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Découverte d’un genre littéraire, le manga

Je vous propose dans ce (très) gros dossier, le résultat de mon travail sur la formation Découverte d’un genre littéraire : le manga proposée aux bibliothécaires du département de l’Eure par la Médiathèque Départementale. Cette formation s’est déroulée le 26 septembre 2013. Dans cette tâche, j’ai été accompagné par mon excellente et néanmoins collègue Pauline, grand acquisitionitrice des BD jeunesse.

Comme son nom l’indique, même si le travail est dense, il s’agit d’une approche pour débutant. L’idée étant non de leur faire aimer le manga (après tous les goûts et les couleurs, hein !) mais plutôt de comprendre l’intérêt et les évolutions de ce média. Même si l’approche se veut historique (en tout cas au début), il ne s’agit pas ici d’être exhaustif mais de mettre en avant les phases importantes qui ont conduit à la bande dessinée japonaise d’aujourd’hui. Évidemment, il manque dans cette présentation toutes les interactions formateurs-stagiaires qui ne manquent jamais d’apporter un plus à l’ensemble. Dans le cas de cette formation, nous avons eu un groupe très intéressant.

J’espère que ce travail pourra vous être utile, professionnellement pour les bibliothécaires, culturellement pour les autres. Et évidemment, si vous avez des questions n’hésitez pas à réagir dans les commentaires.

Côté technique, cet article est tellement gros, que je l’ai découpé en mini-chapitre. En bas de page, vous pouvez voir des petits chiffres qui correspondent aux pages. Donc, vous cliquer pour avoir la suite… Je ne vous fais pas un dessin (vous seriez déçus). De plus, les images utilisés ne sont pas toutes copyrightées mais elles appartiennent bien évidemment  à leurs auteurs et ayants droits. Elles ont été utilisés à usage pédagogique.

Bonne lecture !

1ere partie : aux sources du manga (1603-1945)

La double culture japonaise

Du point de vue occidental, la culture japonaise est bien souvent synonyme de subtilité et de tradition emplie de maîtrise de soi, de perfectionnisme, de finesse et de sensibilité. Elle trouve tout son symbole dans la vision romantique du samouraï, guerrier absolu à la fois rompu à l’art de la guerre, à la philosophie et aux pratiques artistiques. Malgré une part non négligeable de fantasmes, cette culture est une réalité et représente l’héritage direct du foisonnement culturel de la période Edo (1603-1867) lié au développement de la bourgeoisie marchande et à la domination du Shogunat Tokugawa sur le Japon du 17e au 19e siècle.

Mais cette « tradition » ne présente qu’un seul visage de la culture japonaise. En effet, on néglige souvent des pratiques et des croyances populaires encore plus anciennes, notamment le shintoïsme. Par principe religion de la nature et de la fertilité, le shintô apporte un rapport à l’environnement et au corps très différent des conceptions judéo-chrétiennes occidentales.

Entre les cultes phalliques, les nombreuses histoires scatophiles ou frisant l’absurdité absolue ponctuant les histoires populaires, les croyances dans les esprits de la nature (Kami) ou dans un bestiaire fantastique (Yokaï), il y a de quoi choquer l’esprit occidental. Mais les japonais moyens apprécient ce genre d’histoires et partagent aussi le plaisir d’écouter, de lire ou de raconter des histoires plus légères d’amours impossibles, de farces grotesques ou de samouraï libérant une belle.

Bien entendu, le manga n’échappe pas à cette double influence. L’exemple le plus évocateur étant sans aucun doute Ryo Saeba (alias Nicky Larson), à la fois obsédé sexuel et samouraï des temps modernes.

Rouleau, estampe et… manga ?

Très rapidement, le japon raconte ses histoires en image. Au même titre qu’une Tapisserie de Bayeux, Le rouleau des animaux (Xe siècle) est déjà une première représentation séquentielle d’une histoire. Cependant, il est difficile de le comparer à une bande dessinée contemporaine. Les séquences sont des tableaux successifs et les textes illustres plus qu »ils ne viennent compléter le dessin. La fluidité naturelle du média BD, n’est pas encore au rendez-vous.

C’est surtout sous l’ère Edo, avec un pays enfin pacifié, que le dessin se développe avec les fameuses estampes japonaises de l’Ukiyo-e (Images du monde flottant). On perçoit déjà une tradition dans la représentation (des visages identiques), une continuité dans les thèmes (nature, sexualité, vie quotidienne, femmes…) et dans les techniques utilisées.

C’est Kastuhika Hokusaï, le plus célèbre peintre de ce courant qui utilise pour la première fois le terme manga. Il publie en 1812 un carnet de croquis intitulé Hokusaï Manga (image dérisoire). Là encore, il est difficile de parler de bande-dessinée au sens moderne du terme. Il ne s’agit là que d’illustrations de la vie quotidienne et non d’une réelle tentative de récit dessinée. Il faut attendre une révolution politique, sociale et culturelle beaucoup plus profonde pour voir les prémisses du manga contemporain.

