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Chroniques BD, Recommandé par IDDBD

Chroniques | The Wire (David Simon) / The Grocery (Singelin & Ducoudray)

C’est l’histoire d’une ville en proie à la criminalité, à la violence et à la drogue. C’est l’histoire d’un quartier, au milieu de cette ville. C’est l’histoire d’anonymes ou de puissants qui se battent pour régner ou simplement survivre. Bref, d’une série télé à une bande dessinée, bienvenu à Baltimore.

Baltimore entre télévision et bande dessinée

C’est la première fois que je tente l’expérience d’une double chronique sur des supports aussi différents qu’une bande dessinée et une série télévisée. Mais l’occasion était bien trop belle pour passer à côté.

Cet été, par le plus grand des hasards, j’empruntais à la bibliothèque les deux premiers volumes d’une série de BD dont j’avais vaguement entendu parler. Très vaguement. Dans le même temps, j’achevais avec bonheur la 5e saison de The Wire (Sur écoute en français). J’étais pris de nostalgie à l’idée de laisser McNullty, le plus écorché vif de tous les policiers irlandais de l’histoire de la télévision américaine. En ouvrant The Grocery, le lien dans mon esprit ne s’est pas fait immédiatement. Pourtant, peu à peu, je retrouvais des détails qui me mettaient la puce à l’oreille : les coins de rue, les vendeurs de drogue, les dealers, les gros 4×4 et cette violence inhérente au milieu. Trop de détails pour n’y voir qu’une simple inspiration. Pas un plagiat mais une vraie continuité. The Grocery, c’est une histoire parallèle dans un monde au graphisme assumé.

A body of an american

Mais je mets les choses à l’envers. Je vous parle de The Wire et du lien avec The Grocery sans évoquer toutes les qualités de cette série. Au début, The Wire est une fiction policière évoquant le combat des policiers de Baltimore contre les réseaux de ventes de drogue. David Simon, ancien journaliste au Baltimore Sun City Desk devenu scénariste, dresse une galerie de personnage dont la grande figure est le fameux McNullty dont je vous parlais plus haut. Alcoolique, divorcé, volage, mais enquêteur surdoué, il est un peu à l’image de ses collègues, sans repère. Au cours des cinq saisons, ce qui semble être une enquête policière se transforme peu à peu en radiographie de la société américaine : politique, argent, journalisme, système éducatif, valeurs… Tout y passe avec cette capacité qu’ont les américains à mettre le doigt sur leurs propres paradoxes.

Comme souvent, cette série signée HBO – chaîne qu’on ne présente plus dans le monde des séries TV avec notamment Game of Thrones ou Six Feet Under – frappe fort avec un réalisme décomplexé. Rien n’est blanc, rien n’est noir, tout est plus ou moins crasseux. Chacun a ses propres raisons pour agir, tous ont des explications et les vrais pourris ne sont pas toujours ceux que l’on croit. C’est violent certes, souvent désespéré, mais l’humour n’est pas absent et parfois la lumière scintille un peu au milieu de ces rues sombres.

Bref, The Wire bénéficie d’un scénario remarquable en même temps qu’une bande originale qui frise la référence absolue, de toute façon quant on utilise The Pogues ça ne peut être que recommandable. J’en profite d’ailleurs pour tirer mon chapeau et rendre hommage à Philip Chevron, guitariste du groupe irlandais et créateur de la mythique chanson Thousand are sailing qui nous a quitté hier.

Sur écoute, saison 4.2

The Grocery, la série dessinée par Guillaume Singelin et scénarisé par Aurélien Ducoudray, s’inscrit donc pleinement dans cet univers. Et je préciserais même un lien réel avec la saison 4, où les réalisateurs avaient fait un focus sur un groupe d’enfants/adolescents.

Mais, il ne faut pas limiter  The Grocery à la série américaine qui l’a inspiré. En effet, les deux auteurs injectent leurs propres éléments pour créer une œuvre propre. Tout d’abord, ils prennent le parti de faire tomber un jeune candide dans ce monde de brutes. Elliott est le fils de l’épicier juif qui vient juste de racheter The Grocery, la boutique du coin de la rue. Il est tout neuf, tout gentil et très intelligent. Lui qui fait des concours d’orthographe, il joue rapidement le rôle de l’intellectuel du coin. Ah oui, j’oubliais. Eliott est une grenouille… d’ailleurs il a même un petit quelque chose d’Ariol, le petit âne d’Emmanuel Guibert. Bref, imaginez simplement Ariol dans une banlieue chaude… Je confirme, ça saigne.

