorde un don. Malgré sa laideur, tous les humains la perçoivent désormais comme la plus extraordinaire beauté du monde. Rapidement, elle devient l’objet de toutes les convoitises et surtout de celles des puissants. Un conte de fée moderne réunissant à nouveau le trio gagnant de Miss pas Touche.

Du contre-pied comme art du conte

Cela commence comme un conte de fée, une jeune femme, des difficultés et un don du ciel. Cela finit avec une morale. Classique et facile. Mais, l’art de bien raconter une histoire, et en particulier ce genre si ancien du conte, se mesure à la capacité de l’auteur à nous emmener avec lui dans son monde. N’oublions pas non plus que quelle que soit l’imagination du scénariste, il faut tout de même de bons personnages.

Alors Hubert, fait-il partie de ces auteurs qui se prennent les pieds dans le tapis de la tradition ? Dans Beauté on retrouve les grands classiques : la belle, le preux , la bonne fée et la méchante sorcière… Tout est là mais… Hubert n’est pas un scénariste à s’émerveiller devant de jolies personnages ni à se laisser prendre dans mille ans de traditions populaires. Il aime jouer avec ces figures et propose très régulièrement à ses lecteurs des scénarios qui ne ressemblent à aucun autre, faits de surprises, de virevoltants rebondissements enchanteurs, drôles et bien souvent teintés d’une pointe de sarcasmes. Ceux qui auront lu les Miss Pas touche ou autre Sirène des Pompiers comprendront mieux l’idée (les autres auront l’amabilité de se rendre dans leurs bibliothèques ou librairies les plus proches).

Bref, dans l’univers merveilleux de Beauté, la princesse est une mocheté, le preux est un imbécile et la bonne fée… Ah la bonne fée ! Difficile d’en parler sans mettre en péril les tenants et les aboutissants de cette histoire d’apparence qui n’a d’apparence que le nom. Malgré tout, et justement parce que le scénariste s’évertue à prendre les chemins de traverse, il crée une galerie de personnages particulièrement  imparfaits. Ce qui contribue grandement à la noirceur général qui inonde ce conte pas vraiment fait pour les enfants. Mais quel bonheur de voir Morue, personnage sensible, naïf, généreuse ou jalouse, commettre des erreurs aux conséquences dramatiques tout en tirant une expérience peu commune ! Pourtant, Morue reste une véritable héroïne de contes de fées qui doit faire preuve d’audace, de bon sens, parfois de chance pour se tirer (ou non) de ses mauvais choix. Une description qui conviendrait tout aussi bien à Blanche, l’héroïne de Miss pas Touche.

Justement. Pour compléter cette histoire qui s’inscrit à la fois dans la tradition et dans le rupture avec le conte traditionnel, Hubert se fait accompagner au dessin pour ses vieux acolytes, le très fameux duo de dessinateur Kerascoët. Ça fait maintenant longtemps qu’ils nous émerveillent par la qualité de leur travail. La réussite de l’album leur doit beaucoup car ils ont su trouver l’équilibre entre dynamisme et grâce sans jamais tomber dans une forme de réalisme. Du coup, les moments difficiles, parfois particulièrement violents, restent dans le domaine de la fiction. Quant à Morue/Beauté, par je ne sais quel artifice, ce double-personnage reste toujours unique quelque soit sa forme.

Du coup, ses aventures prennent d’autant plus d’épaisseurs. Car au-delà de la simple apparence, thème important de l’œuvre, on perçoit sa véritable nature et tout ce qu’elle représente. Beauté est une série qui, pour moi, parle magnifiquement de la lutte des femmes pour l’égalité. Et malgré sa fausse légèreté, montre toute la difficulté du combat. Les hommes n’y ont pas la vie facile, posséder qu’ils sont à la seule vue de cette Beauté magique. A l’image de son héroïne, cette histoire repose sur les ressorts de la logique, de l’intelligence, du courage et de la prise de conscience d’une force intérieure. Un beau message qui frappe d’autant plus qu’il est écrit par un homme.

Étonnement et surprises sont des mots qui reviennent régulièrement dans cette chronique. C’est effectivement le sentiment qui m’a traversé tout au long de la lecture de ce triptyque. Iconoclaste, sombre et intelligente, cette aventure est une quête féminine et féministe à la fois. Sous le format classique de la BD franco-belge, Beauté est une série qui fait réfléchir son lecteur avec délice, à la fois en douceur et en violence. La morale finale est à l’image de l’ensemble, d’une très grande finesse. Bref, juste indispensable !

