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Chroniques BD, Recommandé par IDDBD

Chronique | Un Printemps à Tchernobyl (Lepage)

2008, un groupe d’artiste se rend en Ukraine : direction Tchernobyl. Tchernobyl, le nom évoque la plus grande catastrophe nucléaire de l’histoire du XXe siècle, la mort et le danger invisible, la zone interdite, l’enfer sur terre… Bref, tout sauf un lieu de visite. Et pourtant, Emmanuel Lepage s’y rend avec son œil d’artiste, la grâce de son dessin et son lot de peurs. Un album fort à la fois terrifiant et riche d’enseignement.

Voyage en enfer ?

A l’image d’un Jean-Pierre Gibrat, Emmanuel Lepage est un artiste faisant le pont entre la bande dessinée  d’auteurs et la BD grand public réaliste. Ses albums de fiction se situent dans une réalité palpable, marquante, touchante. Son dessin est également l’un des plus impressionnants de la BD européenne car ses compositions de cases et de planches sont toujours remarquables. Et dans cet album, alternant paysage de campagne, friche industrielle et urbaine, il exerce la pleine mesure de ses capacités avec des dessins superbes (l’image de cette couverture), alternant nuances de gris et couleurs éclatantes.

Si Un Printemps à Tchernobyl est l’histoire d’un voyage, il est bien plus qu’un simple carnet d’illustrations. Dans cet album, Emmanuel Lepage donne une marque de confiance rare à son lecteur en le laissant complément pénétrer dans ses pensées personnelles. Dans une première partie, après une introduction et la présentation didactique de l’histoire de Tchernobyl (nécessaire pour beaucoup d’entre nous), il raconte les préparatifs de son voyage. Il y fait étalage de ses angoisses, de la peur de ses proches, de ses difficultés personnelles avant le départ. Comme un symbole, quelques mois avant le départ, il n’arrive plus à dessiner à cause d’une douleur à la main. Même si ce passage m’a semblé un peu long, avec le recul, il plante les graines qui permettront, par contraste, de mieux comprendre les évènements de ce voyage. On ne va rien dévoiler ici mais clairement, Un Printemps à Tchernobyl raconte beaucoup plus qu’une résidence d’auteur dans la région d’une centrale nucléaire, c’est une sorte de quête spirituelle, une aventure humaine et profonde qui ne trouve toute sa force qu’en toute fin d’album…

Regards sur zone

Mais avant cela, Emmanuel Lepage montre : pénétrer dans la zone interdite, voir « le monstre », la centrale éventrée et son cercueil de béton, le compteur qui monte en flèche dépassant au bout de quelques instants le seuil limite de tolérance. L’horreur d’une réalité. Mais il ne s’arrête pas là. Il montre le no man’s land d’une trentaine de kilomètres autour de la centrale, il montre les villes et villages abandonnées, les terres souillées par la pollution invisible et mortelle de la radioactivité. Il montre parce qu’il est là pour ça. Comme un témoin pour ceux qui ont peur, pour ceux qui ne peuvent pas s’y rendre. Un printemps à Tchernobyl est aussi un témoignage rare d’une réalité dure qui pose une simple question : quelle vie après un accident nucléaire ? La réponse est surprenante car la vie existe encore avec ces forêts lumineuses et belles, ces lacs, cette nature presque normale… Presque, car c’est une nature dénaturée et traitresse créée par les humains et qui peut les consumer à petit feu. Ces humains justement, Emmanuel Lepage les montre aussi. Ils sont simples, comme vous et moi. Ils souffrent mais sont attachés à une terre souillée… Leur terre.

Entre les lignes, cet album ne fait pas que montrer. Il interroge évidemment sur la question du nucléaire dans notre production d’énergie. Alors jeu de roulette russe ou vraie maîtrise du sujet ? Au vu de cet album j’ai bien ma propre idée. En tout cas, Emmanuel Lepage signe simplement un album essentiel très injustement oublié par la sélection du festival d’Angoulême. Album profond, fort, terrifiant, humain et citoyen. Essentiel tout simplement.

Pour rebondir : les chroniques de Zorg & Mo’

Un printemps à Tchernobyl (one-shot)
Scénario et dessins : Emmanuel Lepage
Editions : Futuropolis, 2012
Public : Ado-adulte
Pour les bibliothécaires : Lire la dernière phrase de ma chronique.

