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Chroniques BD, Recommandé par IDDBD

Chronique | Un Printemps à Tchernobyl (Lepage)

2008, un groupe d’artiste se rend en Ukraine : direction Tchernobyl. Tchernobyl, le nom évoque la plus grande catastrophe nucléaire de l’histoire du XXe siècle, la mort et le danger invisible, la zone interdite, l’enfer sur terre… Bref, tout sauf un lieu de visite. Et pourtant, Emmanuel Lepage s’y rend avec son œil d’artiste, la grâce de son dessin et son lot de peurs. Un album fort à la fois terrifiant et riche d’enseignement.

Voyage en enfer ?

A l’image d’un Jean-Pierre Gibrat, Emmanuel Lepage est un artiste faisant le pont entre la bande dessinée  d’auteurs et la BD grand public réaliste. Ses albums de fiction se situent dans une réalité palpable, marquante, touchante. Son dessin est également l’un des plus impressionnants de la BD européenne car ses compositions de cases et de planches sont toujours remarquables. Et dans cet album, alternant paysage de campagne, friche industrielle et urbaine, il exerce la pleine mesure de ses capacités avec des dessins superbes (l’image de cette couverture), alternant nuances de gris et couleurs éclatantes.

Si Un Printemps à Tchernobyl est l’histoire d’un voyage, il est bien plus qu’un simple carnet d’illustrations. Dans cet album, Emmanuel Lepage donne une marque de confiance rare à son lecteur en le laissant complément pénétrer dans ses pensées personnelles. Dans une première partie, après une introduction et la présentation didactique de l’histoire de Tchernobyl (nécessaire pour beaucoup d’entre nous), il raconte les préparatifs de son voyage. Il y fait étalage de ses angoisses, de la peur de ses proches, de ses difficultés personnelles avant le départ. Comme un symbole, quelques mois avant le départ, il n’arrive plus à dessiner à cause d’une douleur à la main. Même si ce passage m’a semblé un peu long, avec le recul, il plante les graines qui permettront, par contraste, de mieux comprendre les évènements de ce voyage. On ne va rien dévoiler ici mais clairement, Un Printemps à Tchernobyl raconte beaucoup plus qu’une résidence d’auteur dans la région d’une centrale nucléaire, c’est une sorte de quête spirituelle, une aventure humaine et profonde qui ne trouve toute sa force qu’en toute fin d’album…

Regards sur zone

Mais avant cela, Emmanuel Lepage montre : pénétrer dans la zone interdite, voir « le monstre », la centrale éventrée et son cercueil de béton, le compteur qui monte en flèche dépassant au bout de quelques instants le seuil limite de tolérance. L’horreur d’une réalité. Mais il ne s’arrête pas là. Il montre le no man’s land d’une trentaine de kilomètres autour de la centrale, il montre les villes et villages abandonnées, les terres souillées par la pollution invisible et mortelle de la radioactivité. Il montre parce qu’il est là pour ça. Comme un témoin pour ceux qui ont peur, pour ceux qui ne peuvent pas s’y rendre. Un printemps à Tchernobyl est aussi un témoignage rare d’une réalité dure qui pose une simple question : quelle vie après un accident nucléaire ? La réponse est surprenante car la vie existe encore avec ces forêts lumineuses et belles, ces lacs, cette nature presque normale… Presque, car c’est une nature dénaturée et traitresse créée par les humains et qui peut les consumer à petit feu. Ces humains justement, Emmanuel Lepage les montre aussi. Ils sont simples, comme vous et moi. Ils souffrent mais sont attachés à une terre souillée… Leur terre.

Entre les lignes, cet album ne fait pas que montrer. Il interroge évidemment sur la question du nucléaire dans notre production d’énergie. Alors jeu de roulette russe ou vraie maîtrise du sujet ? Au vu de cet album j’ai bien ma propre idée. En tout cas, Emmanuel Lepage signe simplement un album essentiel très injustement oublié par la sélection du festival d’Angoulême. Album profond, fort, terrifiant, humain et citoyen. Essentiel tout simplement.

Pour rebondir : les chroniques de Zorg & Mo’

Un printemps à Tchernobyl (one-shot)
Scénario et dessins : Emmanuel Lepage
Editions : Futuropolis, 2012
Public : Ado-adulte
Pour les bibliothécaires : Lire la dernière phrase de ma chronique.

Chroniques BD

Kililana Song (Benjamin Flao)

En Afrique de l’Est, au détour de l’Erythrée et du Kenya, un petit garçon court dans les rues pour échapper à son frère. Il ne veut pas apprendre, il veut sa liberté. Portrait d’un Tom Sawyer d’Afrique.

Certains livres se lisent, d’autres se contemplent. La bande dessinée n’a pas choisi entre ces deux voies, elle est une  osmose entre écriture et forme. Quand les dessins parlent, quand ils nous font ressentir des émotions, des sensations avec la même intensité qu’un texte finement ciselé, alors la bande dessinée montre toutes ses qualités. Avec Kililana Song, Benjamin Flao réussit ce petit miracle de papier. Pour tout vous dire, j’ai lu cet album il y a maintenant plus de deux mois. Je m’y penche de nouveau pour les besoins de KBD mais je n’ai pas vraiment eu besoin de l’ouvrir de nouveau pour me rappeler certaines de ses planches. Magnifique ce soleil bouillant perçant le toit de la case d’un vieil homme tout en mettant sa vieille carcasse en lumière ! Magnifiques ces pages où un simple trait bleu sépare la mer du ciel, où un bateau vogue sur le blanc du papier et l’azur de l’océan ! Magnifiques également, ces rues de Lamu où grouille une foule bigarrée au relent de post-colonialisme ! Alors forcément, il y a du bien, du mal, les galères de la misère mais peu importe. On y entend le bruit de la vie, les cris, les prières et la course de ce petit garçon s’échappant dans les rues poussiéreuses. Sa prison à lui, c’est l’école coranique. Son grand frère veut l’y emmener de force. Mais Naïm est plus malin, plus rapide, plus habile. Devant lui, la liberté, alors forcément, il court plus vite. Son frère est alourdi par ses certitudes.