A lire : la chronique de Tristan sur B&O et la chronique de Paka (2e tome)

Beauté (série en 3 volumes – terminée)
Scénario : Hubert
Dessins : Kerascoët
Edtions : Dupuis, 2011

Public : Ados-Adultes
Pour les bibliothécaires : Série courte et juste indispensable

Chroniques Cinéma

CaseDoc | Matt Konture, l’éthique du souterrain (Francis Vadillo)

Avant propos : CaseDoc, c’est quoi ?

Comme vous l’avez remarqué depuis quelques mois, IDDBD ne parle plus uniquement de bande dessinée mais aussi de cinéma, de cinéma documentaire pour être précis (avec une parenthèse animation cet été). Or, je constate que de nombreux films ont été réalisé sur ou autour de la bande dessinée. Afin de lier l’utile à l’agréable, je vous propose donc CaseDoc, des séries de chroniques autour de ces documentaires consacrés au 9e art. J’ai le bonheur de vous proposer Mattt Konture pour ce premier billet. Tout simplement l’un des membres fondateurs de la mythique Association.

Mattt Konture : l’Artiste

Qui de tête pourrait me donner les 7 membres fondateurs de l’Association sans aller faire un tour sur Wikipedia ? Essayons ensemble : David B,  Jean-Christophe Menu, Lewis Trondheim… Euh… ça devient plus dur ensuite… Normal, ces trois là sont les plus médiatiques. Je suis persuadé que beaucoup d’entre nous pourraient ajouté Joann Sfar en se mettant profondément le doigt dans l’œil. Pourtant, ils étaient bien 7… et pas des moindre : Patrice Killofer, Stanislas, Mokeit et Mattt Konture. Mais pourquoi parler de ce dernier ? Après tout, n’est-il pas plus intéressant de faire une chronique de la vie du protestataire Jean-Christophe Menu, par exemple ? Pourquoi faire le portrait d’un auteur qui a passé la majorité de son temps à parler de lui-même dans ses œuvres ? N’est-ce pas suffisant pour le comprendre ? Quel est l’intérêt de ce film en fait ?  Les premières minutes sont révélatrice et résume assez bien l’esprit général du propos développé par le réalisateur. L’artiste est seul au milieu de la Lozère de son enfance. Il est là avec son crayon, retranscrivant graphiquement ces quelques instants, se dessinant gentiment au milieu de ce grand espace. Son dessin est reconnaissable, joyeusement sombre. Il parle avec sérennité. On sent un peu de timidité et pourtant, il se livre avec une véritable volonté de partage. A cet instant, et ce sera le cas tout le long du film, ni la plume ni la voix de Mattt Konture ne mentent. Rare sont les artistes qui font corps avec leur art. Mattt Konture est de ceux-là. Dans son petit appart’, dans sa manière d’être, dans sa manière de se vêtir, de parler, il  ne se différencie pas de son œuvre. Il est ce qu’il fait… jusqu’au bout de ses incroyables cheveux (seul partie du corps où l’on peut se permettre d’être créatif dixit l’intéressé). Il suffit de voir cette scène incroyable où il peint avec ses propres cheveux dans un petit festival de musique alternative en pleine campagne pour être convaincu du propos. Moment de folie ou d’extase artistique ?

Portrait d’un auteur libre

A travers le témoignage de ses amis et surtout de cette très belle scène – sorte de fil rouge du film – où Patrice Killofer tente (et réussi) de dessiner son camarade, on perçoit véritablement toute l’importance de ce personnage dans le monde de la bande dessinée contemporaine. Certes, comme je le disais plus haut Mattt Konture n’est pas le plus médiatique, certes il ne vend pas 100 000 albums, certes il n’a pas l’honneur des sunlights. Mais il est le créateur d’une œuvre toute particulière qui l’a conduit très tôt à se mettre lui-même en scène et par le fil du destin à évoquer sa maladie, la sclérose en plaque. D’une manière frontale, il l’évoque sans mensonge ni pathos avec toujours ce lien fort unissant travail et être profond. Par ce mouvement autobiographique, il a marqué directement ou indirectement le monde de la bande dessinée et particulièrement des auteurs de l’Association. Si l’on peut discuter de la naissance de l’autobiographie BD en France, une chose est certaine : elle doit beaucoup à Mattt Konture.  Mais, tout cela semble le dépasser un peu ou du moins n’en fait-il pas une montagne. On le voit, 20 ans après la création de l’Association alors que de nombreux petits camarades sont allées vers les cieux plus chauds de la BD mainstream, continuer de travailler dans le milieu underground. Fils spirituel et indirect d’un Robert Crumb, il fait ses fanzines, de la musique, se déplace dans les petits festivals, travaille avec des jeunes et les aide à porter leurs projets. On pense par exemple au collectif En Traits Libre dont Kristophe Bauer, dessinateur de Sentinelles de l’Imaginaire fait partie. Sous les yeux du spectateur, Mattt Konture apparaît comme un géant. Mais l’important n’est pas là. L’important est de continuer… toujours…

