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Chronique | Blue (Kiriko Nananan)

Kayako, lycéenne japonaise, aime contempler la mer après les cours. C’est un moment de solitude qui lui permet de s’évader. Un jour, Masami l’accompagne et partage cet instant. C’est ainsi que naît entre les deux jeunes filles une amitié étroite qui se transforme peu à peu en amour… et en difficulté.

Quand avec l’équipe de KBD, nous avons décidé de consacrer un mois entier au manga d’auteur, le nom de Kiriko Nananan est apparu immédiatement comme une évidence. Les discussions ont vite tourné court.  Sous cet étrange pseudonyme se cache en effet l’une des auteures les plus intéressantes et douées de sa génération. La présence de Blue en 2004 dans la sélection d’Angoulême n’est en aucun cas un hasard. Pour ma part, je pensais l’avoir déjà chroniqué ici, c’est une erreur que je rattrape aujourd’hui avec le plaisir d’un fin gourmet car depuis ma lecture (à sa sortie) c’est un album que je n’ai jamais perdu de vue.

Traits et contrastes

Évoquer Blue et son auteur, c’est parler d’un trait singulier, qui, à l’époque, met une grosse claque aux idées reçues sur le manga. Je me souviens des critiques en 2004 concernant la BD japonaise : remplissages et copies de Tezuka. Alors est sorti Blue, avec un simple trait noir sur une feuille blanche. Une simple ligne décrivant dans le même élan les émotions et les visages, les lieux et les absences. Un simple trait et un univers qui s’ouvre, tout en plan rapproché où la différence se fait par d’infimes détails obligeant le lecteur à s’arrêter pour contempler, à lire l’image et à accepter ce vide qui est aussi parlant que le délicat contour d’un visage. Le graphisme de Kiriko Nananan est tout en contraste, jouant sur les oppositions pour donner une véritable unité. C’est un sous-texte graphique bien plus parlant que mille discours, un anti-ligne claire de la BD européeene. Ici, le détail est oublié, enlevé de l’espace et seul sont conservés les éléments importants : le corps, les attitudes et les visages. A l’aide de ce graphisme, Kiriko Nananan se concentre exclusivement sur son propos.

Fragments universels

Kiriko Nananan aime décrire la jeunesse japonaise dans ses travers et ses petits penchants, c’est le leitmotiv de ses œuvres (Everyday, Strawberry Shortcakes). Mais les albums suivants sont loin d’atteindre le niveau de Blue. De mon point de vue, cet album atteint la qualité narratives des grandes œuvres littéraires en étant capable de rendre une minuscule histoire universelle, d’appeler les sentiments enfouies en chacun par l’intermédiaire de personnages qui nous semblent étrangers.

En effet, si l’on fait le parallèle avec le Bleu est une couleur chaude, le fabuleux album de Julie Maroh, il n’y a pas de militantisme dans l’œuvre de Kiriko Nananan mais une volonté de présenter la jeunesse japonaise sous un autre regard. Ici la « différence » est poussée jusque dans le propos et par bien des aspects, Kiriko Nananan montre tout comme son homologue européenne  la simplicité et la beauté du sentiment amoureux. Qu’il soit homosexuel ne change presque rien à l’affaire. L’équilibre et le déroulement du récit sont parfaitement maîtrisés. On ne peut pas parler de rythme, juste d’une continuité qui fait entrer peu à peu dans la profondeur des personnages. Cette impression est renforcée par des cadrages de plus en plus resserrés sur les visages et une silence de plus en plus sourds. L’histoire se déroule alors dans un naturel désarmant, nous amenant vers une conclusion  à la fois simple, digne et touchante.

Un manga littéraire

Attention cependant, Blue n’est pas un shojo/yuri fleur bleue (sans jeux de mots). C’est une œuvre littéraire et cette grande qualité a ses exigences. Pénétrer dans l’univers de Kiriko Nananan vous demandera une concentration dans la lecture. En effet, si le dessin n’est que traits, contrastes et détails subtils, il n’aide pas forcément dans l’identification des personnages. Surtout quand ceux-ci changent de noms au cours du récit. En fait, ils n’en changent pas, on passe d’un niveau de langage à un autre. Savez-vous que les jeunes japonais s’appellent par leurs noms de famille dans la vie courante et qu’ils n’adoptent le prénom qu’en cas d’amitié forte ou d’intimité ? Non, et bien retenez-le ça pourra vous servir ! Mais plus que tout, l’essence profonde du récit ne vous sera pas donné. Il est possible de se laisser porter par la finesse de la poésie mais la subtilité du propos nécessite une interprétation constante, signe à mon goût d’une œuvre majeure respectant son lecteur mais qui pourrait en laisser quelques uns à la porte

