Pour les hommes c’est une sorte de légende urbaine colportée par des féministes castratrices, pour les femmes c’est une réalité dans la rue, au travail ou en soirée. Sifflements, insultes, provocations, propositions inconvenantes voire violences physiques, Thomas Matthieu propose sur son blog Projet Crocodiles de mettre en bande dessinée les histoires vraies de harcèlement et de sexisme ordinaire. Une leçon qui trouve un écho aujourd’hui en version papier. Cela fait plusieurs mois que j’ai découvert le Projet Crocodiles et quelques temps que je souhaitais vous en faire part. Malheureusement (ou heureusement), l’actualité m’a rattrapé quand le 24 novembre dernier, les élus du conseil municipal de Toulouse ont annulé l’exposition autour de la bande dessinée Les Crocodiles prévue pour la Journée Internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes pour des raisons « d’immoralité » et de « vulgarité ». Pincez-moi… Le projet Crocodiles, c’est une idée simple : mettre en bande dessinée, à partir de témoignages reçus par l’auteur, des histoires communes de harcèlement et de sexisme. Alors oui, comme le soulignent les élus toulousains, l’immoralité et la vulgarité sont bien présentes dans ces pages. Mais elles sont surtout dans les situations, les réactions et les propos de ces fameux crocodiles. Beaucoup moins dans le travail de Thomas Matthieu. Car ces adaptations sont en revanche d’une grande sobriété. Il adopte un style graphique simple loin des canons du réalisme. Ce choix lui permet de garder une certaine distance. Et n’oublions surtout pas cette pirouette graphique qui donne le nom à ce projet. En effet, qui sont ces fameux crocodiles verts évoluant dans ce monde gris et blanc ? La réponse est aussi simple que l’idée : les hommes, tous les hommes. Doit-on y voir une stigmatisation de la gente masculine ? Oui et non. Oui, car nous sommes tous potentiellement des crocodiles. Sans forcément aller jusqu’à l’agression, n’avons-nous pas déjà eu un comportement douteux ? Et non, car par cette pirouette graphique, Thomas Matthieu ne stigmatise pas de populations. Ni grand, ni petit, ni blanc, ni noir, ni jeunes, ni vieux… Ainsi pas de polémiques inutiles et un vrai recentrage sur le vrai problème. Au fil des pages, l’auteur aborde de multiples situations de la vie quotidienne. Des transports en commun du matin aux soirées étudiantes, de la rue à l’entreprise, à la maison, nous découvrons des situations aussi multiples que surprenantes. Mais sont-elles vraiment surprenantes pour les femmes ? Pas certain. Quoi qu’il en soit, le sujet déborde parfois la forme ou le style et de mon point de vue, cette mise en image, même si j’imagine que certains y trouveront de multiples défauts, m’a aidé à prendre conscience la réalité des femmes qui partagent ma vie de près ou de loin, les grandes comme les petites. Elle m’a aidée également à saisir les possibilités qui me sont offertes pour faire bouger les choses. Car il semble bien que la seule solution valable soit de réagir face à des comportements douteux. Les siens comme ceux des autres. Pour que des évènements comme le décès de cette jeune femme d’origine turque en Allemagne ne se reproduisent pas. Tugce Albayrack, 23 ans, avait porté secours à deux jeunes adolescentes agressées par trois hommes dans un fast-food. La jeune femme turque avait à son tour reçu un coup de batte de baseball. Elle est décédée quelques jours plus tard. A méditer en lisant ce travail sur Internet ou sur papier, à Toulouse ou ailleurs. Cette chronique entre dans un appel lancé par mon amie Mo’, toulousaine de son état, pour une mise en lumière sur la blogosphère littéraire. Comme souvent, je réponds aux bonnes idées citoyennes. Celle-ci l’est assurément ! Merci !
Le Projet Crocodiles est d’abord un blog > http://projetcrocodiles.tumblr.com/ Et maintenant un album papier : Les crocodiles (one-shot) Adaptations et dessins : Thomas Matthieu Editions : Le Lombard, 2014 Public : Adulte (et pourquoi pas ados tiens ?) Pour les bibliothécaires : une BD citoyenne indispensable