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Chroniques BD, Recommandé par IDDBD

Wet moon T1 (Atsushi Kaneko)

Dans le Japon des années 60, le jeune inspecteur Sata revient d’une longue période d’absence. Qu’est-il arrivé ? Il ne le sait plus très bien. Il se rappelle de cette femme, accusé du meurtre d’un ingénieur fabriquant des modules pour un étrange programme spatial. Mais avec ce bout de métal dans son cerveau, il n’est plus sûr de rien. Une enquête entre hallucination et réalité.

Lynch, Burns… Kaneko !

Quand un éditeur essaye de vendre son livre à travers sa 4e de couverture, il aime parfois faire des références à des œuvres ou des auteurs majeurs. Ainsi, il n’est pas rare de retrouver les mêmes créateurs sur certains genres de livres. Par exemple, dès qu’il y a un peu d’écologie et de poésie, paf, on vous balance un Miyazaki ! C’est effectivement plus facile. Miyazaki, ça rassure quant à la qualité même si la plupart du temps, on se paye un peu notre tête.

Bref, en lisant la 4e de Wet Moon, j’ai souri en voyant les références à l’univers de David Lynch et à l’univers graphique de Charles Burns. Pour ceux qui ne suivraient pas, grosso-modo, une référence « lynchienne » correspond à un univers évoluant dans des sphères entre fantasmagorie et réalité, où le lecteur se trouvera sans repère. Normalement, au bout de l’histoire, chacun aura son interprétation… ou pas. Bref, Lynch c’est beau mais personne ne comprend vraiment ce qu’il veut dire. Je caricature un peu évidemment. Je ne voudrais pas me fâcher avec la secte lynchienne qui ne me lit sûrement pas de toute façon.

Pour continuer sur des bases plus simples pour un amateur de bande dessinée comme moi, une référence graphique à Charles Burns indique une très bonne maîtrise du noir et blanc. Si l’absence de couleurs dans le manga n’est pas rare, faire référence à un artiste américain en parlant d’un illustrateur japonais est en revanche plutôt une surprise.

Créateur en liberté

Mais n’oublions pas qu’il s’agit d’Atsushi Kaneko. Après Bambi et Soil, il nous entraine encore dans un univers complètement déjanté à la limite de… de quoi d’ailleurs ? Cet auteur bénéficie vraiment d’une liberté créative rare dans le milieu du manga des années 2010 et c’est véritablement toute sa force !

Dès les premières planches, nous voici plongés dans l’univers d’un roman noir : meurtre sadique, gueules de monstres, moiteur d’une station balnéaire, obsessions, flics ripoux. Au milieu, la lune où les russes viennent de débarquer, où le Japon souhaite se poser. Quel rapport avec notre histoire ? Bonne question. Mais pour résoudre cette énigme, il y a notre héros. Un personnage à la hauteur de ce monde, un tout jeune inspecteur de police qui porte dans son cerveau les germes de la folie, un petit bout de métal qui se balade et qui dérègle sa réalité…

La suite ? Une perte rapide de repères entre passé et présent dans des effets de découpages souvent hallucinés. Comme Sata, nous ne savons pas vraiment où Atsushi Kaneko nous entraine et quels sont les réalités des images que l’on perçoit. Entre métaphores, souvenirs et fantasmes, le chemin sera long avant de connaître le dénouement d’une histoire déjà bien prenante. Car l’auteur, loin de nous perdre complètement, nous laisse des indices, nous éclaire peu à peu sur les zones d’ombres… mais sommes-nous assurés de recevoir les bons éléments ? De là naît l’intérêt de suivre le récit jusqu’à son terme.

Pour une fois, je dois admettre que les références choisis par les éditions Casterman sont plutôt bien vues. Avec son trait noir épais et ses codes graphiques bien plus proche de l’univers des indépendants américains, Atsushi Kaneko rappelle assurément d’un auteur comme Charles Burns (je pense à El Borbah par exemple). Quant à l’univers ? Un seul adjectif me vient en tête : lynchien !

A noter que Wet Moon a reçu le Prix Asie de l’ACBD 2014.