1ere partie (2) : aux sources du manga (1603-1945)

L’apport décisif de l’occident

En 1853, le Japon qui s’était recroquevillé sur lui-même depuis plus de 3 siècles s’ouvre de nouveau vers l’extérieur. Une réouverture forcée par le Commodore américain Matthew Perry durant l’épisode dit des Bateaux Noirs. Cet épisode entraine indirectement le déclin puis la chute du Shogunat en 1867. L’Empereur redevient le souverain absolu et le Japon entre dans sa période de révolution industrielle nommée « Ère Meiji ».

Dès 1863, les illustrateurs occidentaux débarquent au Japon et créent les premiers journaux satiriques. A l’image de ce qui existe déjà en Europe ou aux États-Unis, les dessinateurs du Japan Punch, Box of curious ou Tobae observent, se moquent de l’actualité tout formant leurs homologues japonais. Le terme de Ponchi-e (dessin à la punch) est alors utilisé pour désigner ce nouveau type d’illustration. Parmi ces jeunes hommes, Rakuten Kitazawa devient collaborateur de l’australien Frank Nankivell au Box of Curious en 1895.

Pour autant, ce n’est pas un illustrateur qui est à l’origine de l’utilisation du terme « manga » mais un intellectuel et homme politique majeur de la fin du 19e siècle. Yukichi Fukuzawa créé le journal Jiji Shinpo en 1882. Outre son influence sur la vie politique de l’époque, Fukazawa milite pour la défense des valeurs japonaises face à une influence grandissante de l’occident. C’est pourquoi, il prône l’utilisation du terme manga pour remplacer Ponchi-e. En 1899, il créé un supplément dominical illustré au Jiji Shinpo qu’il baptise symboliquement Jiji Manga, empruntant ainsi le terme à Hokusai.

Pour travailler dans son supplément, Fukazawa engage Rakuten Kitazawa en 1899. Bercé par l’illustration occidentale et par le comic book naissant, il est le premier à utiliser le terme de manga pour qualifier son travail. Il devient ainsi le premier mangaka de l’histoire et reste une grande figure de l’illustration tout au long de sa carrière. De renommé internationale, il reçoit même la légion d’honneur à Paris en 1929.

De l’installation du manga à la prise en main nationaliste

En 1912, l’ère Taisho succède à l’ère Meiji. Le japon continue son évolution économique et sociale tout en poursuivant une politique expansionniste. Les conflits se multiplient avec la Chine et la Corée.

Le manga, instrument de contestation sociale dans une société en mutation, s’institutionnalise. On assiste ainsi à une professionnalisation du métier avec des « syndicats d’auteurs » bien souvent lié à un courant politique. Mais si le manga garde ce rôle d’outil de propagande, il devient également pour le grand public un média de divertissement. Ainsi, dans les années 1910-1920, les grands éditeurs (Sueisha, Kondasha…) naissent et créent les premiers magazines de publication mensuel. Dans ce cadre, les formes du manga, plus traditionnellement hérités des comics strips américains comme les Yonkoma se transforment.

En 1921, Ippeï Okamoto créé le premier Story Manga (Renkaï manga). Le mangaka développe son histoire sur plusieurs chapitres et enrichit donc considérablement l’intérêt de son récit. Le Manga devient ainsi un art beaucoup plus axé sur la narration. Dans le même temps, les premiers héros et leurs produits dérivés apparaissent dans les magazines. La grande star des années 20-30 est le gentil – mais paresseux – chien Norakuro.

1925 marque le début de l’ère Showa. Les velléités de domination de l’Asie transforment peu à peu le paysage politique. En 1926, la loi de préservation de la paix publique instaure un régime autoritaire. Tout doit être pensé pour faire de l’homme japonais un bon soldat : censure, regroupement d’auteurs dans des organisations professionnelles nationalistes, orientation des personnages vers des sujets plus utiles… Ainsi, Norakuro devient un courageux soldat se battant contre les méchants chinois… et avec l’entrée en guerre du Japon dans la seconde guerre mondiale, des américains.

Cependant, le Japon n’est pas de taille à lutter contre l’ogre américain et le manga souffre tout autant que la population. Peu à peu les ressources viennent à manquer. Plus de papier, plus de manga. Et dès les années 40, les héros et leurs auteurs disparaissent. En août 1945, le Japon connaît la plus grande catastrophe de son histoire. Le traumatisme des bombes nucléaires d’Hiroshima et Nagasaki, l’humiliante défaite et l’occupation américaine bouleversent les certitudes nippones et transforment complètement la société… et bien évidemment le manga.

Le manga, fils de la guerre

En 1945, le Japon est face à ses réalités : la guerre est perdue, le modèle politique a échoué et le pays est en ruine. La reconstruction sera longue. Tandis que l’Empereur se retire de la gouvernance, les vainqueurs imposent une nouvelle constitution et occupent le pays. Des habitudes ancestrales – comme la pratique des arts martiaux par exemple – sont interdits.

Paradoxalement, ce choc ouvre la voie à une nouvelle génération de mangaka. Cette dernière capte les changements de la société nippone. Des décombres naissent 4 grandes thématiques qui marqueront les générations suivantes.