Et pour saigner, ne vous fiez pas du tout au dessin qui peut apparaître au début comme enfantin. Je ne sais pas vraiment si on peut parler d’anthropomorphisme pour tous les personnages mais je crois que le choix est judicieux tant un rendu réaliste aurait pu être insoutenable. Le scénario en effet ne lésine jamais sur la violence réelle et symbolique. Âme sensible s’abstenir !

Peu à peu, de nouveaux personnages entrent en scène : un vétéran de la guerre en Irak qui perd sa maison suite à la crise économique, un rescapé de la chaise électrique, nouveau caïd de la rue, une hispanique en quête de vengeance… Ces histoires singulières forment un tout et donnent une cohérence à l’univers. Tous les personnages sont liés les uns aux autres de près ou de loin, les actions des uns influencent la vie des autres et tous portent des cicatrices et sont prêts à rendre les coups qu’on leur donne. La fin du 2e tome est sans équivoque… Mais je m’arrête là pour ne pas vous gâcher les surprises et les rebondissements nombreux qui ne manqueront pas de vous donner envie d’aller plus loin. Personnellement, j’attends la suite avec une très grande impatience.

A lire : les chroniques de Mo’, de Tristan sur B&O

Et pour finir : ceux qui ont vu The Wire reconnaîtront

 

The Wire (Sur écoute)
créé par David Simon
5 saisons (60 épisodes) 2002-2008

The Grocery (2 volumes – en cours)
Scénario : Aurélien Ducoudray
Dessins : Guillaume Singelin
Editions : Ankama, 2011
Collection : Label 619

Public : Adulte
Pour les bibliothécaires : les séries TV et BD sont indispensables pour une bédéthèque et une vidéothèque de qualité.

Chroniques Cinéma, Recommandé par IDDBD

Chronique d’été #7 | Porco Rosso (Hayao Miyazaki)

Dans l’Italie des années 30, les pilotes d’hydravion sont les maîtres de la Mer Adriatique. Parmi eux, le nom de Porco Rosso plane au-dessus de tous les autres. Chasseur de prime impitoyable refusant de tuer, ancien militaire devenu pacifiste, il habite seul sur son île et n’a qu’un seul plaisir : entendre chanter sa belle amie Gina dans son hôtel-restaurant au milieu des flots. Mais à force de narguer les pirates de l’air, ces derniers trouvent une solution pour se venger.

Je ne pouvais terminer cet été spécial animation sans parler du film d’Hayao Miyazaki. J’avais l’embarras du choix. De Nausicaa de la vallée du vent à Le Vent se lève sortie en 2013 (mais pas encore chez nous), le cofondateur des studios Ghibli a marqué profondément l’histoire de l’animation. Cependant, parmi ses multiples œuvres, j’attache une tendresse plus particulière à Porco, peut-être l’un de ses films les moins reconnus. A tort.

Car il représente un moment charnière de la carrière d’Hayao Miyazaki. A sa sortie en 1992, Porco Rosso succède à 3 films destinés à un jeune public : Le château dans le ciel, Mon voisin Totoro & Kiki la Petite sorcière. Ce nouveau long métrage se place immédiatement en rupture. Outre le fait qu’il soit marqué dans le temps et l’espace (ce qui n’est pas le cas des précédents… et des suivants), il bénéficie d’un scénario et d’un personnage beaucoup plus sombres. D’ailleurs, avec Princesse Mononoke, Chihiro ou Le Château Ambulant, Miyazaki a continué de creuser le sillon d’une approche beaucoup plus adulte. Il faut attendre Ponyo pour retrouver l’âme d’enfant de Kiki ou Totoro.