A lire : la chronique d’Yvan et celle de Marie

Wet Moon T.1 (séries en cours, 2/3 tomes parus, série terminé)
Scénario et dessins : Atsushi Kaneko
Editions : Casterman, 2014 (8,50€)
Collection : Sakka
Editions originales : Kadokawa, 2012

Public : Adulte
Pour les bibliothécaires : plus court que Soil, bien parti pour être une série intéressante. A suivre mais pour 3 volumes, ça vaut le coup.

Humeurs & blog

Humeur | Tintin au Congo (Hergé)

Difficile de faire une véritable chronique sur un album polémique comme Tintin au Congo. Il n’en reste pas moins une brique de l’œuvre monumentale d’Hergé, référence absolue quand on évoque la BD franco-belge. Mais d’un point de vue moral, peut-on admirer un album comme celui-ci ? Voici un avis parmi tant d’autre… le mien…

En se penchant sur l’Afrique en BD, l’équipe de KBD a immédiatement discuté de l’intérêt de chroniquer Tintin au Congo. Je faisais partie de ceux qui défendaient cet album non seulement pour sa place intéressante dans cette thématique mais aussi pour son côté document d’histoire. Car si son point de vue et l’idéologie de Tintin au Congo est clairement discutable, l’album est un témoignage direct d’une pensée d’un autre temps. Une preuve une fois de plus que la bande dessinée est un média bien plus révélateur qu’il n’y paraît.

Je ne suis ni Tintinophile, ni assez calé dans l’histoire de Tintin et de son créateur pour vous faire une analyse efficace de la place de Tintin au Congo dans l’œuvre générale d’ Hergé . D’Hergé, je connais un certain nombre de fait, en particulier ceux qui l’ont rapproché des mouvements conservateurs d’avant-guerre et de la collaboration quelques années plus tard… Périodes qui sont passés sous silence à la fin de la guerre (cf ma chronique sur le très bon livre « Traits résistants »). Je vous invite à lire les nombreuses biographies (celles de Benoit Peeters notamment).

Après la guerre, Hergé avait tout de même conscience du caractère assurément colonialiste voire raciste de sa première version de Tintin au Congo et a tenté de rétablir l’équilibre en retouchant sa première version. L’édition couleur que nous avons tous en tête est bien entendue le résultat de cette profonde mutation. Cependant, celle-ci reste profondément révélatrice de ce paternalisme spécifique au colonialisme belge. Dans Tintin au Congo, notre héros et son chien apparaissent comme de véritables messies attendus avec fébrilité par une population noire. Déclenchant une émeute à son arrivée, Tintin traverse l’Afrique noire avec un regard plein de compassion pour ces « gentils noirs »… Un Tintin qui, des années plus tard, est tourné en dérision par Joann Sfar dans une drolatique scène du 5e volume du Chat du Rabbin (Jérusalem d’Afrique). On a envie de dire 1 partout balle au centre.

Avec notre point de vue d’hommes et femmes du 21e siècle, cette vision nous apparaît comme indécente. Et je comprends la réaction forte des associations antiracistes. Pourtant, comme certains le demande, doit-on interdire la publication d’un livre comme Tintin au Congo ? Serais-je prêt, si on me le demandait, à retirer cette bande dessinée de mes bacs de médiathèque ? Clairement non. Tout comme je ne retire pas les œuvres érotiques qui ne mettent pas toujours en valeur la femme, tout comme je ne retire pas les œuvres violentes, tout comme je ne retire pas les œuvres irrespectueuses des religions… Il ne s’agit pas pour moi de défendre la fameuse « liberté d’expression ». Je ne soutiens absolument pas les idéologies de ces œuvres. Il me semble en effet bien plus intelligent et constructif de privilégier la médiation, la discussion autour d’une œuvre et son public que de se morfondre dans un obscurantisme qui est le terreau de toutes les formes de discrimination. Et j’irai même plus loin en soutenant l’idée de faire étudier Tintin au Congo à l’école comme support d’étude de la colonisation. Montrer cette œuvre, mettre en lumière son idéologie et en quoi elle est révélatrice d’un moment passé de l’histoire, expliquez sa relation avec notre monde contemporain. Voici façon plus efficace de combattre le côté nauséabond de cette œuvre.

