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Chronique | Daytripper : au jour le jour (Moon & Ba)

Bras est un journaliste chargé d’écrire les nécrologies d’hommes et de femmes célèbres dans un quotidien de Sao Paulo. Il caresse le rêve de devenir, comme son père, un illustre écrivain. Il attend le jour où sa vie débutera vraiment… Mais quand ? A 32, 11 ou 72 ans ? L’existence est un jeu… et Bras a plusieurs vies.

Daytripper est un album dont l’ambition est d’explorer la vie à travers ses possibilités. Multiples, profondes, faites de rencontres et de coups du sort, de bonheurs, d’amitiés, d’amours…  de l’apprentissage de la mort aussi. Celle des autres, et puis la sienne qui viendra tôt ou tard. A ce petit jeu, Bras, le héros de cette histoire singulière imaginée par deux frères jumeaux, a une place tout à fait particulière.

En effet, dans un machiavélique jeu de contraste, Fabio Moon et Gabriel Ba ont décidé d’évoquer la mort pour parler de la vie. Bras trouve la mort à la fin de chacun des 10 chapitres que compte ce livre : 10 chapitres, 10 âges de la vie, 10 morts, 10 possibilités.

Alors Bras, deviendra-t-il un politicien véreux avant d’être médecin puis écrivain. Changera-t-il de sexe, de pays, de siècle ? Non. Il n’y a qu’un seul et unique Bras. Étonnement, malgré ses morts multiples, son existence reste la même. Cela tient à deux idées simples mais géniales : l’unité des personnages secondaires et l’unité de lieu. La famille, les amis, les enfants, la ville ou les lieux de vacances ou le rapport aux autres, tout est toujours présent. A chaque nouveau chapitre, Bras est encore là, comme si ses disparitions passées ou à venir n’étaient que des morts de jeux vidéo. Vous savez comme dans les jeux de rôles où l’on sauvegarde avant d’attaquer le boss… « Et si on disait que j’étais pas mort en fait. » Je l’écrivais dans la présentation… cette vie n’est qu’un jeu.

Toutefois, ça ne veut pas dire que le lecteur doit oublier ce qu’il a vu à la fin de chaque chapitre. Daytripper est un album, pas un recueil de nouvelles. Chaque mort met fin à un mini-récit mais devient une étape supplémentaire de la narration. Le récit progresse dans de nouveaux éclairages même si le lecteur ne suit pas le personnage d’une manière chronologique. La construction s’avère finalement complexe et fine, un puzzle formant un tout.

Résultat, encore par jeu de contraste, le rôle des personnages secondaires donnent une réalité à ce mortel-immmortel dont les choix sont paliés par un redémarrage constant. D’ailleurs, dans un chapitre, Bras n’existe qu’à travers les yeux de ses proches. Il meurt sans qu’on puisse le voir.

Au bout, chacun mettra un peu de soi dans cet album. Certains y verront peut-être une vaste fumisterie où l’effet de désordre cherche à rendre profond des réflexions de bas étage. Pour d’autres, dont je fais partie, c’est un album OVNI parlant de la vie, de l’existence à travers le rapport aux autres, de l’amitié, de l’amour, de la passion, de l’innocence ou du respect. Ce n’est pas un hasard si la préface a été signée par Cyril Pedrosa, auteur du fabuleux Portugal, et la postface de Craig Thompson, auteur des non-moins fameux Blankets et Habibi. Il y a une filiation entre ces trois auteurs, un humanisme qui rend leurs personnages quasi-universels. Comme dans l’album de Pedrosa, les deux frères font de ce personnage un faire-valoir pour ceux qui l’entourent. Son existence, ses choix, les événements de sa vie tiennent autant à lui qu’aux autres. De cette façon, l’objectif ambitieux de ces deux auteurs est atteint. Comme deux sages, ils donnent leur vision d’artiste sur la vie. Personnelle évidemment mais tellement positive.

Pour conclure, cet album me rappelle la lecture de Replay de Kim Grimwood, un livre où par contraste la mort cherche à expliquer la vie. Un livre positif et puissant à l’image de Daytripper. Une œuvre à découvrir, à faire lire, à discuter. Une œuvre majeure récompensé par l’Eisner Award de l’histoire complète en 2011.

En post-scriptum à cette chronique, je souhaiterais remercier mon libraire qui m’a conseillé avec enthousiasme cet album. On ne le redit pas assez, mais c’est quand même un beau métier libraire… presque aussi bien que bibliothécaire ! Allez les voir !

A voir : la preview sur BD Gest’
A lire : la chronique de 1001BD.com et celle de Jérôme

Daytripper : au jour le jour (one shot)
Scénario : Fabio Moon
Dessins : Gabriel Ba
Edition : Vertigo-Urban Comics, 2012 (22€)
Collection : Vertigo Deluxe
Edition Originale : Vertigo/DC Comics, 2011

Pour le public : A partir de 16 ans
Pour les bibliothécaires : l’un des albums les plus enthousiasmant du printemps 2012, forcément incontournable !