Attention, je n’ai pas écrit que l’innocence et la joie enfantine qui inondent l’œuvre de Miyazaki n’étaient pas présentes. On sourit beaucoup dans Porco Rosso. Entre les pirates et les fabuleux personnages féminins qui ponctuent le récit, on ne s’ennuie pas. Mais il faut reconnaitre que Marco, alias Porco Rosso, est nostalgique, taciturne, solitaire et plutôt renfermé. Il a de quoi. Transformé en cochon par un phénomène inexpliqué, il traine son spleen, ses espoirs et ses souvenirs aux quatre coins du ciel. Car, même laid et difforme, Marco reste l’artiste des pilotes d’hydravions. Ni avions, ni bateaux, juste entre les deux mondes… comme ce héros très complexe à la part d’ombre marquée. Sans aucun doute le premier de ce genre chez Miyazaki. Évidemment, le film se veut être comme souvent, une fable humaniste, qui va, on le devine sans peine, faire sortir le cochon de sa grotte (pas sûr que les cochons vivent dans des grottes mais peu importe, vous avez compris la métaphore). Comment ? Et puis quoi encore ?!

Alors ensuite évidemment, on retrouve la patte des amateurs du réalisateur : cette façon merveilleuse et tendre de présenter ces grands machines volantes (son papa était le directeur d’une société d’aviation…), ces paysages et ces plans magnifiques qui ponctuent les passages aériens et toujours cette propension à combattre toutes formes de manichéisme. Les gentils sont gentils mais profitent au besoin, les méchants sont méchants mais bon, pas trop quand même car finalement… Au bout du compte, la vie n’est pas si noir, le ciel est bleu et la mer est belle… Au moins autant que les femmes.

Voilà, je termine l’été d’IDDBD sur cette phrase qui ne conclue pas trop mal notre série consacrée au film d’animation. Je me suis bien amusé, j’espère que vous aussi. Allez, la rentrée approche, je m’en vais préparer ma nouvelle chronique BD… Mais, mais, mais… les images ne bougent pas !!!! A l’aaaaiiiiidddddeeee !

A lire : la chronique de Bidib sur le blog Ma Petite Médiathèque (très bon pour les amateurs de culture japonaise)

Et évidemment la bande annonce

 

Porco Rosso
un film de Hayao Miyazaki (Japon, 1992)
Public : Tout public

Chroniques BD, Recommandé par IDDBD

Chronique | Les Noceurs (Brecht Evens)

Ce soir, Gert organise une soirée chez lui. Les invités arrivent, tous attendent la venue de Robbie. Robbie est LA star des nuits de la ville, LE type incontournable. Robbie fascine les foules, séduit les femmes et est copié par les hommes. Mais Robbie tarde à venir. Quant à Naomi, elle prépare sa soirée…

Fascination et témérité

Outre le fait d’avoir pu retrouver les amis de KBD à Angoulême cette année, la chose pour laquelle je n’ai pas regretté le déplacement a été sans aucun doute l’exposition consacrée à  La Boite à Gand et en particulier au travail de Brecht Evens (souvenez-vous), prix de l’audace en 2011 pour Les Noceurs. Comme je vous l’avais expliqué, j’ai été surpris par ces dessins constitués de couches successives s’empilant les uns sur les autres sans jamais se mélanger et formant pourtant un tout. J’ai été troublé par l’atmosphère spéciale émanant de cet univers. Finalement, je suis sorti complètement séduit graphiquement tout en me demandant si cette bande dessinée-là n’était pas finalement bien trop conceptuelle pour mon petit cerveau.

Bref, en terme diplomatique, j’avais juste un peu peur de m’ennuyer dans les mêmes proportions que lors d’une projection d’un film documentaire de 1933 de Dziga Vertov en russe sous-titré en anglais juste après le repas (c’est du vécu, si, si !). La qualité est là mais qu’est-ce qu’on… Bref, c’est dire si j’avais une certaine appréhension quant à l’entame de ce livre.

Sens du trait

Et bien non.

Je me suis retrouvé quelques mois plus tôt dans la salle d’exposition, retrouvant cette même fascination, cette sorte d’hypnose qui m’avait scotchée devant plusieurs tableaux. Même imprimé, le travail de Brecht Evens reste un moment d’étonnement presque enfantin. Coup de chapeau aux imprimeurs car la qualité de l’impression est indéniable. Son dessin, loin des canons académiques qui veulent que les personnages soient reconnus à leurs visages, est parfaitement adapté à l’atmosphère de son histoire. Des halos de couleurs qui forment des silhouettes, des traits pour en faire des visages humains et nous voici dans ce monde.