Entre nous, Tintin au Congo fait partie des œuvres qui ont marqué mes lectures de jeunesse. Toutefois, je ne le conseillerai pas (plus) à un enfant, incapable de comprendre les tenants et les aboutissants de cet album. Pourtant, je me souviens toujours de cette dernière grande planche. Ce village, presque un village d’enfants avec ces personnages fascinant évoquant le souvenir d’un héros que je ne trouvais pas vraiment intéressant. Je suis beaucoup resté sur cette planche. Elle appelait quelque chose d’étrange chez moi. Une vision particulière de l’aventure. Car, même avec les défauts de cette œuvre de jeunesse, on retrouve déjà ce qui fait l’intérêt de cette série majuscule de l’histoire de la bande dessinée : l’appel de l’aventure par cette propension à proposer des personnages secondaires haut en couleur.

Car, à bien y réfléchir, la multiplication des clichés est un peu le moteur de Tintin. Hergé a toujours joué sur ces images d’Epinal. Il suffit de contempler les visages dans les fameux tableaux des 2e et 3e de couvertures pour s’en rendre compte : Sud-Américains, arabes, chinois, japonais, écossais, portugais… Tant au niveau du scénario que du graphisme, les populations sont toutes figées dans des aprioris. Certes, la technique d’Hergé s’est amélioré au cours des aventures de Tintin pour faire passer l’ensemble avec beaucoup moins de naïveté déconcertante mais…

Alors oui, cette œuvre mérite d’être chahutée. L’idéologie transparaissant dans cet album est plus que discutables. Les noirs sont profondément maltraités et il serait honteux de ne pas le souligner. Du côté artistique, si le rythme et la cohérence de l’ensemble ne sont pas encore de la qualité des albums suivants  – le côté feuilletonesque est encore très présent – le graphisme est déjà là. Résultat, l’œuvre d’Hergé avec ses défauts et ses qualités a aussi donné le frisson de l’aventure au petit lecteur naïf que j’étais. Malheureusement, le temps passe et le petit lecteur a grandi…

A lire : le très bon article du blog de Mondomix sur le sujet

Chroniques BD

Chronique | Blue (Kiriko Nananan)

Kayako, lycéenne japonaise, aime contempler la mer après les cours. C’est un moment de solitude qui lui permet de s’évader. Un jour, Masami l’accompagne et partage cet instant. C’est ainsi que naît entre les deux jeunes filles une amitié étroite qui se transforme peu à peu en amour… et en difficulté.

Quand avec l’équipe de KBD, nous avons décidé de consacrer un mois entier au manga d’auteur, le nom de Kiriko Nananan est apparu immédiatement comme une évidence. Les discussions ont vite tourné court.  Sous cet étrange pseudonyme se cache en effet l’une des auteures les plus intéressantes et douées de sa génération. La présence de Blue en 2004 dans la sélection d’Angoulême n’est en aucun cas un hasard. Pour ma part, je pensais l’avoir déjà chroniqué ici, c’est une erreur que je rattrape aujourd’hui avec le plaisir d’un fin gourmet car depuis ma lecture (à sa sortie) c’est un album que je n’ai jamais perdu de vue.

Traits et contrastes

Évoquer Blue et son auteur, c’est parler d’un trait singulier, qui, à l’époque, met une grosse claque aux idées reçues sur le manga. Je me souviens des critiques en 2004 concernant la BD japonaise : remplissages et copies de Tezuka. Alors est sorti Blue, avec un simple trait noir sur une feuille blanche. Une simple ligne décrivant dans le même élan les émotions et les visages, les lieux et les absences. Un simple trait et un univers qui s’ouvre, tout en plan rapproché où la différence se fait par d’infimes détails obligeant le lecteur à s’arrêter pour contempler, à lire l’image et à accepter ce vide qui est aussi parlant que le délicat contour d’un visage. Le graphisme de Kiriko Nananan est tout en contraste, jouant sur les oppositions pour donner une véritable unité. C’est un sous-texte graphique bien plus parlant que mille discours, un anti-ligne claire de la BD européeene. Ici, le détail est oublié, enlevé de l’espace et seul sont conservés les éléments importants : le corps, les attitudes et les visages. A l’aide de ce graphisme, Kiriko Nananan se concentre exclusivement sur son propos.

Fragments universels

Kiriko Nananan aime décrire la jeunesse japonaise dans ses travers et ses petits penchants, c’est le leitmotiv de ses œuvres (Everyday, Strawberry Shortcakes). Mais les albums suivants sont loin d’atteindre le niveau de Blue. De mon point de vue, cet album atteint la qualité narratives des grandes œuvres littéraires en étant capable de rendre une minuscule histoire universelle, d’appeler les sentiments enfouies en chacun par l’intermédiaire de personnages qui nous semblent étrangers.