Chroniques BD

Kililana Song (Benjamin Flao)

En Afrique de l’Est, au détour de l’Erythrée et du Kenya, un petit garçon court dans les rues pour échapper à son frère. Il ne veut pas apprendre, il veut sa liberté. Portrait d’un Tom Sawyer d’Afrique.

Certains livres se lisent, d’autres se contemplent. La bande dessinée n’a pas choisi entre ces deux voies, elle est une  osmose entre écriture et forme. Quand les dessins parlent, quand ils nous font ressentir des émotions, des sensations avec la même intensité qu’un texte finement ciselé, alors la bande dessinée montre toutes ses qualités. Avec Kililana Song, Benjamin Flao réussit ce petit miracle de papier. Pour tout vous dire, j’ai lu cet album il y a maintenant plus de deux mois. Je m’y penche de nouveau pour les besoins de KBD mais je n’ai pas vraiment eu besoin de l’ouvrir de nouveau pour me rappeler certaines de ses planches. Magnifique ce soleil bouillant perçant le toit de la case d’un vieil homme tout en mettant sa vieille carcasse en lumière ! Magnifiques ces pages où un simple trait bleu sépare la mer du ciel, où un bateau vogue sur le blanc du papier et l’azur de l’océan ! Magnifiques également, ces rues de Lamu où grouille une foule bigarrée au relent de post-colonialisme ! Alors forcément, il y a du bien, du mal, les galères de la misère mais peu importe. On y entend le bruit de la vie, les cris, les prières et la course de ce petit garçon s’échappant dans les rues poussiéreuses. Sa prison à lui, c’est l’école coranique. Son grand frère veut l’y emmener de force. Mais Naïm est plus malin, plus rapide, plus habile. Devant lui, la liberté, alors forcément, il court plus vite. Son frère est alourdi par ses certitudes.

Comme le Tom Sawyer de Mark Twain, Naïm est un personnage plein de légèreté, d’humour, de débrouillardise et surtout d’intelligence. Une intelligence qu’on ne trouve pas dans les lignes mais dans la relation aux autres. Naïm est un enfant libre et on a envie de le suivre dans son école buissonnière. Cependant, Kilalana Song n’est pas seulement le portrait d’un personnage. A l’image –toute relative – d’un Jean Rouch, le fameux anthropologiste cinéaste, il pose également un regard tout à fait particulier sur l’Afrique de l’Est, un regard presque universel tant cette région paraît être traversée par le monde entier. Si le scénario n’est pas d’une originalité folle – ce premier volume se bornant surtout à développer l’univers et le personnage de Naïm – cette atmosphère permet au lecteur de pénétrer immédiatement dans le récit, de s’y sentir bien.

Je ne pourrais pas vraiment ajouter d’arguments supplémentaires pour vous inciter à lire Kililana Song. Il a été pour moi une suite ininterrompue de sensations. Son dessin et de son personnage principal sont toute sa force. Il manque un peu de profondeur en matière de récit à mon goût. Mais ce premier album pose un certain nombre de bases qui seront sans doute développées par la suite. En attendant, on rêverait presque d’un album comme L’homme qui marche de Taniguchi, un livre uniquement constitué des pérégrinations de ce petit homme, un livre contemplatif poursuivant l’unique but de nous faire ressentir l’instant.

Kililana Song (première partie)
Dessins et scénario : Benjamin Flao
  Éditions: Futuropolis, 2012 (20€)

Public : Ado, Adulte
Pour les bibliothécaires : Très bel album. Parmi les meilleurs du premier semestre 2012. J’attends la suite avec un certain intérêt.

Chroniques BD, Recommandé par IDDBD

Chronique | Supplément d’âme (Kokor)

Il est anonyme dans la masse, petit homme rondouillard, chapeau mou et petite valise, marchant dans les rues de Dublin. A première vue, on ne dirait pas qu’il vient de trouver une solution aux problèmes de ce monde. Un hasard, un message sur internet, une chaîne universelle qui grandit, des oiseaux sculptés qui envahissent les édifices, la girafe Sophie et surtout cette question qui résonne partout : qui a sauvé le monde ?