Comme le Tom Sawyer de Mark Twain, Naïm est un personnage plein de légèreté, d’humour, de débrouillardise et surtout d’intelligence. Une intelligence qu’on ne trouve pas dans les lignes mais dans la relation aux autres. Naïm est un enfant libre et on a envie de le suivre dans son école buissonnière. Cependant, Kilalana Song n’est pas seulement le portrait d’un personnage. A l’image –toute relative – d’un Jean Rouch, le fameux anthropologiste cinéaste, il pose également un regard tout à fait particulier sur l’Afrique de l’Est, un regard presque universel tant cette région paraît être traversée par le monde entier. Si le scénario n’est pas d’une originalité folle – ce premier volume se bornant surtout à développer l’univers et le personnage de Naïm – cette atmosphère permet au lecteur de pénétrer immédiatement dans le récit, de s’y sentir bien.

Je ne pourrais pas vraiment ajouter d’arguments supplémentaires pour vous inciter à lire Kililana Song. Il a été pour moi une suite ininterrompue de sensations. Son dessin et de son personnage principal sont toute sa force. Il manque un peu de profondeur en matière de récit à mon goût. Mais ce premier album pose un certain nombre de bases qui seront sans doute développées par la suite. En attendant, on rêverait presque d’un album comme L’homme qui marche de Taniguchi, un livre uniquement constitué des pérégrinations de ce petit homme, un livre contemplatif poursuivant l’unique but de nous faire ressentir l’instant.

Kililana Song (première partie)
Dessins et scénario : Benjamin Flao
  Éditions: Futuropolis, 2012 (20€)

Public : Ado, Adulte
Pour les bibliothécaires : Très bel album. Parmi les meilleurs du premier semestre 2012. J’attends la suite avec un certain intérêt.

Chroniques BD, Recommandé par IDDBD

Chronique | Paul au parc (Michel Rabagliati)

Dernière étape de nos chroniques de rentrée consacrés aux albums de La Pastèque, voici le dernier opus de la série phare de l’éditeur : Paul au parc de Michel Rabagliati.

La touche québecoise

Depuis 1999 et Paul à la Campagne, l’auteur québécois raconte les pérégrinations de son alter-ego de papier. Cet anti-héros a presque tous les visages de la vie, passant, d’un album à l’autre, du stade de l’adolescent boutonneux à celui d’adulte accompli. Pas vraiment de transition ni même de logique dans cet exercice mais des petites touches qui peignent l’existence sans détour. Des fâcheries aux grandes rencontres, des moments fondateurs aux drames du quotidien, Paul c’est une vie ordinaire raconté d’une façon… ordinaire.

C’est vrai, le dessin de Michel Rabagliati est effectivement très simple mais il n’en demeure pas moins d’une extrême rigueur. Maisons, quartiers, paysages, personnages, tout est graphiquement très cohérent. Un trait souple, des cases aérés, un rythme régulier et une espèce de joie de vivre qui irradie ses pages. Une joie communicative que je trouve assez propre à la bande dessinée québécoise.

Comment ? Les québécois auraient-ils une façon particulière de faire de la BD ? Bonne question. A l’aune de mes lectures récentes (et moins récentes), je me hasarderais à répondre par l’affirmative. Je n’ai pas vraiment d’éléments, juste l’impression d’une réelle fraîcheur due peut-être à une absence totale de prétention, une volonté de prendre la vie avec légèreté et surtout,  une capacité d’autodérision rare dans notre vieille Europe. Résultat, sous couvert d’une fausse légèreté, de nombreuses émotions (positives et négatives) passent dans leurs productions. Personnellement, j’adore.

La vie, la voix

Tout est là. Le dessin de Michel Rabagliati, une sorte de réalisme naïf, s’articule très bien avec l’écriture. Les deux éléments se répondent. Les récits de Paul ont une double voix : celle du souvenir symbolisé par le dessin et les dialogue – que l’on observe – et celle du narrateur, que l’on entend. Oui, on perçoit le son d’une voix à la lecture de ces albums. Que voulez-vous, j’entends la voix off de Michel commenter la vie de  Paul. C’est magique. J’ai l’impression de partager un moment d’intimité, comme si ce livre avait été écrit pour moi. Et puis comment imaginer un narrateur plus fiable ? Michel a vécu la vie de Paul puisque il s’agit d’une œuvre autobiographique. Conteur de sa propre vie, ses histoires frappent par leur fluidité. On passe, comme dans Paul en appartement, de la période des souvenirs à celle du temps présent avec grâce, humour et intelligence. Et toujours cette même recherche de simplicité, toujours cette volonté de nous raconter une histoire comme si elle était la plus extraordinaire du monde.

Pourtant, si on passe en revue les albums, rien ne semble plus ordinaire que cette vie là. Dans Paul au parc, Michel Rabagliati raconte une courte période de sa jeunesse. Il évoque son passage chez les Scouts loin des clichés habituels. Il nous parle des camps d’été, les copains, les éduc’. Et pourtant, nous ne sommes pas dans Martine chez les Scouts ou Scouts toujours. Michel Rabagliati ne se limite pas qu’à ce simple épisode. Il élargit notre horizon en évoquant non seulement sa vie familiale mais aussi la réalité politique et sociale de la vie d’un jeune québécois moyen dans les années 70 : l’arrivée de la télé couleur, les mouvements indépendantistes… et les premières copines. La grande histoire rejoint la petite… comme dans la vraie vie. Résultat, le lecteur perçoit mieux les nuances… et c’est souvent ces détails qui font les belles histoires.