En effet, si l’on fait le parallèle avec le Bleu est une couleur chaude, le fabuleux album de Julie Maroh, il n’y a pas de militantisme dans l’œuvre de Kiriko Nananan mais une volonté de présenter la jeunesse japonaise sous un autre regard. Ici la « différence » est poussée jusque dans le propos et par bien des aspects, Kiriko Nananan montre tout comme son homologue européenne  la simplicité et la beauté du sentiment amoureux. Qu’il soit homosexuel ne change presque rien à l’affaire. L’équilibre et le déroulement du récit sont parfaitement maîtrisés. On ne peut pas parler de rythme, juste d’une continuité qui fait entrer peu à peu dans la profondeur des personnages. Cette impression est renforcée par des cadrages de plus en plus resserrés sur les visages et une silence de plus en plus sourds. L’histoire se déroule alors dans un naturel désarmant, nous amenant vers une conclusion  à la fois simple, digne et touchante.

Un manga littéraire

Attention cependant, Blue n’est pas un shojo/yuri fleur bleue (sans jeux de mots). C’est une œuvre littéraire et cette grande qualité a ses exigences. Pénétrer dans l’univers de Kiriko Nananan vous demandera une concentration dans la lecture. En effet, si le dessin n’est que traits, contrastes et détails subtils, il n’aide pas forcément dans l’identification des personnages. Surtout quand ceux-ci changent de noms au cours du récit. En fait, ils n’en changent pas, on passe d’un niveau de langage à un autre. Savez-vous que les jeunes japonais s’appellent par leurs noms de famille dans la vie courante et qu’ils n’adoptent le prénom qu’en cas d’amitié forte ou d’intimité ? Non, et bien retenez-le ça pourra vous servir ! Mais plus que tout, l’essence profonde du récit ne vous sera pas donné. Il est possible de se laisser porter par la finesse de la poésie mais la subtilité du propos nécessite une interprétation constante, signe à mon goût d’une œuvre majeure respectant son lecteur mais qui pourrait en laisser quelques uns à la porte

Blue n’est pas une œuvre tout à fait comme les autres. Tout en subtilité, le travail de Kiriko Nananan se situe  dans la continuité d’auteurs comme Kyoko Okazaki ou  Kazuo Kamimura. Ce manga fait partie des plus belles oeuvres que j’ai eu l’occasion de lire, simplement majeure.

scénario et dessins : Kiriko Nananan
Édition : Casterman (2004 pour la 1ere édition)
Collection : Sakka (1ere édition) / Écritures (2e édition)
Édition originale : Magazine House (1996)
Public : Adolescents-Adultes

Pour les bibliothécaires : Indispensable. Devrait déjà être considéré comme un classique

PS : Rien à voir, mais spéciale dédicace à la nouvelle petite membre de l’équipe KBD. Elle signera sa première synthèse à l’horizon 2030 !

Chroniques BD

Chronique : Swallow me whole

scénario et dessins de Nate Powell
Editions Casterman, collection Ecritures (2009)
Public : Adulte, amateur de roman graphique américain
Pour les bibliothécaires : Incontournable !
Eisner Award du Meilleur Roman Graphique 2009

Le magicien et le crapaud

Dans une ville moyenne des Etats-Unis, Ruth et Perry sont deux faux-jumeaux pré-ados en apparence bien ordinaire. Ils se rendent chaque jour dans un collège très marqué par une religion radicale, ont leurs relations et leurs habitudes. Cependant, chacun cultive un jardin secret un peu particulier : Perry voit et entend un petit sorcier qui lui demande de dessiner ses prophéties, Ruth entrepose des bocaux remplis d’insectes morts avec lesquels elle communique. Touts les deux veillent sur le secret de l’autre. Mais le temps passant ce qui apparaît comme une lubie d’enfants pourrait bien avoir des répercussions inquiétantes…

Dense et riche dans son propos, à la fois réaliste et onirique dans son graphisme, Swallow me whole fait partie de ses albums dont il est nécessaire de digérer le contenu après l’avoir lu afin de se poser les bonnes questions. Dans un premier temps, on serait facilement tenté de le comparer au très réussi Blankets de Craig Thompson : même période de la vie, même situation sociale et culturelle de l’environnement, même attrait pour un graphisme proche de l’école européenne. Cependant, il convient de s’arrêter là car Nate Powell aborde l’adolescence dans sa partie la plus obscure là ou Craig Thompson y voyait de la lumière.