  • Alors qu’ils ont été victime de la bombe atomique, une fascination paradoxale pour la science (et par extension l’espace). Cette thématique constitue la base de tous les grands récits spatiaux, de robots guerriers (Mecha)…
  • En représailles aux errements des politiques, les mangakas développement le thème de la perte des repères et un ressentiment des enfants à l’égard des adultes (et donc plus symboliquement des élites). On trouve ici le départ des récits post-apocalyptiques.
  • Avec l’occupation américaine, on constate une recherche d’ouverture vers l’autre et un véritable message humaniste et pacifiste.
  • la thématique du dépassement de soi qui forme la base des mangas de sports ou d’arts martiaux. Bien compréhensible dans un pays en ruine.

Sous ses aspects de divertissement, le manga participe à sa mesure à l’effort de reconstruction. A l’échelle mondiale, on parlera rapidement de miracle japonais. Ce miracle ne tardera pas à dépasser les frontières. Mais pour le manga, le chemin reste encore long…

2e partie : Naissance et épanouissement du manga moderne

Des supports de diffusion et une liberté pour tous

La seconde partie de l’ère Showa (1945-1989) constitue les glorieuses années du miracle japonais. Le Salary Man en est la figure la plus représentative. Homme dévoué à son travail, il donne tout pour son entreprise qui, en retour, lui procure une situation et une sécurité. Ce japonais modèle donne donc tout pour la réussite de son entreprise. Excellence, rigueur et dévouement : les trois mamelles du développement économique extraordinaire du modèle japonais.

L’industrie culturelle n’échappe pas à cette logique. Si dès 1947, les grandes maisons d’éditions peuvent ressortir en kiosque les magazines mensuels de publication, le premier studio d’animation est créé en 1948. Le lien entre ces deux branches, reposant sur les mêmes processus de transmission des savoir-faire, ne tardera pas à se former.

Cependant, malgré la demande croissante, les magazines de publication demeurent encore un produit de luxe pour une population qui peine à se nourrir. En revanche, dans les librairies de prêt (Kashihonya), on peut facilement louer des livres (Kashihon/Akahon) de mauvaises qualités à la journée pour quelques sous. Bien souvent de pâles copies de comics, les mangas édités dans ces boutiques rencontres pourtant un vif succès. C’est l’occasion pour de jeunes mangakas de se faire connaître.

D’autant plus que ces mangakas bénéficient d’une liberté de ton impensable pour des auteurs européens ou américains freinés par des lois de censures. Rappelons que la loi de 1949 sur les publications destinées à la jeunesse en France a longtemps freiné l’éclosion d’une BD pour adultes. Échaudes par l’avant-guerre et sa loi de préservation de la paix publique, le Japon n’applique pas de véritable censure. Ainsi, les mangakas sont libres d’aborder des sujets particulièrement sensibles (critique de l’école, critique des institutions) voire immoraux.

Les fondateurs du manga moderne

On a beaucoup écrit et parlé sur celui qu’on surnomme « le dieu du manga ». Figure tutélaire « à la Hergé », il serait celui qui a tout inventé. Certes, il l’un des auteurs les plus prolifiques et visionnaire de sa génération et son apport est indiscutable, il est LE symbole du manga à travers le monde mais le manga a bénéficié de l’apport de multiples créateurs.

La figure tutélaire d’Osamu Tezuka, dieu du manga

En 1947, Osamu Tezuka et Shishima Sakaï publient un petit livre qui a marqué l’histoire de son empreinte. Shin Takarajima (La Nouvelle île au Trésor) est reconnu comme le premier manga de l’ère moderne. Si le thème – encore emprunté à la culture occidentale – n’est pas révolutionnaire, son approche graphique est un vrai chamboulement. D’ailleurs le public ne s’y trompe pas. Ce Kashihon s’arrache à plusieurs centaines de milliers d’exemplaires et Osamu Tezuka s’ouvre les portes de la gloire.

Etudiant en médecine, Osamu Tezuka est issu de la bourgeoisie d’Okinawa. Passionné de cinéma, il est amateur à la fois des travaux des studios Disney et des mangas d’Ippeï Okamoto et Rakuten Kitazawa. Double culture qui se retrouve dans son travail : avec son trait en rondeur, ses personnages aux grands yeux et l’expressivité des visages, on retrouve l’influence des studios américains (Michey Mouse et Astroboy ont étonnement un air de famille). Mais, l’apport majeur de Tezuka est son découpage. En effet, s’inspirant du cinéma, il impose un nouveau style. Quand Kitazawa donnait un rythme linéaire à ses histoires, Tezuka n’hésite plus à jouer sur la temporalité. Tournant autour d’une scène, présentant tous ces aspects, il donne un nouveau rythme aux histoires et rompt avec ses aînées.

Tezuka comprend vite la puissance de ce nouveau média qu’est la télévision. En 1952, il dessine le personnage d’Astroboy (Astro le petit Robot). En 1962, il créé sa propre maison de production « Mushi Prod » et développe la première série anime (animation japonaise) de l’histoire. Succès immédiat et international. Cependant en 1971, Mushi Prod fait faillite.