Un seul conseil pour terminer : lisez Paul et soyez heureux !

A relire : la chronique « Les incomparables #1″ consacré à Paul et… Atar Gull.
A voir : l’interview pour l’exposition Paul à Paris (2010)
A parcourir : le site de Michel Rabagliati et la fiche-album sur le site de La Pastèque

Paul au Parc (et tous les autres de la série pendant qu’on y est !)
Scénario et dessins : Michel Rabagliati
Éditions : La Pastèque, 2011

Public : J’aurais tendance à dire tout public sur certains albums mais...
Pour les bibliothécaires : peut-on se prétendre bédéthécaire et ne pas avoir Paul dans ses rayons ? J’en doute. Une série tout simplement indispensable.

Chroniques BD, Recommandé par IDDBD

Chronique | Supplément d’âme (Kokor)

Il est anonyme dans la masse, petit homme rondouillard, chapeau mou et petite valise, marchant dans les rues de Dublin. A première vue, on ne dirait pas qu’il vient de trouver une solution aux problèmes de ce monde. Un hasard, un message sur internet, une chaîne universelle qui grandit, des oiseaux sculptés qui envahissent les édifices, la girafe Sophie et surtout cette question qui résonne partout : qui a sauvé le monde ?

Les belles âmes

Supplément d’âme, dernier né du talentueux Kokor, auteur pour lequel nous ne cachons pas notre admiration, est une œuvre chorale. On commence par entendre la voix de notre héros anonyme, narrateur de cette histoire. Puis s’ajoute celle de Willie, une jolie artiste irlandaise et enfin, arrive Camille Desmoulins, un français venu travailler dans une grande firme internationale, divorcé. Trois voix – et voies – qui semblent bien distinctes au départ. Rien ne semble les lier.

 

Et pourtant, comme à son habitude, Kokor joue avec son scénario et son lecteur dans des pistes qui se croisent, où les éléments s’additionnent et s’enrichissent pour constituer au final une seule histoire. Supplément d’âme est un album construit comme cette fameuse solution pour sauver le monde. C’est une histoire multiple devenant unique, une cacophonie scénaristique se transformant par la magie de la bande dessinée en une fable humaniste. Cet album est une auberge espagnole… et irlandaise.

Il s’agit peut-être de sa plus grande faiblesse. C’est le pendant de la grande liberté de ton de Kokor. Plus que d’autres, il travaille souvent sur la corde d’une réalité contrariée, différente, jouant sur les interprétations. Evidemment, le lecteur apporte sa propre besace émotionnelle et Supplément d’âme aura des ressenties très différents selon le lecteur. Ainsi, de mon point de vue, cette histoire résonne d’une façon particulière mais certains d’entre vous resteront à la porte. Trop de symboliques, peu d’explications et un univers qui, par la force de choses, dérangera les plus cartésiens d’entre nous.

Insoutenable légèreté

Mais assurément, Kokor ne peut renier cet album. Il porte sa marque. On retrouve les éléments qui ont fait de Balade Balade ou des Voyages du Docteur Gulliver des albums à part dans le paysage de la BD. Cet auteur distribue de la légèreté avec délice. Et même dans les instants difficiles, il y a un éclat dans les yeux des personnages, une parole, une situation permettant de voir le bon côté de la vie. Quand les êtres courent après le temps, la solitude ou l’abandon permettent de réfléchir sur soi-même, de prendre ce temps qui manque, de penser au détail. Car dans cet univers, le moindre élément peut prendre une grande importance. Je ne dévoilerai rien de l’intrigue mais notre personnage solitaire est finalement bien entouré. Et je ne parle même pas de Willie et Camille

Dans cet esprit, Kokor écrit une histoire où l’insouciance traverse constamment les planches. Alternant moments de silences contemplatifs, dialogues surréalistes et réflexions sur notre rapport aux autres, Supplément d’âme en devient une sorte de fable universelle qui la rapproche un peu des œuvres de poètes comme Prévert, Tati ou Sempé. Si l’histoire se passe à Dublin, elle aurait pu se dérouler au Havre, Copenhague, Kyoto ou Johannesburg. Peu importe le lieu car la mise en scène, le côté clownesque des personnages, leur regard amusé sur les événements, le rire, l’esprit, tout est là pour raconter cette belle histoire. Nous n’avons plus qu’à nous laisser porter par un graphisme somptueux. J’ai lu beaucoup d’album de cet auteur et pourtant, j’ai été particulièrement surpris par ses planches. Non seulement, il livre un travail technique varié (classique, figuratifs, croquis) mais il multiplie les lieux (mer, ville, atelier, gratte-ciel, bureau, rue…) tout en créant des atmosphères très disparates par son travail sur la couleur. Depuis Les Voyages du Dr Gulliver, je reste particulièrement amateur de ses bleus. Et justement cette couleur, c’est le ciel et la mer, la liberté, le rêve… Assis face à l’océan, le personnage principal se noie dans l’azur en devenant homme-oiseau (selon Willie) ou homme-poisson (selon Camille) et nous emporte tous, lecteurs et personnages, avec lui.

En finissant cette chronique, je jette un œil aux paragraphes précédents. Encore une fois, je me laisse emporter par l’enthousiasme… mais quel bel album ! Kokor aime les fables humanistes, aime nous faire voyager dans son univers où même les choses graves ne le sont pas vraiment. Émouvant cet album est une grande réussite. Graphiquement, on joue ici dans la cour des très grands. En espérant que grâce à cette œuvre, Kokor son auteur gagne enfin la reconnaissance publique qu’il mérite depuis longtemps. En tout cas, on vous recommande ce Supplément d’âme !