Cette histoire est composée de petites touches du quotidien s’enchaînant à une vitesse vertigineuse. Autour des deux protagonistes principaux, que nous suivrons de 12 à 16/17 ans environ, gravitent toute la population habituelle : des parents aux réactions tardives, une grand-mère qui perd la tête, des professeurs à la merci des croyances locales (en particulier la prof de biologie qui se doit d’éviter les théories évolutionnistes), des amis exclus de la bulle du frère et de la sœur, des médecins… Chacun apporte sa pierre à l’édifice du récit, sa part de vérité dans le développement des deux personnages et de responsabilité dans les événements qui suivront. Malgré tout cet entourage, c’est l’absence d’écoute qui prévaut. La mère de Ruth et Perry devenant sourde au fur et à mesure de l’histoire en est une métaphore particulièrement bien réussie.

Graphiquement, c’est une réussite véritablement exceptionnelle ! Nate Powell alterne entre un dessin au trait simple et des moments de pures folies en adéquation avec son récit. Le mal-être transparaît dans des traits parfois durs et rares sont les moments d’apaisements. Seuls les délires des personnages peuvent amener à une (relative) sérénité. Cette violence sous-jacente est absolument bouleversante et entraîne le lecteur au fond des choses…

Dans cette vision radicale de l’adolescence, et au travers elle d’une certaine Amérique, Nate Powell dresse un portrait de la folie. Pour tenter de répondre à l’énigme Ruth et Perry, il explore de multiples voies, sans qu’aucunes ne soient véritablement une réponse, sans qu’aucunes ne soient totalement absurdes. Complexe et d’une incroyable richesse, Swallow me whole,  peut sans doute être considéré comme une œuvre incontournable du roman graphique américain… à condition d’y pénétrer et de résister à sa charge émotionnelle.

A lire : la critique positive de Melville sur sceneario.com
A lire : la critique négative de David Taugis sur ActuaBD
A découvrir (pour mettre tout le monde d’accord) : les premières pages sur BDGest’

A noter : cette chronique s’inscrit dans le challenge BD de Mr Zombi auquel IDDBD participe !

Chroniques BD

Un pour tous, tous pourris !

La malédiction d’Edgar (scénario de Marc Dugain, dessin de Didier Chardez, éditions Casterman, 2007)

« Edgar aimait le pouvoir mais il en détestait les aléas. Il aurait trouvé humiliant de devoir le remettre en jeu à intervalles réguliers devant des électeurs qui n’avaient pas le millième de sa capacité à raisonner. Et il n’admettait pas non plus que les hommes élus par ce troupeau sans éducation ni classe puissent menacer sa position qui devait être stable dans l’intérêt même du pays. Il était devenu à sa façon consul à vie. Il avait su créer le lien direct avec le Président qui le rendait incontournable. Aucun ministre de la Justice ne pourrait désormais se comporter à son endroit en supérieur hiérarchique direct. Il devenait l’unique mesure de la pertinence morale et politique. John Edgar Hoover, à la tête du FBI pendant près d’un demi-siècle, a imposé son ombre à tous les dirigeants américains. De 1924 à 1972, les plus grands personnages de l’histoire des Etats-Unis seront traqués jusque dans leur intimité par celui qui s’est érigé en garant de la morale… »

C’est ainsi que l’éditeur présente non pas la BD, mais le roman La malédiction d’Edgar, du même Marc Dugain (également auteur de La chambre des officiers, son premier roman paru en 1998, de Campagne anglaise et de Heureux comme Dieu en France). Car la première originalité de cet album est d’être une mise en image cinématographique (dixit le scénariste) du roman éponyme. On y retrouve, par séquences historiques, quelques grands moments de la vie d’Edgar J. Hoover, le mythique patron du FBI. Ces épisodes ont tous un lien avec un autre mythe américain : le clan Kennedy et plus particulièrement Joe Kenedy, le père de John et Ted. Et si l’on a pu parfois lire que les « aléas » de la famille Kennedy ressemblaient à une malédiction qui lui aurait été jetée, nul doute que le puissant Hoover y a apporté sa (peu modeste) contribution…