Comme une absence

Au-delà de l’artiste en lui-même, le film de Francis Vadillo montre en filigrane cette rupture qui s’est créée depuis quelques années dans le milieu de la BD. Alors qu’on s’évertue souvent à parler de la bande dessinée comme d’un média unitaire, on comprend rapidement toutes les dissensions au sein des différents mouvements qui l’animent. Après tout, la BD est maintenant considéré comme un art à part entière – enfin la plupart des gens le reconnaisse aujourd’hui – pourquoi serait-il différent des autres ? Qu’est-ce qu’il le rendrait différent ?  Ce qui frappe dans ce film c’est justement l’absence des grandes figures historiques et ancien partenaires de l’auteur Mattt Konture. Vous ne verrez jamais Trondheim ou David B., ni même des auteurs apparentés comme Sfar qui a pourtant connu des moments de gloire avec ses fameux carnets (tiens de l’autobiographie justement). En revanche, on verra Jean-Christophe Menu et sa parole toujours très marquée. Le film se déroule au moment des 20 ans de l’Association et justement ces absences font un peu mal et témoignent très indirectement des évolutions de la BD depuis 20 ans. Quelques mois plus tard, c’est la crise chez l’éditeur historique de la BD alternative… Finalement, Mattt Konture semble être un catalyseur d’une forme qui reste et restera très expérimentale et rejette toute facilité, une sorte de bohème du 9e art. Sur IDDBD, on a une tendresse particulière pour les Artistes. A travers son parcours, on ressent les évolutions de la bande dessinée underground (bien plus qu’alternative) depuis les années 80. Bref, ce film propose un point de vue intéressant pour les amateurs de 9e art. Les profanes seront peut-être un peu perdus dans les méandres de ce portrait singulier. Je regrette juste une forme cinématographique parfois un peu sage, j’aurais aimé quelques surprises à la hauteur du personnage principal. Mais après tout, c’est un format télévision. Faudrait pas trop faire peur au spectateur non plus ! Malgré cela, j’insiste sur la qualité du documentaire et sur le beau regard posé par Francis Vadillo sur cet artiste attachant. Petit post-scriptum à ma chronique : comme je vous l’expliquais, Kristophe Bauer travaille avec Mattt Konture dans En Traits Libres. Juste pour vous signaler la sortie d’un nouveau numéro Des Sentinelles de l’Imaginaire (nos premières chroniques ici). Je m’excuse car j’ai reçu le n°4 il y a déjà quelques mois et je n’ai pas pris le temps de faire un billet. En revanche je l’ai lu et ça s’améliore encore ! Bravo à eux et bonne continuation ! A voir : l’allèchant coffret Film + Comixture sur le site de l’Association Les premières minutes du film Mattt Konture – L’éthique du souterrain from Pages et Images on Vimeo.

Mattt Konture : l’éthique du souterrain un film de Francis Vadillo Production : Pages & Images / France Telévision 64mn, 2010

Chroniques BD, Recommandé par IDDBD

Chronique | Les Noceurs (Brecht Evens)

Ce soir, Gert organise une soirée chez lui. Les invités arrivent, tous attendent la venue de Robbie. Robbie est LA star des nuits de la ville, LE type incontournable. Robbie fascine les foules, séduit les femmes et est copié par les hommes. Mais Robbie tarde à venir. Quant à Naomi, elle prépare sa soirée…

Fascination et témérité

Outre le fait d’avoir pu retrouver les amis de KBD à Angoulême cette année, la chose pour laquelle je n’ai pas regretté le déplacement a été sans aucun doute l’exposition consacrée à  La Boite à Gand et en particulier au travail de Brecht Evens (souvenez-vous), prix de l’audace en 2011 pour Les Noceurs. Comme je vous l’avais expliqué, j’ai été surpris par ces dessins constitués de couches successives s’empilant les uns sur les autres sans jamais se mélanger et formant pourtant un tout. J’ai été troublé par l’atmosphère spéciale émanant de cet univers. Finalement, je suis sorti complètement séduit graphiquement tout en me demandant si cette bande dessinée-là n’était pas finalement bien trop conceptuelle pour mon petit cerveau.