Les belles âmes

Supplément d’âme, dernier né du talentueux Kokor, auteur pour lequel nous ne cachons pas notre admiration, est une œuvre chorale. On commence par entendre la voix de notre héros anonyme, narrateur de cette histoire. Puis s’ajoute celle de Willie, une jolie artiste irlandaise et enfin, arrive Camille Desmoulins, un français venu travailler dans une grande firme internationale, divorcé. Trois voix – et voies – qui semblent bien distinctes au départ. Rien ne semble les lier.

 

Et pourtant, comme à son habitude, Kokor joue avec son scénario et son lecteur dans des pistes qui se croisent, où les éléments s’additionnent et s’enrichissent pour constituer au final une seule histoire. Supplément d’âme est un album construit comme cette fameuse solution pour sauver le monde. C’est une histoire multiple devenant unique, une cacophonie scénaristique se transformant par la magie de la bande dessinée en une fable humaniste. Cet album est une auberge espagnole… et irlandaise.

Il s’agit peut-être de sa plus grande faiblesse. C’est le pendant de la grande liberté de ton de Kokor. Plus que d’autres, il travaille souvent sur la corde d’une réalité contrariée, différente, jouant sur les interprétations. Evidemment, le lecteur apporte sa propre besace émotionnelle et Supplément d’âme aura des ressenties très différents selon le lecteur. Ainsi, de mon point de vue, cette histoire résonne d’une façon particulière mais certains d’entre vous resteront à la porte. Trop de symboliques, peu d’explications et un univers qui, par la force de choses, dérangera les plus cartésiens d’entre nous.

Insoutenable légèreté

Mais assurément, Kokor ne peut renier cet album. Il porte sa marque. On retrouve les éléments qui ont fait de Balade Balade ou des Voyages du Docteur Gulliver des albums à part dans le paysage de la BD. Cet auteur distribue de la légèreté avec délice. Et même dans les instants difficiles, il y a un éclat dans les yeux des personnages, une parole, une situation permettant de voir le bon côté de la vie. Quand les êtres courent après le temps, la solitude ou l’abandon permettent de réfléchir sur soi-même, de prendre ce temps qui manque, de penser au détail. Car dans cet univers, le moindre élément peut prendre une grande importance. Je ne dévoilerai rien de l’intrigue mais notre personnage solitaire est finalement bien entouré. Et je ne parle même pas de Willie et Camille

Dans cet esprit, Kokor écrit une histoire où l’insouciance traverse constamment les planches. Alternant moments de silences contemplatifs, dialogues surréalistes et réflexions sur notre rapport aux autres, Supplément d’âme en devient une sorte de fable universelle qui la rapproche un peu des œuvres de poètes comme Prévert, Tati ou Sempé. Si l’histoire se passe à Dublin, elle aurait pu se dérouler au Havre, Copenhague, Kyoto ou Johannesburg. Peu importe le lieu car la mise en scène, le côté clownesque des personnages, leur regard amusé sur les événements, le rire, l’esprit, tout est là pour raconter cette belle histoire. Nous n’avons plus qu’à nous laisser porter par un graphisme somptueux. J’ai lu beaucoup d’album de cet auteur et pourtant, j’ai été particulièrement surpris par ses planches. Non seulement, il livre un travail technique varié (classique, figuratifs, croquis) mais il multiplie les lieux (mer, ville, atelier, gratte-ciel, bureau, rue…) tout en créant des atmosphères très disparates par son travail sur la couleur. Depuis Les Voyages du Dr Gulliver, je reste particulièrement amateur de ses bleus. Et justement cette couleur, c’est le ciel et la mer, la liberté, le rêve… Assis face à l’océan, le personnage principal se noie dans l’azur en devenant homme-oiseau (selon Willie) ou homme-poisson (selon Camille) et nous emporte tous, lecteurs et personnages, avec lui.

En finissant cette chronique, je jette un œil aux paragraphes précédents. Encore une fois, je me laisse emporter par l’enthousiasme… mais quel bel album ! Kokor aime les fables humanistes, aime nous faire voyager dans son univers où même les choses graves ne le sont pas vraiment. Émouvant cet album est une grande réussite. Graphiquement, on joue ici dans la cour des très grands. En espérant que grâce à cette œuvre, Kokor son auteur gagne enfin la reconnaissance publique qu’il mérite depuis longtemps. En tout cas, on vous recommande ce Supplément d’âme !

