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Chroniques Cinéma

Tout va bien : 1er commandement du clown (Rosenblatt & Desjardins)

Durant deux ans, Pablo Rosenblatt et Emilie Desjardins ont suivi un petit groupe d’élèves de Bagnolet. Mais cette école est bien originale. En effet, on y apprend à faire le clown. Bienvenue à l’école du Samovar.

Vis comica : le pouvoir de faire rire

Le clown est une figure populaire à la fois attachante et emprunte d’une certaine forme de mystère. Derrière son nez rouge, il fait rire aux éclats les grands et les petits par cette gentille idiotie qui le caractérise si bien. Mais au fond, on ne sait pas vraiment qui il est, ce qu’il pense, ce qu’il aime. Pablo Rosenblatt et Emilie Desjardins nous invitent à passer sous la couche de maquillage et les oripeaux ridicules en compagnie de ces apprentis prêts à tout pour trouver le clown qui sommeillent en eux. Seront-ils clown triste, grand clown, affreux clown, bébé clown, clown punk ? Qui peut bien le dire ? Au cours de leur apprentissage, ils vont peut-être le découvrir.

Par une démarche assez classique en cinéma documentaire, nous entrons donc par de longs plans séquences dans le quotidien de ce petit groupe de quatorze élèves à l’âge et aux parcours hétéroclites. Ainsi, des cours aux pauses cigarettes, nous sommes les petites souris silencieuses qui écoutons et attendons de voir se poindre le « monstre », ce fameux clown tant recherché. Si la forme est assez sage, le spectateur comprend dès les premières minutes toute la difficulté de la tâche. Et si ce film expliquait pourquoi les clowns ont parfois l’air triste ?

Nosce te ipsum : connais-toi toi même

Pour ces élèves, il ne s’agit pas simplement d’appliquer des méthodes toutes faites par une école qui les poussent à outrepasser les valeurs morales établies. N’est-ce pas le rôle d’un clown après tout ? Non, l’idée principale est de fouiller au fond de soi, de faire ressortir l’inconscient avec son lot d’angoisse mais aussi tirer parti de son potentiel, d’explorer de nouveau chemin avant de faire demi-tour. Bref, de trouver sa propre énergie qui poussera à exceller dans le ridicule, la folie et le rire.

La grande réussite de Pablo Rosenblatt et Emilie Desjardins est de  montrer l’importance de ce côté introspectif dans leur cheminement. Ne se bornant pas à « filmer des apprentis clowns », ils ont mis en écho la personnalité de chacun par un subtil travail de montage et de bande son. Ainsi, si le groupe est filmé sans véritable focus sur l’un des personnages, des témoignages courts en voix off viennent ponctués le film. Ces derniers nous font découvrir tour à tour l’ état d’esprit, les attentes, les choix de l’un des membres. Les réalisateurs créent ainsi un petit tableau de cette communauté et rappellent que si le clown reste unique, il fait partie d’une grande famille.

Ab imo pectore : du fond du coeur

Finalement, en entrant autant dans leur intimité, une sorte d’empathie se créer pour ces personnalités si attachantes et souvent très originales. Une originalité recherchée et même revendiqué par les profs et les élèves. Durant 1h30, ils se cherchent, se trouvent, se perdent, se heurtent souvent aux murs de leurs propres limites avant de les dépasser. A notre tour, nous nous interrogeons et nous inquiétons sur leur présence, leurs échecs, leurs réussites, leurs forces, leurs faiblesses…

Au final, ce film trouvera sana aucun doute un écho chez ceux qui ont eu, un jour, à affronter les difficultés de la création artistique. Doutes, faiblesses, exaltations et passions sont le moteur d’un film qui, sous les aspects de la simplicité, est réalisé avec beaucoup de délicatesse. Il montre aussi la force du travail et de l’abnégation. Un film à l’image de ces artistes de cirque, qui, après avoir fait exploser de rire des foules entières, font naître la nostalgie à l’aide quelques notes. Cette musique qui accompagne finement ce joli documentaire pour nous rappeler que même les clowns peuvent être des poètes. Oui, tout va bien.

A voir : le site du film et la page Facebook


Tout va bien – 1er commandement du clown Bande-annonce VF

 

Tout va bien : 1er commandement du clown
Réalisateurs : Pablo Rosenblatt et Emilie Desjardins
Durée : 94′
Production :  Lardux / DHR
Année de production : 2013

Chroniques Cinéma, Recommandé par IDDBD

Casedoc#4 | Edmond, un portrait de Baudoin (Laetitia Carton)

Durant plus d’un an, la réalisatrice a suivi Edmond Baudoin. A 70 ans, cet ancien chef-comptable devenu dessinateur par désir profond et par peur de l’ennui fait partie des grands auteurs de la bande dessinée contemporaine. Avec son dessin unique au pinceau, il est dès ses premières planches dans les années 80, un personnage tout à fait à part dans l’édition. 30 ans et une cinquantaine de livres plus tard, ce portrait filmé nous permet de le découvrir dans son intimité, entre son petit village de l’arrière-pays niçois, les grands festivals et surtout les discussions feutrées autour d’un dessin, moments privilégiés d’échanges sur l’art, la liberté, la vie.