L’influence de Tezuka est énorme sur les auteurs de magazines de sa génération. Il s’installe à la villa Tokiwa en 1952 en compagnie de plusieurs autres jeunes auteurs. Parmi eux Leiji Matsumoto ou Shotaro Ishinomori. Le fonctionnement est digne d’un dojo d’art martiaux, avec un maître et des élèves. On verra tout au long de l’histoire du manga, l’influence, notamment graphique, de Tezuka. Au point qu’elle constitue, malgré des évolutions de dessins, une quasi convention.

Mais cette convention ne convient pas à tous les auteurs.

Yoshihiro Tatsumi et le mouvement alternatif

Yoshihiro Tatsumi n’est pas le plus célèbre des auteurs de manga. Loin de la lumière d’Osamu Tezuka, il représente une part d’ombre non négligeable dans l’histoire de la bande dessinée japonaise. Non négligeable car essentielle.

Issu des classes populaires d’Okinawa, Tatsumi commence le manga à 14 ans. Il ne bénéficie pas des conditions de vie idéales d’un Tezuka. Il travaille pour vivre et nourrir sa famille. Mais les éditeurs des Kashihon payent peu. Très rapidement, il connaît un petit succès mais son travail ne trouve pas vraiment sa place au côté des mangas de divertissement des magazines de publication. Si son dessin n’est pas vraiment en rupture, ses histoires trouvent leurs inspirations dans les coins sombres de la société japonaise : drames, perversions, crimes, dépressions… Pour qualifier son travail, il utilise le terme Gekiga (image dramatique) en 1957. Tatsumi n’est pas le seul auteur à développer ce genre d’histoires et en 1959, il créé avec 7 autres jeunes dessinateurs l’Atelier du Gekiga (Gekiga Kobo).

Le Gekiga constitue la base du mouvement alternatif des années 1960-1970 et les Gekigaka (auteurs de Gekiga) se retrouvent rapidement dans le magazine Garô, qui constituera jusque dans les années 2000, le principal magazine d’avant-garde. Beaucoup de très grands auteurs (Tsuge, Mizuki, Shiratô…) sont passés par ce magazine. Les années 60, moment charnière de l’histoire sociale mondiale où l’on voit apparaître des mouvements de contestation populaire, constitue la période la plus forte du mouvement. Dans ce contexte arrive Ashito No Joe, l’histoire d’un jeune boxeur issu des classes populaires. Cette série est révélatrice du lien croissant entre le mainstream (le courant grand public) et le courant alternatif. Succès populaire croissant, il témoigne également de l’implantation du manga dans la culture japonaise.

Si le succès commercial du gekiga n’est pas flamboyant, peu d’auteurs s’en réclament encore aujourd’hui, son importance est crucial dans l’évolution du manga. En effet, sans son approche, le manga « grand public » n’aurait peut-être pas intégré des éléments de société dans ses récits et le manga aurait sans aucun doute perdu de son intérêt. D’ailleurs, Osamu Tezuka lui-même a commencé à travailler sur des mangas plus adultes dans les années 70. Influence certaine d’un mouvement alternatif très fort.

2e partie (2) Naissance et épanouissement du manga moderne

L’avènement d’un modèle économique

A l’image du « miracle japonais », la croissance exponentielle du manga dans la 2e moitié de l’ère Showa (1945-1989) est basée sur un modèle économique fort. Le manga repose sur le magazine de publication. En effet, dans les années 50, le niveau économique des japonais s’améliorant, les librairies de prêt disparaissent pour laisser la place aux publications mensuelles et hebdomadaires. Ces périodiques ont chacun un public cible. Avec le baby-boom d’après-guerre, les éditeurs cherchent à toucher principalement les enfants et plus particulièrement les garçons (qui reçoivent plus d’argent de poche que les filles). Avec le temps, le public vieillissant, un panel plus large s’offre aux lecteurs.

Voici le parcours typique d’une histoire dans le magazine Weekly Shonen Jump. On constate que la réussite ou non d’un récit est lié à deux choses : l’intérêt de l’éditeur pour l’histoire et l’adhésion du public. Ces deux éléments ont donc une importance croissante sur le processus créatif.

Pour une publication hebdomadaire, un rythme soutenu de plus de 20 planches par semaine est demandé. Evidemment, l’éditeur prendra en compte la possibilité ou non pour un mangaka de soutenir ce rythme. Mais dans le cas d’une publication hebdomadaire, le mangaka forme un atelier. Ce dernier se concentre sur l’histoire, le découpage, le design des personnages et laisse à des assistants les petites tâches (décors, trames, dessins secondaires).

Ce système reproduit un atelier de maître/élèves et permet au mangaka souvent plus âgé de transmettre ses connaissances et savoir-faire.
D’un autre point de vue, on constate avec intérêt, si on tient compte en plus de la liberté dont bénéficient les mangakas par rapport à la censure, que le récit prend une place centrale. Bien plus importante qu’un dessin dont les détails sont laissés aux assistants. Chaque semaine ou chaque mois, le lecteur doit avoir envie de revenir lire son histoire. Ainsi, on voit une différence – et donc une grille de lecture différente – fondamentale entre le manga et la bande dessinée européenne. Si la BD est principalement un art graphique en Europe, le manga est avant tout une façon de raconter une histoire. D’où des incompréhensions fortes chez un lecteur européen qui ne voient dans le manga qu’un dessin formaté.