Car à l’image d’une œuvre comme Cages de Dave McKean, l’intérêt de cette œuvre n’est pas spécialement dans l’articulation habituelle scénario/dialogue/dessin. L’univers graphique développé par Brecht Evens au fil de ses pages est si présent, si fort de signification qu’il laisse des miettes à des dialogues dont on pourrait presque se passer. Dans les Noceurs, la place n’est pas donnée aux mots mais aux traits, parfois innombrables, parfois unique. Ils sont autant de sensations, autant d’expression du message. Car, même si l’auteur s’amuse à casser les codes habituels de la narration en bande dessinée – notamment par la multiplication de planches complètement déstructurées du point de vue de la lecture – l’album est pensé avec une grande justesse.

Carnaval de nuit

D’ailleurs, la couverture est à l’image de cet album, c’est à la fois un flot continu de perceptions contradictoires (malaise, sensualité, onirisme, perte de repères, excitation, folie…) et une progression constante vers un but. Brecht Evens ne raconte pas une histoire dans ce livre, il expose un monde. Un monde parallèle, nocturne, presque fantasmagorique, qui nous apparaît dans toute sa démesure et qui colle parfaitement au graphisme de l’auteur. D’un petit appartement où l’on attend en s’ennuyant, à la boite branchée, temple de la religion nocturne, on découvre le petit peuple des Noceurs, une société divisée en classe.

Le chef est Robbie le magnifique, nimbé de bleu, chef incarné, légende nourrit de mille anecdotes. A ses bottes, arrive la multitude, la cour cherchant la lumière auprès de leur Roi. Puis, les non-initiés symbolisés par la candide Naomi, jeune femme en rouge du petit peuple, découvrant ce monde. Et enfin, Gert, le loser, l’exclu aux traits verdâtres qui ne comprend rien, ni à lui-même, ni aux autres. Pourtant, il est l’ami intime du chef… Mais connaît-on vraiment les légendes ?

Au bout de l’histoire, on se pose la question de la signification de cet album. Y’a-t-il un message ? Sans aucun doute. Mais la grande force de cette « histoire-qui-n’en-est-pas-vraiment-une-ou-enfin-si-mais-non » est de laisser toute sa place aux lecteurs. Étrangement, il est facile de se glisser dans ces personnages silhouettes. Paradoxalement, ils ont beaucoup d’humanité. Finalement, le lecteur prendra la place qu’il souhaite dans cet espace, comme un jeu de rôle. Chacun aura une réponse, chacun sera marqué, car chacun a connu un jour où l’autre ce monde de la nuit où les normes et les valeurs changent… A Paris, Gand ou Tokyo, les Noceurs sont là… silhouettes dans la nuit.

A lire : les chroniques enthousiastes chez Mango et Littérature graphique
A lire (aussi) : la chronique moins enthousiaste de Legoff, compère de KBD
A voir : la fiche album sur le site d’Actes Sud

Les Noceurs (one-shot)
Scénario et dessins : Brecht Evens
Traduit du néerlandais par Vaidehi Nota & Boris Boublil
Editions : Actes Sud, 2010 (22€)

Public : Adulte
Pour les bibliothécaires : un auteur à moitié fou qui vous dézinguera votre rayon roman graphique. Indispensable !

Chroniques BD, Recommandé par IDDBD

Chronique | Un Printemps à Tchernobyl (Lepage)

2008, un groupe d’artiste se rend en Ukraine : direction Tchernobyl. Tchernobyl, le nom évoque la plus grande catastrophe nucléaire de l’histoire du XXe siècle, la mort et le danger invisible, la zone interdite, l’enfer sur terre… Bref, tout sauf un lieu de visite. Et pourtant, Emmanuel Lepage s’y rend avec son œil d’artiste, la grâce de son dessin et son lot de peurs. Un album fort à la fois terrifiant et riche d’enseignement.

Voyage en enfer ?