A lire : la chronique de Mo’ et celle de Paka
A voir : la fiche album sur le site de Futuropolis

Supplément d’âme (one-shot)
Scénario et dessins : Alain Kokor
Éditions : Futuropolis, 2012 (19€)

Public : Ado-adulte
Pour les bibliothécaires : L’une de ses oeuvres les plus accessibles. Digne d’une bonne bédéthèque !

CHRONIQUES

Chronique | Temps mort (Gilles Rochier)

Le temps mort c’est maintenant. Le chômage se pointe comme pour tous les autres dans le quartier, copain rappeur usant ses semelles sur le bitume, joueurs de basket. Le temps mort c’est du temps, pour se reposer, pour réfléchir, pour déprimer aussi. Finalement, le temps mort c’est peut-être une occasion pour faire ce qui plaît vraiment… dessiner, faire de la BD. Pour de vrai.

Au début du mois de janvier, nous avions consacré une chronique à TMLP (Ta mère la pute) de Gilles Rochier. Pour nous, son travail avait quelque chose d’indéfinissable. Un trait au premier abord maladroit mais dont la maîtrise et surtout la justesse prenait le lecteur à parti et l’emmenait là où il le voulait. Nous ne nous en cachons jamais, pas de raison de commencer aujourd’hui, Gilles Rochier fait désormais partie de nos auteurs « stars » sur IDDBD. L’objectivité de la présente chronique est donc tout à fait discutable. Mais entre nous, je m’en balance car je suis chez moi !

J’aurais pu consacrer une mini-chronique à Temps Mort, car j’ai parfois eu l’impression en la rédigeant que je redonnais encore une fois les mêmes arguments. Pourtant, cet album sonne lui aussi d’une manière particulière. Même s’il est plus ancien, il répond d’une certaine façon à son « p’tit frère ».

En effet, si TMLP évoque l’enfant et la jeune cité, Temps Mort raconte l’homme et le vieux quartier. Armé de son carnet de croquis ou simplement se déplaçant au gré de sa vie quotidienne, l’auteur/personnage parcourt la cité dans de multiples saynètes montrant un aspect de la vie dans les barres d’immeubles. On retrouve les mêmes qualités que dans TMLP. Gilles Rochier utilise la bande dessinée comme un documentariste utilise sa caméra, comme un regard sur le réel, sur la vie de tous les jours, comme un simple témoin, sans jugement, sa apriori. D’ailleurs, détail amusant, le lecteur voit la plupart du temps le héros de dos. Le travail du regard est là, renforcé par les multiples croquis qui ornent les pages. Elles ne sont pas là pour faire joli, elles illustrent le propos, renforçant l’impression de réalité immédiate. Le dessin prend alors toute sa force et devient aussi puissant que l’objectif du caméraman, dévoilant même des sensations particulières.

On retrouve également le dessin si particulier de Gilles Rochier, celui qui donne tant de bonheur aux aficionados de la ligne claire année 80. Je suis certain que ces derniers ont dû s’étouffer à la cérémonie de remise des prix d’Angoulême quand TMLP a reçu le prix révélation. A bien y regarder, les immeubles sont droits, fouillés, détaillés parfois, on sent la rue et son atmosphère particulière tandis que les personnages sont de vraies gueules cassés, burinés par la vie, par les émotions, par le désœuvrement. Le contraste décor réaliste / personnages caricaturaux n’est pas sans rappeler certains grands noms de la ligne claire.

Le spleen du personnage, fil conducteur du livre, est particulièrement bien rendu. Sans parler de poésie, on retrouve ce quelque chose d’indéfinissable, une justesse dans le propos, dans le trait, qui rend ce personnage attachant mais jamais nombriliste. Ce dessin particulier fait passer beaucoup plus de chose qu’une simple illustration car si on oubliait textes et dialogues, je pense que beaucoup de messages passeraient tout de même. Entre nous, ce serait bien dommage car certaines discussions valent bien qu’on s’y arrête.

Finalement, cet album apparaît d’une très grande justesse. A travers un regard autobiographique, il tente de montrer la banlieue, ses figures, son quotidien, son humour et ses difficultés. Comme dans TMLP, il ne fait pas dans le misérabilisme, il montre tout simplement sans faire d’effets malvenues. Et puis, il y a ces croquis donnant encore un peu plus de réalité à l’ensemble. Un beau livre. Un de plus.

A voir : la fiche album sur le site de 6 pieds sous terre

Temps mort (one-shot)
Scénario et dessins : Gilles Rochier
Couleurs : Jean-Philippe Garçon
Editions : 6 pieds sous terre, 2008 (13€)
Collection : Monotrème

Public : Adulte
Pour les bibliothécaires : J’espère que vous avez déjà TMLP… et bien le parfait complément.

Chroniques BD

Chronique | Les Nouvelles Aventures du Chat botté (Pena)