Au risque de me répéter, dire qu‘Edmond Baudoin est un monument de la bande dessinée est un doux euphémisme. Totalement décalé dans la production très standardisée des années 80, il reste malgré l’explosion de l’édition alternative, un auteur « différent ». Je dois avouer que je partage avec la réalisatrice – et sans doute beaucoup des amateurs de Baudoin – un rapport très particulier à cette œuvre majeure, reposant principalement sur l’intime et une façon singulière de raconter des histoires.

D’ailleurs, en y réfléchissant un peu, Baudoin ne raconte pas d’histoires. Il les livre à la vue des lecteurs. Et c’est justement toute la réussite de ce film : reprendre cet état d’esprit particulier. Par l’intermédiaire d’un montage réalisé avec beaucoup de justesse, Lætitia Carton met en parallèle ses propres images avec celle d’Edmond Baudoin. Elles illustrent ainsi les lieux, les discours et les pensées offertes à la caméra par le dessinateur. On découvre ainsi ce lien permanent entre l’œuvre et l’homme. Les lieux, les paysages, les êtres voire même les situations qui peuplent les albums de Baudoin sont irrémédiablement liées à sa vie.

De plus, la complicité entre la réalisatrice et son sujet (qui a d’ailleurs participé à l’écriture) lui permettent d’offrir au spectateur une vision profonde de l’homme. Outre l’artiste, on découvre un message, celui d’un homme qui a fait le choix de la liberté, de la passion et d’une certaine forme d’épicurisme. Une philosophie qui trouve son écho dans les traits de son pinceau. Libre et profond.

Une belle mise en perspective soutenue (je m’en voudrais de l’oublier) par une bande-son entre jazz et accordéon de grande qualité. Un film réussi qui donne envie d’en découvrir un peu plus et de retourner sur le chemin de St-Jean.

A noter : ce film n’est pas pour l’instant pas diffusé autre part qu’en festival et recherche donc un diffuseur. A bon entendeur…

A lire : le film ayant été financé en partie via Ulule, retrouvez la page de présentation

A voir : la bande annonce

EDMOND, un portrait de Baudoin (trailer) from Kaleo films on Vimeo.

 

Edmond, un portrait de Baudoin
Réalisateur : Laetitia Carton
Durée : 86′
Production : Kaelo
Année de production : 2014

Chroniques Cinéma, Recommandé par IDDBD

Chronique | Jasmine (Alain Ughetto)

En 1978, Alain fait du cinéma d’animation en pâte à modeler et Jasmine étudie le théâtre de l’absurde. Ils tombent amoureux. En France, tout est simple mais à la fin de ses études, elle doit repartir en Iran au moment où une Révolution se met en marche. Quelques mois plus tard, il la rejoint à Téhéran. Tous les deux vivent une histoire d’amour singulière dans les heurts du changement. Mais il y a 30 ans, Alain laisse Jasmine et oublie la pâte à modeler.

Quand je tente de présenter le documentaire de création à des profanes, j’explique qu’il s’agit pour le réalisateur de chercher à capter l’instant afin de le retravailler à la manière de n’importe quel cinéaste pour donner sa propre vision du « réel ». Mais dès les premiers instants du film, il apparaît clairement que Jasmine échappe à cette définition très (trop) simple de ce qu’est le cinéma documentaire. Et oui, la création échappe encore aux petites cases du bibliothécaire !

L’angoisse d’une révolution

Ni tout à fait dans la réalité, ni tout à fait dans la fiction, Jasmine nous plonge dans les souvenirs amoureux du réalisateur. Mais des questions se posent : comment raconter le passé ? Comment en faire un documentaire sans images d’époques ? Qu’importe car une autre matière existe, bien présente. De réel, le réalisateur possède les dizaines de lettres envoyées par une jeune femme passionnée se languissant de l’absence de ce français dont elle est tombée amoureuse, la nostalgie et les regrets, les images oubliées en Super 8 ou encore, les archives d’une révolution pleine d’espoir au futur sombre.

La multitude

Quant aux images, comme un symbole, il choisit de les créer lui-même en renouant avec un savoir-faire qu’il avait perdu il y a 30 ans. Une matière « physique » cette fois-ci, une matière charnelle qui prend corps entre les doigts du réalisateur. Ainsi, pendant plus d’une heure, alternant prises de vue « réelles », images d’archives et séquences d’animation d’une beauté esthétique rare, Alain Ughetto raconte cet amour nostalgique et apaisé à l’aide de simple pâte à modeler. Il se met en scène en créant un personnage jaune et installe une  Jasmine bleue à ses côtés. Prenant vie, ces êtres incarnent une réalité, racontent l’Iran de la révolution, les femmes de ce pays, une autre culture et évoquent surtout une déchirure.

Sur les toits d’un Téhéran de polystyrène

Ainsi, bercés par les voix chaudes et profondes de Jean-Pierre Darroussin et Fanzaneh Ramzi, passeurs d’une écriture tout en subtilité, nous voici plongés dans une forme cinématographique bouleversante. A l’image de cette scène d’amour où les personnages et leurs couleurs s’entrelacent dans un jeu de couleur enivrant, ce film repousse sans cesse les limites. Celles d’un genre bien entendu mais aussi du regard sur l’autre.

Jasmine
Réalisateur : Alain Ughetto
Durée : 70′
Production : Les films du Tambour de Soie
Année de production : 2013
Distribution : Shellac Sud

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