La malédiction d’Edgar est un album passionnant, superbement et efficacement mis en image par Didier Charvez, qui donnera envie à ceux qui ne l’on pas encore fait d’en savoir plus sur l’histoire secrète des Etats-Unis au XXème siècle. Les plus courageux se lanceront ensuite dans la lecture du sublime American tabloïd de James Ellroy

A lire : l’album complet sur le site des éditions Casterman ! Il suffit de s’abonner au club Casterman (ce qui doit prendre environ 30 secondes…)

A lire (aussi) : après celui des éditions Gallimard, le pitch de Casterman (plus centré sur la famille Kennedy que sur J. Edgar Hoover) : « Années 40 aux États-Unis, Joe Kennedy aspire depuis longtemps déjà à un avenir politique au plus haut niveau, mais sa fortune ne s’est pas faite sans quelques écarts de conduite… Projetant de mettre son aîné dans la course à la Maison Blanche, celui-ci meurt trop tôt emporté par la guerre. C’est donc son frère cadet “JFK” qui sera projeté malgré lui au devant de la scène, subissant l’ambition démesurée de son père. En suivant John Edgar Hoover, on découvrira les dessous de la montée en puissance d’un futur président, mêlant habilement relations avec la mafia et le tout Washington… »

Chroniques BD

Rose manga

Pink ( scénario et dessins de Kyoko Okazaki, Casterman, collection Sakka ou collection Ecritures)

Après Helter Skelter, chroniqué durant le mois d’aout, voici une autre petite merveille d’une très grande dame du manga, Mme Kyoko Okazaki.
Pink raconte l’histoire de Yumi, jeune fille de 22 ans, employée de bureau le jour et prostitué la nuit. Contrairement aux apparences, Yumi a choisi cette double condition qui lui permet d’être indépendante de sa belle-mère détestée et de nourrir tranquillement son animal de compagnie : un crocodile !
Un jour, elle rencontre Haruo, un jeune étudiant, apprenti écrivain et accessoirement amant de sa belle-mère !
Vous l’aurez compris en lisant ce petit résumé, le ton de ce manga est à l’image de son héroïne largement décomplexé ! S’il avait été par un homme, sans doute l’aurait-on qualifié de machiste, sexiste etc… Mais voilà, Kyoko Okazaki est bien une femme et elle n’a pas peur d’aborder crûment, mais sans vulgarité, un thème comme la sexualité. Si de nos jours, c’est assez banal, en 1989, date de parution de Pink, c’est une première.

C’est par un ton désinvolte, comique mais aussi cynique – incarné par Keiko, la petite soeur très adulte de Yumi – que Kyoko Okazaki  aborde la société japonaise. Critique vis-à-vis du monde de l’entreprise, du culte de l’apparence (la cruelle belle-mère), de l’hypocrisie des « biens-pensants » (voir la scène très drôle où après un séance, Yumi voit un de ses clients sado-maso à la télé), du monde littéraire (avec le personnage d’Haruo, pauvre garçon très légèrement débordé par la folie douce de sa copine), elle n’oublie pas pour autant d’évoquer les rêves, les ambitions ou les douces folies de son héroïne.

Cruelle parfois, déjantée souvent, entière, l’œuvre de Kyoko Okazaki a ouvert les portes à un manga pour femmes plus adultes. Si aujourd’hui Mari Okazaki (Complèment affectif), Erika Sakurazawa (Diamonds), Fumi Yoshinaga (All my darling daughters) ou Kiriko Nananan (Blue, Everyday) et bien d’autres peuvent aborder des thèmes aussi variés dans leur josei (manga pour femmes adultes) c’est bien grâce à leur glorieuse ainée.

Pour résumé, c’est un manga incontournable à mettre entre toutes les mains. Encore une pierre contre le mur des idées reçues qui commence juste à se fendiller.
A noter : deux versions disponibles : l’une dans la collection Sakka, l’autre dans la « select » collection Ecritures.

A lire : à lire une critique du site de la collection Akata (c’est marrant ça, Delcourt fait une chronique sur un album Casterman !!! )
A lire : une critique de sceneario.com

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