Cependant, ce modèle reste un modèle grand public et ne prend pas en compte des pratiques parallèles comme le dojinshi (fanzine amateur), les auteurs professionnels alternatifs ou même des mangakas préférant le travail solitaire. De plus, le modèle des ateliers n’est pas spécifique au Japon. En Europe, des auteurs comme Franquin, Uderzo ou Hergé ont eu ou ont été à l’époque des assistants. Edgar P. Jacobs, créateur de Blake et Mortimer travailla sur les décors de certains albums de Tintin.

Jusque dans les années 1990, on constate la réussite énorme de ce modèle. En 1997, on compte plus de 200 magazines dont certains dépassent largement les millions d’exemplaires. (6,5 millions pour le Jump en 1994). En France, on atteint péniblement les 20. De plus, ces magazines couvrent l’ensemble de la population japonaise dans un maillage éditorial très élaboré.

Les découpages éditoriaux

Shonen, Shojo, Seinen, Josei, Yuri… Bien souvent on utilise abusivement ces termes pour parler de « genres » de manga. Or, il est bien moins question de genres que de découpages par âges, sexes voire catégories professionnelles, décidés par des éditeurs.
En bibliothèque, cette classification permet de connaître le public destinataire. Cependant, il est important de se rappeler quelques détails.

  • Tout d’abord, par la nature même du manga (un art du récit) le dessin n’est pas un signe clair de distinction des genres. Il est important de ne pas se fier uniquement aux apparences.
  • Ensuite, il faut prendre en compte les décalages culturels (notamment sur le rapport au corps) entre Japon et Europe. D’autant plus que les éditeurs ont souvent tendance à simplifier leur classement. Si l’histoire originale est parue dans un magazine pour ado, il sera considéré comme un manga pour ado. Ce qui n’est pas toujours le cas. Ainsi City Hunter (Nicky Larson en français) est considéré comme un Shonen (pour ados garçons).
  • Enfin, les termes shojo, shonen etc… regroupe des tranches d’âges parfois larges. Certains shojo pourront correspondre à un public 14-20 ans alors que d’autres seront destinés à une tranche 8-12 ans.

Pour autant, le manga possède de vrai « genre » comme le Mecha (Robot), le sport ou le Jidaïmono (manga historique de sabre), le thriller, l’enquête, le cyberpunk, l’horreur… Si certains sont spécifiques à un public, ces genres peuvent être transversaux.

3e partie : de l’âge d’or à la crise

1970-1989 : apogée du manga moderne

L’éclosion de la deuxième génération de mangaka coïncident avec l’explosion du manga dans le monde. Cette génération de baby-boomers a souvent bénéficié des avancées des auteurs d’après-guerre et a appris son métier dans les ateliers de ces derniers. Venant de l’animation ou du manga papier, ils connaissent les codes, les genres et sont encore marqués par l’échec des luttes sociales des années 60.

Nous prenons le parti de résumer cette génération à 3 noms : Akira Toriyama, Katsuhiro Otomo et Riyoko Ikeda.

Riyoko Ikeda est la plus célèbre représentante des Fleurs de l’An 24 (née en 24 de l’ère Showa soit 1947… comme le manga moderne). Un groupe de femme qui a donné ses lettres de noblesses au Shojo. Même si on attribue à Tezuka, la création du Shojo avec Princesse Saphir, il faut constater que dans la Rose de Versailles (l’histoire de Marie-Antoinette) elle pose tous les codes graphiques et narratifs du manga pour filles. Véritable succès, ce manga fleuve est considéré aujourd’hui comme un classique incontournable.

De son côté, Akira Toriyama représente la réussite. Créative et commerciale. De 1984 à 1995, Dragon Ball puis Dragon Ball Z incarne le manga à travers le monde. 350 millions d’exemplaires vendus, une série d’animation, des jeux vidéos, des films et des milliers de produits dérivés pour cette série d’arts martiaux qui inspire encore les plus grands succès du manga (One piece, Naruto ou Fairy Tail…).

Mais l’œuvre majeure du manga contemporain est signée Katsuhiro Otomo. Pour simplifier, et si vous avez réussi à lire l’ensemble de ce texte de formation depuis de le début : comprendre le manga d’avant 1990 passe par une lecture attentive d’Akira.