A l’image d’un Jean-Pierre Gibrat, Emmanuel Lepage est un artiste faisant le pont entre la bande dessinée  d’auteurs et la BD grand public réaliste. Ses albums de fiction se situent dans une réalité palpable, marquante, touchante. Son dessin est également l’un des plus impressionnants de la BD européenne car ses compositions de cases et de planches sont toujours remarquables. Et dans cet album, alternant paysage de campagne, friche industrielle et urbaine, il exerce la pleine mesure de ses capacités avec des dessins superbes (l’image de cette couverture), alternant nuances de gris et couleurs éclatantes.

Si Un Printemps à Tchernobyl est l’histoire d’un voyage, il est bien plus qu’un simple carnet d’illustrations. Dans cet album, Emmanuel Lepage donne une marque de confiance rare à son lecteur en le laissant complément pénétrer dans ses pensées personnelles. Dans une première partie, après une introduction et la présentation didactique de l’histoire de Tchernobyl (nécessaire pour beaucoup d’entre nous), il raconte les préparatifs de son voyage. Il y fait étalage de ses angoisses, de la peur de ses proches, de ses difficultés personnelles avant le départ. Comme un symbole, quelques mois avant le départ, il n’arrive plus à dessiner à cause d’une douleur à la main. Même si ce passage m’a semblé un peu long, avec le recul, il plante les graines qui permettront, par contraste, de mieux comprendre les évènements de ce voyage. On ne va rien dévoiler ici mais clairement, Un Printemps à Tchernobyl raconte beaucoup plus qu’une résidence d’auteur dans la région d’une centrale nucléaire, c’est une sorte de quête spirituelle, une aventure humaine et profonde qui ne trouve toute sa force qu’en toute fin d’album…

Regards sur zone

Mais avant cela, Emmanuel Lepage montre : pénétrer dans la zone interdite, voir « le monstre », la centrale éventrée et son cercueil de béton, le compteur qui monte en flèche dépassant au bout de quelques instants le seuil limite de tolérance. L’horreur d’une réalité. Mais il ne s’arrête pas là. Il montre le no man’s land d’une trentaine de kilomètres autour de la centrale, il montre les villes et villages abandonnées, les terres souillées par la pollution invisible et mortelle de la radioactivité. Il montre parce qu’il est là pour ça. Comme un témoin pour ceux qui ont peur, pour ceux qui ne peuvent pas s’y rendre. Un printemps à Tchernobyl est aussi un témoignage rare d’une réalité dure qui pose une simple question : quelle vie après un accident nucléaire ? La réponse est surprenante car la vie existe encore avec ces forêts lumineuses et belles, ces lacs, cette nature presque normale… Presque, car c’est une nature dénaturée et traitresse créée par les humains et qui peut les consumer à petit feu. Ces humains justement, Emmanuel Lepage les montre aussi. Ils sont simples, comme vous et moi. Ils souffrent mais sont attachés à une terre souillée… Leur terre.

Entre les lignes, cet album ne fait pas que montrer. Il interroge évidemment sur la question du nucléaire dans notre production d’énergie. Alors jeu de roulette russe ou vraie maîtrise du sujet ? Au vu de cet album j’ai bien ma propre idée. En tout cas, Emmanuel Lepage signe simplement un album essentiel très injustement oublié par la sélection du festival d’Angoulême. Album profond, fort, terrifiant, humain et citoyen. Essentiel tout simplement.

Pour rebondir : les chroniques de Zorg & Mo’

Un printemps à Tchernobyl (one-shot)
Scénario et dessins : Emmanuel Lepage
Editions : Futuropolis, 2012
Public : Ado-adulte
Pour les bibliothécaires : Lire la dernière phrase de ma chronique.

Chroniques BD, Recommandé par IDDBD

Chronique | 3 grammes (Jisue Shin)

En 2006, Jisue Shin est heureuse. Elle a 26 ans, la vie devant elle, un boulot d’illustratrice qui l’enchante et un petit ami adorable. La vie est belle. Mais un jour, elle remarque que son ventre a inexplicablement grossi. Après une série d’examen, le diagnostic tombe : cancer des ovaires. Première chronique BD de l’année sur un manhwa sensible et chargé d’espoir. Une petite réussite.