A lire : la chronique de Mo’ et celle de Paka
A voir : la fiche album sur le site de Futuropolis

Supplément d’âme (one-shot)
Scénario et dessins : Alain Kokor
Éditions : Futuropolis, 2012 (19€)

Public : Ado-adulte
Pour les bibliothécaires : L’une de ses oeuvres les plus accessibles. Digne d’une bonne bédéthèque !

Chroniques BD

Chronique | Sarah Cole, une histoire d’amour d’un certain type

scénario et dessins de Grégory Mardon
d’après la nouvelle de Russell Banks
éditions Futuropolis (2010)
Public : adulte
Pour les bibliothécaires : Grégory Mardon, auteur peu reconnu mais toujours très bon. Une valeur sûre !

Le Prince et la grenouille

Il est beau, musclé, calme, intelligent, riche et célibataire depuis peu. Le soir, il traine souvent dans ces bars huppés où se rencontre avocats et courtiers en bourse. Elle, la quarantaine, pas vraiment une gagnante de concours de beauté, divorcé, 3 enfants, une attitude qui cache difficilement son milieu social, populaire évidemment. Pour oublier la solitude et son boulot de mise en carton dans une imprimerie, elle sort avec ses copines. D’habitude, elle évite ce genre de bar huppé où se mêlent avocats et courtiers en bourse…

Grégory Mardon fait partie de ces auteurs peu connus des médias mais impeccablement régulier dans la qualité de leur travail. Je l’avais découvert avec Vagues à l’âme en 2000, récit biographique et imaginaire de son grand-père marin, un récit assez proche de Big Fish de Tim Burton. Depuis, c’est toujours avec plaisir que je découvre ses œuvres (Corps à Corps, Leçon de choses, Incognito…). Ici, Grégory Mardon s’attaque à l’adaptation d’une nouvelle très connue de Russel Banks, grand auteur américain dont l’un des thèmes de prédilection est la description du monde du petit peuple. Bref, c’est dire si le travail n’était pas aisé.

Dans ces cas-là, le plus difficile est de ne pas se laisser manger par l’œuvre originale. Or, Grégory Mardon évite cet écueil en très bon scénariste qu’il est. Comment ? Tout simplement en  en faisant le moins possible. Ici, les silences sont de rigueur et le trait, doublé d’un sens de la mise en scène et du découpage très précis, fait le reste. Les regards en biais, les sourires en coin, l’isolement de l’un et la vulgarité de l’autre, la lâcheté aussi… Tout cela est mis en exergue par une succession de cases, bien pensées, bien posées, silencieuses. Et c’est ainsi que les mots prononcés prennent sens dans la bouche des deux protagonistes jusqu’au moment où le monde des apparences et les fossés sociaux sont les plus forts. Les contes de fées sont pour les autres, ici, dans le monde de Russell Banks, et par appropriation dans celui de Grégory Mardon, les princes n’embrassent pas les grenouilles ou alors, c’est juste sous le coup d’une inspiration malsaine ou par pitié… jusqu’au moment où il se reveille de sa gueule de bois.

Encore une fois, Grégory Mardon est juste sur toute la ligne. Une très belle adaptation littéraire dans la lignée d’album comme Shutter Island ou Pauvres z’héros. Sans trop en faire, il restitue parfaitement l’atmosphère de cette étonnante et poignante nouvelle de Russell Banks.

A découvrir : la fiche album sur le blog Futuropolis
A lire : pour preuve qu’on ne dit pas toujours que des imbécilités sur IDDBD, voici la chronique du blog du journal Le Monde


A noter (encore une fois) : Sarah Cole
fera l’objet d’une présentation (par votre humble serviteur) lors de la soirée Rentrée Littéraire du 5 novembre 2010 à la librairie La Compagnie des Livres à Vernon (27). N’hésitez pas si vous passez dans le coin (20h30 !). J’y présenterai également Château de Sable et Fais péter les basses, Bruno !

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