En effet, à travers l’histoire de cette bande de jeunes motards confrontés à un phénomène inexpliqué dans une société en autodestruction, Katushiro Otomo intègre plusieurs dizaines d’années d’évolution du manga contemporain : on retrouve les quatre grandes thématiques présentent depuis l’après-guerre. Outre une rupture avec l’héritage graphique de Tezuka, Otomo injecte, comme a pu le faire le gekiga dans les années 50, une vision particulièrement réaliste de sa société. Loin du miracle Japonais, il décrit une société en perte de repère, au bord de la rupture. En 1990, Akira se termine. Le long métrage tiré de la série est un succès international. En 1990, l’éclatement de la bulle économique asiatique fait des ravages dans la société japonaise. De là à y voir une œuvre visionnaire…

3e partie (2) de l’âge d’or à la crise

Akira et Dragon Ball conquièrent (difficilement) la Gaule

Les années 80 sont assurément un âge d’or pour l’industrie culturelle japonaise. C’est l’aboutissement d’une politique de conquête et de transmission du savoir-faire. A la même époque, Hayao Miyazaki et Isao Takahata créent les studios Ghibli. L’animation mondiale va bientôt connaître sa vague japonaise. En France, si le manga papier ne connaît pas tout de suite le succès – avec des échecs successifs nombreux – c’est bien par la télévision que les japonais vont conquérir la Gaule.

Génération Récré A2 ou Club Dorothée… C’est souvent comme cela qu’on appelle cette génération d’enfants ou d’adolescent qui a vu apparaître les premiers animes à la télévision sur les chaines publiques ou privés. D’Antenne 2 à La 5 en passant par TF1, ces animes étaient diffusés en boucle : Le Roi Léo (qui inspirera fortement Le Roi Lion de Disney), Goldorak, Candy, Albator, Jeanne et Serge, Les Chevaliers du Zodiaque sont presque tous sont l’adaptation de manga papier.
Cependant, cette arrivée massive de dessin animé japonais produit parfois à moindre coût n’était pas sans provoquer des irritations dans la société française. Parfois à juste titre. Le décalage culturel n’était pas toujours pris en compte : passer Ken le survivant, seinen hyperviolent où les corps et les têtes éclatent sous des coups d’arts martiaux le mercredi à 16h manquaient de pertinence et vaut encore au manga un certain nombre de clichés.

Cependant, les habitudes étaient prises et quand Jacques Glénat revient du Japon en 1990 avec Akira, le succès critique est au rendez-vous. D’un point de vue économique, l’édition en fascicule couleur traduite de la version américaine, n’est pas vraiment une réussite. Mais les professionnels et le public est prêt. En 1993, Dragon Ball, cette fois traduit directement du japonais, se vend à 1,5 millions d’exemplaires. Entre la série télévisée et le manga, c’est une réussite. La suite est une explosion de chiffres. En 11 ans (1994-2005), on passe de 2 séries éditées à plus de 40% de l’édition de bande dessinée en France (soit environ 2000 mangas). La France devient le 2e importateur mondial en chiffres, premier en rapport population/ventes.

On constate une vraie rupture de génération. Le lecteur type du manga étant le jeune de 11 à 20 ans. Les premières générations de lecteurs ont aujourd’hui plus de 30 ans. Quant à l’impact, il suffit de voir les chiffres de la Japan Expo, grande messe du loisir japonais, pour se convaincre. Le manga au sens large est incontournable : série télé, long métrage, cosplay (déguisement en héros de manga), musique, jeux vidéo…

Artistiquement, malgré les résistances d’une certaine catégorie de défenseurs de la bande dessinée franco-belge, ce qui était encore du manga-camembert il y a 10 ans devient le manfra (manga + français) aujourd’hui. Les jeunes générations d’auteurs européens intègrent les codes graphiques et narratifs du manga. De nombreuses BD à succès s’en nourrissent.
Sans même parler du travail de fond d’un auteur/éditeur comme Frédéric Boilet qui, depuis 20 ans, travaillent à la connaissance et à l’échange culturel autour du manga en France.

Comment expliquer ce succès auprès des jeunes?

Si la réponse à cette question est difficile, voici plusieurs tentatives d’explication:

  • Le coût : moins de 8 euros pour un manga de 200 pages (+10€ pour une BD de 50 p.)
  • Le rythme de parution : 1 manga tous les 3 ou 6 mois contre 1 BD par an
  • Le transport : plus facile à emporter avec soi grâce à sa taille poche
  • Des histoires plus dynamiques : on le répète, le manga est un art du récit. Les mangakas savent accrocher leurs lecteurs sur plusieurs dizaines voire centaines de chapitres. De plus, les sujets sont variés et peuvent aller beaucoup plus loin qu’en BD européennes.
  •  Le dessin : facile, dynamique, plus facilement copiable que celui de la BD
  • Le contrepied de la génération précédente : ne pas sous-estimer le fait qu’on ne veut pas lire la même chose que ses parents

3e partie (3) de l’âge d’or à la crise

Le manga en crise ?

Depuis le début des années 2000 au Japon et 2010 en France, on constate cependant un net ralentissement des ventes. Pourquoi ? Il y a quelques explications mais peu de véritables réponses.

Les grandes séries ? Les ventes en France reposent sur 3 titres phares depuis plusieurs années : One Piece, Fairy Tail & Naruto. Des séries longues mais qui sont toutes les trois des variantes de Dragon Ball.