Carnet de voyage intime

3 grammes ce n’est rien au fond. Une plume, quelques grains de sucre. Mais pour Jisue Shin, c’est le poids d’une tumeur, d’une épreuve, d’un changement de vie. Pour, c’est une bande dessinée d’une très grande qualité.

Son album est un carnet de voyage intime dans le monde à la fois inconnu et commun de cette maladie. Le lecteur suit le récit de ce parcours presque commun. Jisue Shin raconte et se met en scène : sa vie, le doute, le diagnostic, l’opération, les chimios, les cheveux, la famille, les amis, les voisines de chambre, la vie de l’hôpital, les envies d’ailleurs, les petits détails parfois drôles ou tristes… Tout est là et chacun d’entre nous aura malheureusement déjà lu ou entendu ces mots ailleurs.

Pourtant, Jisue Shin réussit à nous emmener avec elle dans son parcours par la qualité de son travail. Son dessin est particulièrement épuré mais multiplie les trésors d’inventions graphiques. Je pense notamment à cette remarquable mise en abyme avec ce livre dans le livre. L’album est composé d’une centaine de planches aux formes et aux tons variés. D’une page à l’autre on passe d’un simple coup de crayon noir à des croquis, des pastels, des lavis aux couleurs sombres comme la déprime, à des dessins pleine planche en forme d’apaisement. Tout y passe, tout est beau, tout est là : le talent, l’art de raconter en utilisant le dessin comme expression de l’inexprimable. On aime, forcément, car on y retrouve l’essence même de ce qui fait la force de la bande dessinée.

Au bout du chemin…

Mais, pour moi, la qualité essentielle de ce livre est encore plus simple. Du début à la fin, jamais le lecteur ne doute un instant de l’issu de ce combat. L’espoir, la joie de vivre malgré tout, l’optimisme agréable de cette petite femme rendent ce livre forcement sympathique et porteur de message positif. Le sentiment d’empathie est immédiat et très fort car le personnage en lui-même, ses amis, sa famille inspire immédiatement la joie… paradoxe intéressant au vu du sujet. En tournant les pages, on constate qu’en dressant son autoportrait, elle réussit à trouver les mots et les traits pour rendre son histoire simple et universelle. C’est vrai Jisue Shin est coréenne. Mais elle aurait pu être américaine, suédoise ou russe. Elle aurait pu être vieille également. Elle aurait même pu être un homme.

Pour conclure, je vous invite vivement à lire et à partager ce manwha, bande dessinée coréenne qui sera mise à l’honneur cette année au festival d’Angoulême (je vous ferais un rapport). 3 grammes apportent un regard différent sur la maladie, faite d’espoir et d’optimisme. C’est surtout un album d’une très grande qualité prenant toute la mesure du média bande dessinée. Bref, lecture vivement recommandée.

Pour rebondir : la chronique de Boule à Zéro sur le même sujet
A voir : la fiche album sur le site de Cambourakis
A lire : la chronique d’Yvan

3 grammes (one-shot)
Scénario et dessin de Jisue Shin (Corée)
Editions : Cambourakis, 2012 (22€)

Public : ado/adultes
Pour les bibliothécaires : Très beau témoignage, manhwa d’auteur, intéressant dans un fonds.

Chroniques BD, Recommandé par IDDBD

Chronique | Boule à Zéro T.1 (Serge Ernst & Zidrou)

Comment aborder des sujets difficiles comme la mort ou la maladie quand ils touchent les enfants ? Avec gravité à la manière d’un Cyril Pedrosa ou avec légèreté ou humour comme dans Boule à Zéro. Pari risqué pour le duo Ernst et Zidrou.

Je vous parle d’un temps…

Je crois que je vieillis. Au temps de ma splendeur, jamais au grand jamais je n’aurais enchaîné deux véritables chroniques sur des albums jeunesses. Ou alors c’est la faute de ma douce, bibliothécaire jeunesse de son état, qui m’influence un peu trop dans mes lectures ces derniers temps. Non, j’aime à croire que c’est un hasard qui m’a poussé à ouvrir cet album. Pourtant, graphiquement il baigne dans l’esprit « BD-à-papa » des années 80-début 90. Genre qui m’attire de moins en moins. Même les pseudos de ses auteurs ont un petit goût de madeleine de Proust rappelant l’époque où je lisais les albums Dupuis avec la liste des séries classées par héros à la fin des albums. Entre Tif et Tondu, Poussy, Yoko Tsuno… à l’époque les Tuniques bleues n’avaient qu’une petite dizaine de tomes. Je vieillis, vous dis-je !