Vous connaissez tous l’histoire du chat botté ? Non, pas le mexicain faisant les yeux doux à son copain l’ogre… Le chat Botté avec un B comme BD : le marquis de Carabas, l’ogre, le chat astucieux etc, etc… ça vous parle ? Mais saviez-vous que cette histoire avait une suite ? « Qui peut avoir des idées aussi absurdes ? L’auteure… La peste soit de ces bonnes femmes et de leur imagination débordante. » La bonne femme à l’imagination débordante a pour nom Nancy Peña. Vous voyez l’intérêt quasi-fanatique que je porte à Fred Peeters (j’essaie de me soigner mais c’est dur) ? Et bien, chez Mo’ c’est pareil mais en pire concernant cette auteure. A force, cette acharnée a réussi à me convaincre. C’est donc sans jamais avoir ouvert un de ses livres que je découvrais  l’œuvre de cette auteure… par la petite porte. Non pas que cette courte série soit inintéressante mais la collection, pardon, l’excellente collection Lepidoptère de 6 pieds sous terre n’est pas tout à fait un grand format. 30 pages format poche, ça a le mérite d’être rapide à lire. Encore plus quand vous vous passionnez pour le récit. Ce qui fut évidemment le cas, sinon je ne vois pas l’intérêt d’en parler ici. Alors que l’ultime volume de De Capes et de crocs sort ce mois-ci, Nancy Peña nous emmène dans un univers assez proche de celui des Don Lopes et d’Armand de Maupertuis fait de bons mots, de multiples clins d’œil à la littérature française et de rodomontades en tout genre. Cependant, sous ses airs enjôleurs, le chat ne cherche bien qu’à sauver sa peau. Pas vraiment de noblesse dans la démarche. En même temps, quand, par une méprise, une montagne cri vengeance parce qu’elle pense qie l’ogre transformé en souris par la malice du chat était son fils – ben oui les montagnes accouchent de souris c’est bien connu (ne cherchez pas, lisez la BD c’est mieux) – que faire d’autre sinon chercher une solution ? Bref, le chat du marquis de Carabas part sur les routes accompagnés de Victoire, l’illustre souris célébrée par La Fontaine dans sa fable pour avoir vaincu un lion (non mais ne cherchez pas vous dis-je !). Ce petit résumé sans queue (de lion ou de souris voire de chat) ni tête (idem), nous montre aisément que cette BD est un joyeux n’importe quoi maniant aussi bien l’absurde, l’humour et la logique propre à un monde merveilleux. Pour faire simple, suivre les nouvelles aventures du chat botté c’est partir dans une aventure où les protagonistes ont (presque) tous à voir avec les histoires ou les fables de votre enfance avec en plus ce petit brin de créativité  permettant de faire passer le cynisme, les coups bas, les escroqueries grossières mais aussi le franc parler merveilleux de ces personnages. De Capes et de crocs certes, mais avec la dose d’impertinence inhérente à la collection de 6 pieds sous terre. Pour moi, l’un des tous meilleurs éditeurs d’humour (fin j’entends) dans le paysage de la BD actuelle. A sa manière, Nancy Peña s’inscrit dans une tradition de la BD à la fois pour adulte et enfants. Il n’y a certes pas le côté joyeusement trash du Gotlib de  Rubrique à Brac (cf Le vilain petit canard… et la suite) mais il y a cette même ton enjoué et humoristique. Dans cette approche de réappropriation, la BD est un univers idéal par son côté graphique. En effet, elle est capable d’appréhender et d’offrir avec originalité une nouvelle lecture d’histoires connues de tous. De ce point de vue, Nancy Peña se fait particulièrement plaisir en jouant, malgré leurs tailles minimes, sur des doubles pages. Comme elle le fait avec le conte de fée, elle explose les codes narratifs de la BD avec talent pour nous sortir de la lecture linéaire d’une planche. Droite à gauche, en rond de bas en haut, la lecture reste pourtant naturelle tandis que les structures des pages sont à chaque fois différentes. Un travail magnifique de réappropriation de contes mais aussi de création graphiques. Je passe sur les situations ou les personnages hauts en couleur qui sont eux même des caricatures de caricatures (cf Le magicien d’Oz). Avec Les Nouvelles Aventures du Chat botté, Nancy Peña nous offre une lecture comme on les aime. A la fois intelligente, pétillante, sympathique, un retour dans une certaine tradition de la bande dessinée tout en la renouvelant avec talent. C’est drôle de bout en bout, c’est rythmé. Bref, un coup de cœur caché sous le spectre de la simplicité. Et moi, j’adore les surprises ! A voir : le blog de Nancy Peña A voir : la fiche album sur le site de 6 pieds sous terre Les Nouvelles Aventures du Chat Botté (3 volumes, série terminée) Scénario et dessins : Nancy Peña Editions : 6 pieds sous terre Collection : Lépidoptère Public : Petits zé grands Pour les bibliothécaires : une approche intéressante du travail de Nancy Peña, pas une de ses séries majeures cependant, mais très bien quand même ^^

Chroniques BD

Les Incomparables #1 | Paul VS Atar Gull

Voici quelques temps déjà que cette idée me trotte dans la tête. Oh, rien de bien révolutionnaire : parler d’une BD non pas à partir de son histoire mais d’un de ses personnages. Chose étrange, la semaine dernière j’ai été incapable de rédiger un billet digne de ce nom sur l’excellentissime série des Paul du québécois Michel Rabagliati. Cette semaine, suite à des discussions intéressantes sur le blog de Mo’, je voulais parler d’Atar Gull, album qui ne m’a pas du tout enthousiasmé. Pareil ! Impossible de rédiger quelques choses de cohérents. Après avoir écrit deux pages sans queue ni tête, j’ai laissé tomber, un peu intrigué par ces deux échecs similaires sur des albums pourtant très différents.

Justement, ils sont différents, aucun points communs…

Et si c’était  ça la clef ?

Et si, pour rire, nous convoquions ces deux personnages de fiction pour une confrontation ? Qu’est-ce que ça donnerai comme chronique au final ? Alors juste pour s’amuser, je vous présente le premier (et peut-être l’unique) duel de cette nouvelle catégorie d’IDDBD : les incomparables !