Un problème de renouvellement de créativité ? Beaucoup de manga reprennent des références anciennes et ne proposent pas de renouvellement à l’image de ce qui s’est fait dans les années 80. Et n’oublions pas les « modes » qui produisent des séries clones (exemple avec la mode vampire dans le Shojo)

Un secteur alternatif moins influent ? Depuis la disparition en 2002 de Garô, le magazine d’avant-garde Ikki peinent à décoller (30000 exemplaires seulement). Secteur dynamique et créatif par excellence, il connaît donc des problèmes de visibilité.

La concurrence ? A l’image de la lecture dans son ensemble, le manga subit la concurrence des auteurs loisirs culturels (jeux vidéo, internet…)

Dans le secteur de la bande dessiné, la France rattrape peu à peu son retard sur l’édition japonaise… tout en négligeant encore une partie des publications plus confidentielles de la production. Et les super-héros américains, qui ont été les grands perdants de ces années nipponnes, reviennent en force par l’intermédiaire du cinéma.

Alors fin d’une époque ou période de transition ?

Les années vont nous le dire, cependant je partage l’avis de Xavier Guibert sur le rôle des éditeurs dans l’évolution du manga en France. La richesse éditoriale et l’arrivée en Europe d’œuvres de références encore non traduites pourraient changer la donne. Cette réflexion peut également s’appliquer à l’offre en bibliothèque.

Une conclusion ?

Cette partie n’était pas dans la formation, il s’agit plus d’une réflexion personnelle autour du sujet.

Se poser la question de l’intérêt d’avoir du manga en bibliothèque est, pour simplifier, aussi absurde que de se poser la question de la présence du rap. On l’a vu, le manga est au centre de véritables pratiques culturelles parallèles. Reste aujourd’hui la question de : « qu’est-ce qu’une bibliothèque doit apporter dans l’offre ? » Je n’ai pas la réponse sinon que mon orientation personnelle – qui n’est pas celle d’un bibliothécaire de petite voire minuscule structure – est de se poser la question de la construction d’un fonds de base, proposant les grands auteurs, les formes intéressantes et surprenantes. Pas seulement les produits formatés dont sont victimes nos amis libraires. Mais pour cela, il faut connaitre son sujet. Et quand j’entends des bibliothécaires responsables BD faire des acquisitions sans avoir de connaissance sur ce fonds… Je m’étonne.

Ensuite, d’un point de vue personnel, cette formation a réussi à mettre des mots sur des sensations de lectures que j’avais pu ressentir : les grandes thématiques, la prépondérance du scénario et surtout, une histoire qui ne se résume pas à une simple industrie culturelle. De quoi me remettre (et vous remettre peut-être aussi) les idées en place sur le sujet. Quand je lis un article chez un blogueur que je ne citerais pas évoquant l’idée qu’il n’y a pas vraiment de grands auteurs en mangas, je défaille un peu et m’agace beaucoup.

Lutter contre les préjugés, ça marche aussi pour les bédéphiles amateurs. J’espère que ce texte, un peu trop long je m’en excuse, aura pu vous permettre de jeter des premières bases de réflexion. Après, libre à vous de contester mon approche et mon propos, je suis ouvert au dialogue.

Pour finir, dans ce travail j’ai principalement utilsé trois sources : Histoire du manga de Karyn Poupée, Manga : histoire et univers de la bande dessinée japonaise de Jean-Marie Bouissou et les excellents articles de Xavier Guibert sur Le manga en France (du9) et  Le Manga et son histoire vus de France : entre idées reçues et approximations.

Ce ne furent pas les seules mais ces trois-là sont essentielles.

A voir : le support diapo en intégrale (possibilité de téléchargement)

Chroniques BD

Chronique | City Hall (Guérin & Lapeyre)

Dans un Londres uchronique aux allures steampunk, comprenez le genre qui mélange fantasy et révolution industrielle, le ministre des finances est assassiné d’une façon bien étrange. Immédiatement, Carlton Lester, chef de la police, est sur place. Quand il découvre une feuille de papier accroché au cadavre, c’est la panique. En effet, dans ce monde, tout ce qui est écrit sur du papier prend vie… et il semble qu’un malfaiteur ait découvert ce secret. Aussitôt, le maire de Londres fait appel à deux jeunes auteurs de e-books, Jules Verne et Arthur Conan Doyle.

Manga + France

Manfra… mot-valise utilisé depuis 2006 pour évoquer le manga à la française ou, si vous préférez, la bande dessinée européenne à la japonaise. On a parlé également de manga-camembert. Terme un peu moins flatteur. Mais à cette époque, la bande dessinée japonaise était le diable envahisseur incarné, et donc encore assez minoritaire dans la création européenne… en tout cas pour le grand public. Évidemment, de nombreux cas démontrent le contraire : Frédéric Boilet pour son travail d’éditeur et de créateur (L’épinard de Yukiko…), Jean-David Morvan dont la série Sillage a clairement des influences japonaises, Vanyda avec son trait « asiatique »  notamment dans L’immeuble d’en face, et bien entendu le monument Moebius qui a joué le jeu de la collaboration avec Taniguchi pour Icare.