Blue n’est pas une œuvre tout à fait comme les autres. Tout en subtilité, le travail de Kiriko Nananan se situe  dans la continuité d’auteurs comme Kyoko Okazaki ou  Kazuo Kamimura. Ce manga fait partie des plus belles oeuvres que j’ai eu l’occasion de lire, simplement majeure.

scénario et dessins : Kiriko Nananan
Édition : Casterman (2004 pour la 1ere édition)
Collection : Sakka (1ere édition) / Écritures (2e édition)
Édition originale : Magazine House (1996)
Public : Adolescents-Adultes

Pour les bibliothécaires : Indispensable. Devrait déjà être considéré comme un classique

PS : Rien à voir, mais spéciale dédicace à la nouvelle petite membre de l’équipe KBD. Elle signera sa première synthèse à l’horizon 2030 !

Chroniques BD

Chronique | Le Bleu est une couleur chaude

scénario et dessins de Julie Maroh Editions Glénat (2010) Public : A partir de 15/16 ans Pour les bibliothécaires : cet album fait tout simplement partie de ma bédéthèque idéale. Comme ça c’est réglé. Prix du public Angoulême 2011 (14,90€)

« Si j’avais été un garçon, Clém’ serait tombé amoureuse de moi quand même… »

Clémentine a 15 ans et se rend à son premier rendez-vous galant lorsqu’elle croise une jeune femme aux cheveux bleus dans la rue. Quelques mois plus tard, alors qu’elle est entrainée dans un bar gay par son meilleur ami, elle la retrouve. Elle s’appelle Emma. C’est un coup de foudre et  le début d’une histoire d’amour à la fois douloureuse et profonde entre les deux jeunes femmes… J’ai la faiblesse de croire que les livres peuvent changer l’existence des gens, de croire que l’imagination et la créativité peuvent être plus fort que mille discours moraux. Je suis persuadé que des albums comme Le Bleu est une couleur chaude peuvent apporter des réponses ou apaiser des jeunes gens qui luttent contre leur propre nature, parce qu’elle n’est pas « bien », parce qu’elle n’est pas « normale ». Pourtant, je n’ai pas non plus l’impression que cette BD ait été écrite pour prouver ou démontrer quoique se soit mais bien dans le seul but de raconter une histoire. Le Bleu est une couleur chaude est une simple histoire d’amour, plus compliquée que les autres c’est vrai, mais qui n’en demeure pas moins véritable et terriblement humaine. Cette BD n’est pas militante par son approche, elle l’est par la justesse de ses propos. Julie Maroh réussit à dépasser cette soi-disant différence pour nous montrer un véritable amour romantique. Ici, il n’est pas question de soleil illuminant les champs de blé ni de chamallows grillés au coin du feu, dans ce récit tout est digne malgré la réalité qui n’épargne pas les amours outrageants. Au bout, les sentiments affluent comme une vague… bleu évidemment. En lisant Le Bleu est une couleur chaude, vous passerez par tous les états possible. Cet album fait parti de ces œuvres qui, par on ne sait quelle magie, réussissent l’exploit de former un tout, une copie presque parfaite de l’existence, où durant quelques pages se mélangent la vie et la mort, la renaissance et l’éternité, la joie, les peines, les déceptions… Tout cela est rendu possible par les qualités d’écriture indéniables de Julie Maroh. Son style est impeccable, clair, son scénario alterne les phases d’emballement et de calmes, laissant les silences, l’attente et les sentiments s’installer. Côté graphisme, elle étonne en mélangeant des influences assez classiques (sa bichromie bleu/noir et son trait me rappelle dans une certaine mesure les Sambre de Yslaire) et une part d’onirisme magnifique (des planches pleines pages de toute beauté). Cet album, outre son titre, n’est pas non plus sans rappeler Blue, le chef d’œuvre de la mangaka de Kiriko Nananan. On y retrouve le même plaisir du silence, la même finesse de trait, la même volonté intimiste, la même force surtout.   Si je voulais être pénible, je dirais que Julie Maroh n’a pas encore donné toute la mesure de son talent. On peut en effet discuter de certains passages, moins brillant sur le plan graphique et/ou narratif. Mais incontestablement, avec ce premier album – son premier album – elle entre directement dans l’antichambre des grands. Si je voulais m’avancer, ses qualités graphiques et surtout d’écriture lui permettront sans doute de signer des œuvres de très hautes qualités, à la hauteur d’un Fred Peeters ou d’un Larcenet. Il suffit de lire Blast ou Lupus pour vous faire une idée de mon point de vue. Maintenant la patience est de mise. En attendant, je vous invite à relire et à faire lire cet album rare. Le Bleu est une couleur chaude a reçu le prix du public au FIBD d’Angoulême en 2011. Cet album m’ayant été conseillé par Mo’, Choco (et mon Padawan, elle se reconnaitra) il entre donc dans le challenge Pal Sèches de Mo’ (ouf plus que 2 !). Et comme Julie Maroh est une bien jolie fille, il entre également dans le cadre du challenge Women BD de Théoma. Et zou ! A découvrir : le très beau blog de Julie Maroh A voir : toujours sur le site de Julie Maroh, l’émission Un Monde de Bulles consacré à l’homosexualité dans la BD A lire : la critique de Ginie sur B&O, celle de Mo‘ et tiens celle de Choco aussi !