Bref, en terme diplomatique, j’avais juste un peu peur de m’ennuyer dans les mêmes proportions que lors d’une projection d’un film documentaire de 1933 de Dziga Vertov en russe sous-titré en anglais juste après le repas (c’est du vécu, si, si !). La qualité est là mais qu’est-ce qu’on… Bref, c’est dire si j’avais une certaine appréhension quant à l’entame de ce livre.

Sens du trait

Et bien non.

Je me suis retrouvé quelques mois plus tôt dans la salle d’exposition, retrouvant cette même fascination, cette sorte d’hypnose qui m’avait scotchée devant plusieurs tableaux. Même imprimé, le travail de Brecht Evens reste un moment d’étonnement presque enfantin. Coup de chapeau aux imprimeurs car la qualité de l’impression est indéniable. Son dessin, loin des canons académiques qui veulent que les personnages soient reconnus à leurs visages, est parfaitement adapté à l’atmosphère de son histoire. Des halos de couleurs qui forment des silhouettes, des traits pour en faire des visages humains et nous voici dans ce monde.

Car à l’image d’une œuvre comme Cages de Dave McKean, l’intérêt de cette œuvre n’est pas spécialement dans l’articulation habituelle scénario/dialogue/dessin. L’univers graphique développé par Brecht Evens au fil de ses pages est si présent, si fort de signification qu’il laisse des miettes à des dialogues dont on pourrait presque se passer. Dans les Noceurs, la place n’est pas donnée aux mots mais aux traits, parfois innombrables, parfois unique. Ils sont autant de sensations, autant d’expression du message. Car, même si l’auteur s’amuse à casser les codes habituels de la narration en bande dessinée – notamment par la multiplication de planches complètement déstructurées du point de vue de la lecture – l’album est pensé avec une grande justesse.

Carnaval de nuit

D’ailleurs, la couverture est à l’image de cet album, c’est à la fois un flot continu de perceptions contradictoires (malaise, sensualité, onirisme, perte de repères, excitation, folie…) et une progression constante vers un but. Brecht Evens ne raconte pas une histoire dans ce livre, il expose un monde. Un monde parallèle, nocturne, presque fantasmagorique, qui nous apparaît dans toute sa démesure et qui colle parfaitement au graphisme de l’auteur. D’un petit appartement où l’on attend en s’ennuyant, à la boite branchée, temple de la religion nocturne, on découvre le petit peuple des Noceurs, une société divisée en classe.

Le chef est Robbie le magnifique, nimbé de bleu, chef incarné, légende nourrit de mille anecdotes. A ses bottes, arrive la multitude, la cour cherchant la lumière auprès de leur Roi. Puis, les non-initiés symbolisés par la candide Naomi, jeune femme en rouge du petit peuple, découvrant ce monde. Et enfin, Gert, le loser, l’exclu aux traits verdâtres qui ne comprend rien, ni à lui-même, ni aux autres. Pourtant, il est l’ami intime du chef… Mais connaît-on vraiment les légendes ?

Au bout de l’histoire, on se pose la question de la signification de cet album. Y’a-t-il un message ? Sans aucun doute. Mais la grande force de cette « histoire-qui-n’en-est-pas-vraiment-une-ou-enfin-si-mais-non » est de laisser toute sa place aux lecteurs. Étrangement, il est facile de se glisser dans ces personnages silhouettes. Paradoxalement, ils ont beaucoup d’humanité. Finalement, le lecteur prendra la place qu’il souhaite dans cet espace, comme un jeu de rôle. Chacun aura une réponse, chacun sera marqué, car chacun a connu un jour où l’autre ce monde de la nuit où les normes et les valeurs changent… A Paris, Gand ou Tokyo, les Noceurs sont là… silhouettes dans la nuit.

A lire : les chroniques enthousiastes chez Mango et Littérature graphique
A lire (aussi) : la chronique moins enthousiaste de Legoff, compère de KBD
A voir : la fiche album sur le site d’Actes Sud

Les Noceurs (one-shot)
Scénario et dessins : Brecht Evens
Traduit du néerlandais par Vaidehi Nota & Boris Boublil
Editions : Actes Sud, 2010 (22€)

Public : Adulte
Pour les bibliothécaires : un auteur à moitié fou qui vous dézinguera votre rayon roman graphique. Indispensable !

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