Progressivement, la nouvelle génération d’auteur a intégré un certain nombre de codes, surtout graphiques, de la bande dessinée japonaise. Il suffit de voir le succès en médiathèque de livres pratiques sur « Comment dessiner un manga » pour s’en persuader. Après tout, à force de lire des bandes dessinées japonaises, et pour certains adolescents presque exclusivement de la bande dessinée japonaise,  il fallait bien que ça arrive. Et dire que les années 2000 ont été le point d’orgue de la vague manga est un doux euphémisme. Nés en 1978 et 1979, Rémi Guérin et Guillaume Lapeyre sont de cette première génération à avoir connu les animes et autres « japoniaiseries » comme disaient leurs (et les nôtres aussi) parents.

Pour autant, City Hall est-il un manga ? Oui… presque. Cette série intègre les codes narratifs du shonen manga et plus particulièrement du type Nekketsu. Pour simplifier : amitié, pouvoirs magiques, lutte contre les forces du mal et en filigrane la recherche de l’image du père sont les éléments principaux de cette série.

Horripilant fan service

Graphiquement, même combat. Malgré des visages plus carrés, un souci du détail sans doute plus abouti (décors, vêtements, visages, combat parfois au détriment d’une certaine visibilité…), nous sommes clairement dans une construction et un découpage manga. D’ailleurs, j’ai même été désorienté par la lecture européenne… de gauche à droite.

On retrouvera même le fameux fan service qui permet le soupçon d’érotisme nécessaire pour accrocher les lecteurs à certaines pages. D’ailleurs je souhaiterai faire un petit aparté à ce sujet. Récemment, un débat a fait rage sur le sexisme de la communauté geek.  La bande dessinée est un élément important de cette culture populaire (avec le JDR, les jeux vidéos…). Sexisme ou pas, je me demande quand même en voyant les tenues légères des personnages féminins de City Hall quel est l’intérêt en terme de narration ? Certes, cette série n’arrive pas à la cheville de certaines de ses consœurs  mais peut-on m’expliquer pourquoi une femme d’action comme Amelia (la figure féminine principale du récit) a-t-elle besoin d’avoir un pantalon taille-basse moulant et d’un petit débardeur mettant en valeur des formes généreuses ? Est-ce que ça arrête les balles ? Pourquoi, l’autre personnage féminin (dont je ne dévoilerai pas l’identité ici) est-elle simplement habillée comme une super-héroïne marvel  ? Quand on compare les personnages masculins, habillés tous comme des bourgeois londoniens de la fin du 19e, on se demande vraiment l’intérêt. On me parlera de rupture au côté « pépère » des personnages masculins. Je reste sceptique.

Il faudrait peut-être prendre conscience de ce côté un peu malsain (sans jeux de mots) de l’évolution de la bande dessinée grand public. L’industrie du manga, au même titre que le comics ou certaines branches de la bande dessinée européenne (je ne vous ferais pas un dessin), n’est pas forcément un exemple à suivre sur ce sujet.

Spécificité du manga français ?

Tout cela est d’autant plus dommageable que les auteurs de City Hall, tout en s’inscrivant dans le genre manga, ont réussi à proposer un récit particulièrement original. Comme je suis un petit malin, vous avez remarqué mon « presque » tout à l’heure. Oui je suis machiavélique, je sais !

Ce « presque » est la nuance qui donne tout son caractère – et sa réussite – à cette série. Globalement, il me semble difficile pour un européen de faire un vrai manga tant le genre repose sur une histoire du média particulière et complexe. Mais l’inverse est vrai également. Les mangakas faisant évoluer leur récit dans un milieu européen n’arrivent pas forcément à intégrer l’environnement. Je pense par exemple à Monster qui se déroule en Allemagne.

En revanche, réussir à intégrer sa propre culture dans un genre différent pour créer une forme hybride est un travail intéressant. Avec City Hall, il me semble que cet objectif commence à être atteint. En prenant pour personnages principaux et secondaires des auteurs classiques de la littérature européenne (Jules Verne, Arthur Conan Doyle, Georges Orwell…), en insérant constamment des références aux grandes œuvres, en intégrant les codes du « polar », en jouant également sur le débat – et la peur inhérente – du développement de la lecture sur support numérique, bref, en prenant en compte leur héritage et leur environnement culturel, ils ont ainsi créé un « vrai » manfra, pas une pâle copie d’une énième série japonaise.

On pourrait développer le côté lecture numérique mais ma chronique est déjà bien trop longue. Comme quoi, il y a beaucoup à dire sur cette série. City Hall est passionnant à plus d’un titre. Tout d’abord par le scénario bien pensé de son premier cycle, ensuite pour ce côté hybride qui en fait une œuvre à part, enfin parce qu’il est peut-être la réponse à une édition manga qui s’essouffle. Je regrette simplement ce côté fan service sexiste qui ne sert jamais vraiment le récit. Mais City Hall est une très bonne série à découvrir !

A découvrir : le blog officiel

City Hall (3 volumes, série en cours)
Scénario : Rémi Guérin
Dessins : Guillaume Lapeyre
Editions : Ankama, 2012 (7,95€)

Public : Ados
Pour les bibliothécaires : enfin, un manga français qui tient la route !

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