A ma gauche : Paul. Québécois de Montréal né dans les années 60. Alter-ego de papier de son créateur, le très sympathique Michel Rabbagliatti. Paul, c’est 6 albums qui racontent une vie : la sienne. Paul est un genre de M. Jean  sans le côté parisien énervant. Son travail : graphiste, maquettiste, illustrateur. Il vit avec Lucie, sa très intelligente compagne et sa fille, Rose. Paul a de la famille, des amis, des emmerdes aussi. Bien entendu ce héros a de nombreux défauts mais aussi de grandes qualités dont les principales sont l’ouverture d’esprit et la dose d’autodérision qui manque à la plupart d’entre nous. Qualités qui lui permettent de prendre la vie comme elle vient, avec ses bons et ses mauvais côtés, sans s’illusionner sur ce qu’il est… ou n’est pas. Il a quelques regrets mais finalement, Paul est un humaniste qui s’ignore. J’exagère, c’est une personne simple qui sait faire attention aux autres.

A ma droite : Atar Gull. Prince d’une tribu africaine devenu esclave, donné comme cadeau à la fille d’un planteur. A la mort de son père, il n’a qu’un but… La vengeance ! Atar est né de la plume d’Eugène Sue au 19e siècle mais c’est Fabien Nury, nouveau scénariste hype de la BD franco-belge, qui l’a fait revivre sous le dessin de Bruno (Biotope, Michel Swing). Sous ses airs de statues, il est presque impossible de comprendre ce que ressent ce personnage singulier. Est-il simplement mué par la haine ou ressent-il véritablement les choses ? Qui est ce personnage, un fou dangereux, un tueur psychopathe incapable d’empathie ? Personnage dérangeant, impénétrable comme cette armure graphique qui l’entoure constamment. Seul son némesis, un dénommé Brulart, pirate et assassin de son état, semble percer à jour cet étrange personnage. A la fois terrifiant et froid, un robot avant l’heure.

A ma description, ces deux personnages sont différents autant sur le fond que la forme. Pourtant, en y réfléchissant un peu… Bon côté graphisme, pas de doute. Celui de Paul est influencé par la BD ligne claire des années 70-80, avec des traits caricaturaux pour les personnages mais plus de détails dans les décors. Globalement ça reste quand même très simple. Atar Gull en revanche dispose d’influences artistiques variées et fortement marquées par l’art africain. Ce personnage de golem sombre au trait si particulier rappelle les œuvres d’art premier. Cependant, le choix des couleurs l’entourant me semble si saugrenue qu’à la lecture je pensais sans cesse : « mais pourquoi diable a-t-il colorisé cet album ? ».

Au-delà de l’aspect graphique, ces personnages semblent toutefois partager quelque chose d’indéfinissable. Déjà, étant tous les deux les héros éponymes de leurs aventures, leurs histoires respectives reposent sur la réussite ou non de leur personnalité, de leur présence et leur charisme de « héros » de bande dessinée. Bien entendu, il est plus facile pour moi de se retrouver dans le personnage du québécois. Après tout, j’ai plus de chance d’être Paul qu’un prince esclave. Cependant, comme pour les univers imaginaires qui ne sont que des terreaux pour raconter des histoires, ça n’empêche pas l’ennui. Ce qui est intéressant dans le personnage de Michel Rabagliati, c’est sa faculté à se livrer sans ambages, sans se cacher ni prendre des chemins de traverse. Il montre, donne et reçoit avec la même intensité, n’élude aucun thème (même la mort comme dans Paul à Québec). L’auteur québécois se situe à la fois dans la ligne d’un Harvey Pekar par rapport au côté autobiographique de son œuvre mais aussi en rupture par son approche très positive. L’un est américain l’autre québécois, je ne sais pas si ça joue. En tout cas, Paul donne vraiment envie de traverser l’Atlantique à la nage, la rame et autres moyens plus ou moins rapides histoire de balancer quelque « hostie de calices » et autres « Tabernac ». Bref, lisez Paul et soyez heureux.

A l’inverse, alors qu’on cherche à me faire ressentir avec force la violence, le dégoût ou la compassion, on me livre un personnage déshumanisé comme Atar Gull. Comment puis-je adhérer au propos ? C’est pour moi un véritable frein qui me fait préférer – et de très loin – le personnage du pirate bien plus poétique et romantique que le héros principal. Hormis le fait que l’histoire soit plutôt bâclée sur la fin, il me semble quand même important dans un récit de ce genre qu’il puisse y avoir une accroche avec le héros. Rappelez-vous le Comte de Monte-Christo, l’un des plus grands récits de vengeance jamais écrit ! Atar Gull subit, puis agit comme un golem. Jamais il ne semble ressentir quoique ce soit. Il m’est donc impossible d’entrer confortablement dans cette histoire et d’être dérangé par quoique ce soit.

Voici donc le résultat de cette comparaison d’incomparable. Pourquoi j’aime Paul ? Parce qu’il est humain. Pourquoi je n’aime pas Atar Gull ? Parce qu’il ne l’est pas du tout. Pourtant ces deux personnages, par leur style de récit, sont des porteurs de vie, de sens, de ressenti. Si l’un m’entraîne, l’autre me laisse à quai.

Merci à vous d’avoir subi ce test dont l’intérêt est sans aucun doute discutable. Tiens et bien discutons-en justement !

Paul (7 volumes)
scénario et dessins : Michel Rabagliati
Éditions : La Pastèque
Public : Pour tous
Pour les bibliothécaires : indispensables, surtout Paul en appartement, Paul à la pêche & Paul à Québec.

Atar Gull (one-shot)
scénario : Fabien Nury d’après le roman d’Eugène Sue
dessins : Bruno
Editions : Dargaud
Public : Adulte
Pour les bibliothécaires : Gros buzz cette année (sélectionné à Angoulême, comme Paul d’ailleurs) mais je demande à voir sur la durée. Pas certains que cet album vieillisse très bien.