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Chronique | Le jeu du chat et de la souris

scénario et dessins de Setona Mizushiro
2 volumes (série terminé ??)
Editions Asuka, 2010(collection Shojo)
Edition originale Shogakukan, 2009
Public : adulte de + 18 ans
Pour les bibliothécaires : un très bon Yaoi, série à avoir dans son fonds (malgré des scènes très explicites)

Petit jeu entre amis

Le manga, c’est autant de genres que de catégories de personnes. Le manga, il y en a pour tous les goûts : le seinen pour les adultes, le josei pour les femmes, le gekiga pour les amateurs de romans graphiques, les shonen pour les garçons, le shojo pour les filles… Et puis il existe encore des sous-catégories comme le yaoi et le yuri… Question à deux euros cinquante : c’est quoi ? Les œuvres traitant de l’homosexualité, féminine avec le yuri, masculine avec le yaoi.

Si j’ai eu l’occasion de lire et de vous parler de yuri avec notamment l’excellentissime Blue de Kiriko Nananan et Love my life de Ebine Yamaji, je n’avais jamais abordé la thématique de l’homosexualité masculine ni dans mes lectures ni dans mes chroniques… Pourquoi ? Je pourrais trouver des explications métaphysiques mais je m’arrêterai au côté gênant et masculin de la chose. Ce n’est pas glorieux je sais. Mais le hasard et une nécessaire lecture professionnelle m’a obligé à ouvrir le premier volume de cette série courte (deux exemplaires) mais efficace et suprenante.

L’histoire est assez simple (quoiqu’un peu tordue). Kyoïchi n’est pas un époux très fidèle au point que son épouse engage un privé pour le suivre. Ce dernier n’est autre qu’Imagase, un ancien camarade de fac, qui lui propose de négocier afin de ne pas dévoiler ses informations compromettantes : il veut son corps… Débute alors une relation étrange faite de rejet et d’amour…

En me renseignant sur les yaoi, je me suis aperçu que leur principal défaut est ce côté un peu mièvre, fleur bleue, romantique qu’on retrouve très souvent chez les mauvais shojo… Bon, il faut dire qu’ils sont justement destinés au public féminin (au contraire des yuri qui sont plus grand public). Et effectivement, le côté « je me prends la tête pendant 15 pages pour te dire que oui mais bon tu comprends » apparaît assez régulièrement. Toutefois, je ne me suis pas ennuyé lors de cette lecture. J’ai même lu les deux volumes d’une traite c’est dire !.

Le dessin est d’un classicisme efficace mais jamais chargé, le découpage est rythmé. Les personnages ne sont pas non plus des caricatures du gay. Kyoïchi n’est certes pas Ryo Saeba (Nicky Larson) mais il est très masculin et Imagase n’est pas Renato dans la Cage aux folles. Si les scènes de sexes sont très crues, elles ne sont pas pour autant vulgaire mais forte en émotion et toujours justifié dans le fil du récit.

Mais l’intérêt de l’histoire, bien plus que la relation amoureuse, c’est le personnage de Kyoïchi. Comment va-t-il évoluer ? Hétéro convaincu et marié, peut-il admettre son homosexualité ? L’est-il vraiment ? Le serait-il s’il n’avait pas rencontré Imagasé ? Toutes ces questions sont le véritable fil rouge du récit. Finalement, on regarde les choses se faire, les comportements évoluer et les sentiments changer. Tout cela avec beaucoup de finesse.

Bref, une lecture très agréable (et courte) pour découvrir un pan de la culture manga que je ne connaissais pas encore. Une très « belle » œuvre, à conseiller…

A lire : la critique sur manga-news

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