Chroniques BD

Chronique | Comment comprendre Israël en 60 jours (ou moins) (Glidden)

Sarah Glidden, jeune américaine, entreprend un tour d’Israël dans le cadre du Taglit, un programme de visite du pays sur 10 jours organisé pour les jeunes juifs du monde entier. Pour elle, juive new-yorkaise progressiste et non-pratiquante, c’est une opération de propagande. Mais une fois arrivée, ses préjugés se confrontent à une réalité bien plus compliquée. Au bout de cette aventure, que retiendra-t-elle ?

C’est au festival d’Angoulême que j’ai découvert cet album. Je passais dans la bulle – assez déplorable d’ailleurs – consacrée au manga et aux comics quand j’ai vu le stand Steinkis. Editeur qui m’était inconnu. Passant sans vraiment regarder, j’ai été attiré par un livre. La couverture avec ce titre bizarre Comme découvrir Israël en 60 jours (ou moins) et un trait me rappelant immédiatement le graphisme de Camille Jourdy (Rosalie Blum, Une araignée, des tagliatelles…). Deux raisons pour s’arrêter et feuilleter. Un achat et une dédicace plus tard, cet album format roman graphique était dans mon sac. Tout ça était au mois de janvier et je ne l’ai lu qu’hier. Pourquoi ? Peu de sujets sont aussi polémiques que le conflit israélo-palestiniens. Les points de vue sont divers et les témoignages nombreux. Chacun a son opinion et ses idéaux, chacun se fait juge devant sa télé, dans les journaux ou les conversations entre amis. Mais finalement, peu de personnes cherchent à comprendre et à savoir vraiment. Avais-je envie d’en faire parti ? Pas facile. Mais Sarah Glidden est de ceux-là. Avec son livre, elle nous entraîne dans sa démarche.

Dans ce livre autobiographique, à l’origine publié en mini-comics, elle raconte simplement son expérience non pas unique – car le Taglit est une opération internationale qui touche des milliers de jeunes chaque année – mais personnelle. Très personnelle. C’est en effet ce qui ressort de cet album/voyage, cette quête de la « vérité » est une expérience à la fois humaine, spirituelle et politique.

Le premier kibboutz, Masada, Tel-Aviv, Yad Vashem, le désert, un camp de bédouin en papier-maché… et Jérusalem. La liste des sites explorés est longue et les expériences nombreuses. Au milieu, en spectateur, le lecteur est confronté à la fois aux préoccupations contemporaines de son auteure-héroïne cherchant constamment le grain de sable dans le rouage du discours et aux réalités géopolitiques et historiques de cette terre particulière. La lecture est dense, longue, bavarde parfois… Mais sur une situation comme celle-ci, peut-on véritablement se passer d’explications au risque de passer à côté de beaucoup d’éléments ? Personnellement, certains aspects – notamment l’importance stratégique de la Mosquée El-Aqsad, troisième lieu saint de l’Islam construit sur l’emplacement du Temple de Salomon – furent pour moi, non pas une découverte, mais un éclaircissement nécessaire qui m’a aidé à comprendre certaines réactions fortes.

Finalement, si au départ on peut envisager cette lecture comme une long récit personnel un peu linéaire, ennuyeux car trop didactique, cette impression disparaît très vite. Sarah Glidden sait comment intéresser son lecteur. Elle peut alterner impressions personnelles et réflexions universelles. Elle se met en scène non pas dans un but nombriliste mais pour saisir les contrastes, par rapport à son groupe, par rapport aux Israéliens, par rapport à elle-même. Car, dans sa démarche, elle se retrouve rapidement confrontée à ses propres contradictions. Ensuite, Sarah Glidden nous laisse seul juge de ces mots, de ces discussions. Et c’est la grande force de cet album, éviter une propagande. Il cherche à témoigner, montrer non pas LA mais UNE réalité. Compliquée évidemment, d’ailleurs les deux dernières cases de l’album sont assez révélatrices de cet état.

Cet album est une véritable galerie de personnages, de lieux et d’événements passés ou présent. Mais il reste un simple récit de voyage avec ses limites. Par exemple, même si leur présence amène toujours des événements assez forts, on ne voit que très peu de non-juifs (grosso-modo, 3 ou 4). Le point de vue, même très ouvert, est donc forcément incomplet. Mais heureusement, l’auteure n’essaie jamais de le cacher, ce qui rend son récit honnête.

Pour conclure, Comment comprendre Israël en 60 jours (ou moins) est un album témoignage qui vous permettra peut-être d’éclaircir votre point de vue sur cette douloureuse question géopolitique. Elle ne vous apportera pas de réponses car il reste un simple récit de voyage avec son propre point de vue. Sarah Glidden réussit le tour de force de rendre son récit dynamique malgré la linéarité inhérente à ce genre d’histoire. Cette remise en cause permanente est rafraîchissante car elle permet de toujours chercher les bonnes questions. La réponse est… compliquée. Un bon livre à lire pour sa culture politique.

A voir : la fiche-auteur sur le site de Steinkis
A lire : la chronique de du9

Comment comprendre Israël en 60 jours (ou moins) (one-shot)
Scénario et dessins : Sarah Glidden
Traduction : Fanny Soubiran
Edition : Steinkis, 2011 (18,50€)
Edition originale : DC Comics, 2010

Public : adulte, intéressé par les récits de voyage et les questions géopolitiques
Pour les bibliothécaires : un bon livre, un peu marginal mais qui mérite qu’on le mette en avant pour son message.

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