Chroniques BD, Recommandé par IDDBD

Chronique | Les derniers corsaires (Houde & Richard)

Durant la seconde guerre mondiale, le lieutenant Woolf est le second du capitaine Wallis sur le Jason, un sous-marin de la Royal Navy prêt à partir en mission. Woolf est ambitieux et ne comprend pas pourquoi, après des années d’efforts, il n’a pas encore son propre vaisseau. Le destin ne va pas tarder à lui offrir des réponses…

L’appel du large est souvent un moyen bien utile de débuter une aventure. Rien de mieux que l’horizon pour se lancer dans des promesses : des jolies filles dans chaque port, du sang, des combats et des larmes. Bref, de quoi s’éloigner pour un instant de la froideur de nos écrans d’ordinateurs pour se chauffer un peu au soleil, sur le pont. Non vraiment, rien de mieux qu’un titre comme Les Derniers Corsaires pour souffler dans les voiles de notre imagination.

Pourtant, dans cet album dont les qualités m’ont rendu très difficile la rédaction de cette chronique, il ne s’agit pas de cela. Ici point de flibustiers mais  la marine militaire avec toute sa rigueur, sa discipline, son honneur, son mérite et sa confiance ne se gagnant que par modestie et travail. Dans ce sous-marin, il n’y a pas de place pour l’approximation. L’horizon est celui du périscope, le sang est dilué dans l’eau de mer, les combats se déroulent sous le secret des vagues dans un jeu de cache-cache mortel. Quant aux femmes : pas l’ombre d’une chevelure, parbleu !

Les derniers corsaires est une évocation des combats sous-marin durant la seconde guerre mondiale. Comme Soldats de Sable (cf chronique de la semaine dernière) Jocelyn Houde et Marc Richard, les deux auteurs québécois de cet album, n’ont pas pris le parti de la fresque historique majeure mais la petite histoire de quelques personnages. En fait, il s’agit surtout d’un récit d’apprentissage. Si le lieutenant Walter Woolf connaît la théorie du combat, il est vite confronté à la réalité et surtout au capitaine Wallis, alias Ed Le Puant. Ce personnage austère particulièrement réussi allie la sagesse du vieux briscard, la noblesse de l’homme d’honneur et la morgue de l’officier. On appréciera également le personnage du capitaine Fielding, fin stratège et orfèvre en combat sous-marin. En y repensant, il n’est sans rappeler le capitaine Stark (Chargez !!!) des Tuniques bleues. Bref, la narration repose essentiellement sur leurs rapports, parfois conflictuels, parfois cocasses, de maître à disciple. Par ce biais, le lecteur est entraîné dans les profondeurs du récit. Les situations s’enchaînent entre moments de tensions,  de guerres et instants de calme, voire de réflexions. Combats et stratégies sont démontrés et expliqués sans lourdeur, les situations sont amenées avec beaucoup de finesse, laissant la place à des rebondissements inattendus. Au bout du compte, tout est précis, orchestré, fluide. La construction en trois temps est impeccable, ça file, on veut en savoir plus. Bref, un récit aussi construit et pensé que les opérations décrites.

Cette super-précision pourrait être un frein à l’émotion. Or, c’est là qu’intervient le travail magnifique du dessinateur Jocelyn Houde qui n’est pas sans rappeler le Christophe Blain d’Isaac le pirate. Une référence ! A première vue pourtant, le trait est simple. Des trames garantissent une relative obscurité à l’ensemble, la couleur est simple également, jouant sur les tons chauds ou froids quand nécessaire. Mais plus on pénètre dans le cœur du récit, plus on s’aperçoit de la virtuosité du dessinateur. C’est puissant et beau quand nécessaire, dynamique ou contemplatif au besoin, ça accroche l’œil immédiatement. Les émotions comme la panique ou la honte sont palpables. Et que dire des brouillards ou des vagues, superbe ! N’ayant pas les qualités techniques pour juger de la qualité d’un dessin, je m’enthousiasme rarement autant sur un illustrateur. Mais il faut bien avouer que peut avant sa mort en 2007, Jocelyn Houde montrait une qualité époustouflante à chacune de ses cases. Loin des critères réalistes, il donnait pourtant une vraie présence à ses personnages et à ses histoires. De quoi laisser un goût très amer à tous les amateurs du 9e art qui aurait pu bénéficier de son talent. Je suis triste à retardement.

Je ne sais qu’ajouter de plus sinon vous inciter à découvrir cet album réédité par La Pastèque cette année. Un album magnifique dressant le portrait de héros méconnus, soldats de l’ombre sous-marine, adepte du jeu d’échecs. Des hommes vrais avec leurs faiblesses et leurs victoires. Un bel hommage par des auteurs québécois qui, une fois de plus, on pense à Michel Rabagliati ou Jimmy Beaulieu, nous gratifient d’un album tout simplement merveilleux. Merci !

Merci aux éditions La Pastèque pour cette découverte (j’ai beaucoup de chance avec cette maison d’édition)

A voir : la fiche auteur sur le site La Pastèque

Les Derniers Corsaires (one-shot)
Scénario : Marc Richard
Dessins : Jocelyn Houde
Éditions : La Pastèque, 2012 (première édition en 2006)

Public : Amateurs de livres historiques, Ado-adultes
Pour les bibliothécaires : Il y a tant de BD historiques qui n’ont aucun intérêt… Pour une fois que vous avez un bijou, sautez dessus sans attendre. Vos lecteurs vous remercierons !

Chroniques BD

Chronique | Frenchman (Prugne)

1803, la Louisiane est vendue par le jeune consul Bonaparte à la toute jeune nation américaine. Dans le même temps, le futur empereur lève la conscription en France. En Normandie, dans le village de Champs-sur-Huguette, Alban Labiche, fils de paysan, frère d’Angèle, est ami avec Louis de Mauge. Ce dernier est également l’amant d’Angèle. Quels liens entre ces personnages, la Louisiane et la conscription ? Le destin et une aventure dans les paysages sauvages et dangereux de l’Amérique inexplorée.

Aventure, aventure

Ce qui attire l’œil en premier lieu avec ce livre, c’est cette couverture aux tons brumeux. On hume l’aventure à plein nez, le danger également. Bref, en l’ouvrant on sait que l’on va être transporté vers des univers bien éloignés de la réalité des grandes villes et des considérations intellectuelles du roman graphique. Ici, c’est de la BD à l’ancienne, avec des jeunes héros insouciants, des vieux briscards qui vont leur apprendre la vie et des méchants bien pourries comme on aime à les détester. Effectivement, pas de surprises, on trouve exactement ce qu’on était venu chercher.

Angèle, par exemple, porte magnifiquement son nom avec son visage doux, ses cheveux blonds, ses fesses rebondies, ce petit côté audacieux et indomptables, cette naïveté de (fausse) pucelle, bref des traits qui sauront séduire ces messieurs. Quand elle se fait presque violer, elle réussit à dire : « Sans votre intervention, je ne sais pas de quoi ce vaurien aurait été capable ». Heureusement, Patrick Prugne joue très bien le coup dans la réplique suivante. Ce qu’on pourrait donc prendre pour de la maladresse se révèle être un petit côté auto-dérision, une gentille façon de se moquer de son personnage.  Quant aux garçons, pas de soucis avec eux, il y a du courage, de l’impétuosité, de la droiture et un côté candide absolument parfait qui les poussent de plus en plus loin dans leur aventure. Bref, des héros de bande dessinée qui ont, eux aussi, droit à quelques répliques bien senties.

La tradition « historique »

Le dessin n’est pas strictement académique. Mais il correspond parfaitement au genre « historique ».  Toutefois, nous ne sommes pas ici dans les critères stricts d’une collection comme  Vécu de Glénat qui cherche un trait très réaliste. La grande qualité graphique de cet album est double. D’abord les couleurs qui sont, à l’image de celles de la couverture, absolument splendides. Elles donnent une vraie atmosphère aux forêts sauvages, aux baraquements des premières colonies mais aussi à ces paysages normands du début du 19e siècle. Ensuite, les cadrages. Patrick Prugne fait ici un remarquable travail sur ces choix en faisant « tourner » ses images autour de ses personnages. Sur une même planche, on peut facilement avoir plusieurs angles. Cela nous permet à la fois de bénéficier d’un regard à 360° sur des paysages magnifiques lors de temps de repos ou de jouer sur les points de vue durant les moments « chauds ».

Bien entendu, comme dans toutes BD réalistes à l’ancienne, on  notera le remarquable travail de documentation graphique et historique. Il nous permet de plonger avec exactitude dans une période et un lieu propice aux grandes aventures. Ici, il ne s’agit toutefois pas de dresser le portrait d’un général mais d’un simple soldat victime d’une chasse à l’homme accompagné d’un trappeur bougon type Davy Crocket à moustache. Ce dernier, personnage historique réel, est d’ailleurs l’archétype du vieux briscard dont je parlais tout à l’heure.

Par les chemins… balisés

Mais très vite, on s’approche des limites de ce type de bande dessinée. Il y a bien sûr le côté un peu vieillot. Mais après tout, c’est dans les vieux pots… vous connaissez le dicton. Non, mon principal reproche est la linéarité du scénario. Hormis le dénouement que je trouve bien vu quoique pas totalement surprenant, je trouve l’histoire très prévisible. Bien entendu, il y a ce long flashback qui permet de comprendre la situation de départ mais globalement, on voit les choses venir de loin, trop loin. J’ajouterais même qu’avec des personnages principaux et secondaires de ce type, très marqué graphiquement par leurs rôles respectifs, proposer un tel scénario signifie s’exposer aux clichés. Heureusement, on se laisse facilement emporter par la narration qui est plaisante et l’atmosphère graphique. Cependant, les quelques rebondissements sont, eux aussi, cousus de fils blancs.

Mais c’est peut-être un point de vue très personnel. Pour moi, le problème de la bd historique est souvent qu’elle cherche à trop se coller à la grande histoire en oubliant quelques peu le récit. Ainsi, malgré un travail remarquable d’inscription dans les faits historiques, on peine parfois à s’accommoder d’une histoire un peu trop simpliste. Voici quelques temps, je disais l’inverse dans un commentaire (sur Habibi je crois) mais simplicité ne rime pas toujours avec linéarité. Ici, nous sommes plus transportés par l’atmosphère que par une véritable action et des rebondissements.

Frenchman est un beau tableau d’un Amérique naissante avec ses violences, ses cruautés, ses beautés naturelles. Graphiquement somptueux, cet album s’inscrit dans un classicisme assumé et ravira les amateurs de BD historiques d’aventures. Cependant, son scénario très linéaire manque un peu de surprises. Une lecture agréable certes, mais loin d’être extraordinaire.

A lire : la chronique de Manuel Picaud sur son blog

Frenchman (one-shot)
Scénario et dessins : Patrick Prugne
Éditions : Daniel Maghen, 2011 (19€)

Public : Adultes
Pour les bibliothécaires : une bd classique qui ravira les amateurs de bd historique… et pour une fois ce n’est pas une série à rallonge.

Infos du jour

Dimanche KBD | Poulet aux prunes (Satrapi)

Comment bien terminer ce dimanche ? Avec la deuxième synthèse de décembre consacrée au magnifique Poulet aux prunes de Marjane Satrapi.

Sacré meilleur album à Angoulême, cet album est un peu à part dans l’œuvre de l’iranienne. Album poétique évoquant l’amour, le désespoir et la musique… Ça tombe bien, ce dernier thème est justement celui de ce mois sur KBD.

Allez, je vous laisse découvrir la synthèse d’Yvan.

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