Et pourtant, nous sommes pas chez Dupuis mais chez Bamboo. Là encore, vous m’auriez dit il y a quelques années que je ferais des éloges à un album de cette maison d’édition… Mais là, il faut reconnaître le très bon choix de cet éditeur. Soyons honnête et reconnaissons notre mauvaise foi légendaire.

Mais revenons au dessin car Ernst s’inscrit directement dans la mouvance graphique de cette époque plus ancienne par son classicisme absolu dans l’imaginaire humoristique de la BD franco-belge. Même si au premier abord je ne suis plus vraiment amateur de ce genre de dessin, je dois reconnaître son efficacité et surtout la stabilité qu’il apporte dans une histoire tout à fait particulière par son thème et la manière de l’aborder.

Urgences (sans George mais le cœur y est…)

Durant le premier volume de cette série, nous rencontrons une petite héroïne bien particulière. Elle s’appelle Zita, dite « Boule à Zéro ». Cette fille de 13 ans vit à l’hôpital La Gaufre depuis plusieurs années car elle est atteinte d’une leucémie. Ouah ! Mais dans les bandes dessinées de ma jeunesse, les héroïnes étaient toujours fraîches et en forme ! Elles gambadaient dans des petites robes (ou en scaphandre spatial), elle attrapait un méchant, rarement un rhume et au grand jamais une maladie grave.

Quand je vous disais que le scénariste prenait des risques.

Ici, Zita est chez elle. Elle connaît tout le monde et tout le monde la connaît. Ses amis, tous malades également, portent tous des surnoms amusants (Supermalade qui a une maladie rare, Wilfrite le grand brûlé, Puzzle…). Cette année, Zita fête ses 13 ans et parcourt l’hôpîtal entier pour distribuer ses invitations pour sa fête d’anniversaire. Prétexte entendu pour nous faire découvrir le petit monde de l’hôpital, véritable ville dans la ville, et surtout pour enchainer gags et bons mots à la vitesse de l’éclair. Il y a du rythme, on se laisse porter car cette bande dessinée destinée à un jeune public est une vraie réussite. Comme vous avez pu le constater son histoire est très simple et tiens surtout sur le personnage de cette petite fille malade à la fois joyeuse et tourmentée, vivante et pourtant proche de la mort (d’ailleurs la lettre d’introduction à Madame la mort est magnifique). Cette petite Zita, on l’aime pour son caractère et son inventivité. Elle représente bien cette communauté.

Car, ce qui frappe dans Boule à Zéro, c’est cette énergie et cet espoir qui en émanent. Il y a une forme d’attitude positive en même temps qu’une vigilance de tous les instants. Non, ce n’est pas rose mais il y a de la joie quand même. Le message est positif car au-delà de la maladie et de la mort, c’est l’amitié, l’amour, le rire, bref la vie qui ressortent. Zidrou, connut surtout pour son élève Ducobu (et les Crannibales) montrent toute l’étendue de son talent de scénariste dans ce premier volume.

Sélectionné dans les albums de l’été par l’ACBD en 2012, on devrait retrouver Boule à Zéro dans la sélection jeunesse d’Angoulême. Pour moi, un album jeunesse incontournable. Un vrai coup de cœur !

Boule à Zéro, T.1 Petit coeur chômeur (série en cours)
Scénario : Zidrou
Dessins : Serge Ernst
Éditions : Bamboo, 2012

Public : Jeunesse… et adultes
Pour les bibliothécaires : Incontournable. Un album qui dérangera certainement plus les parents que les enfants. A lire et faire lire.

Chroniques BD, Recommandé par IDDBD

Chronique | Paul au parc (Michel Rabagliati)

Dernière étape de nos chroniques de rentrée consacrés aux albums de La Pastèque, voici le dernier opus de la série phare de l’éditeur : Paul au parc de Michel Rabagliati.

La touche québecoise

Depuis 1999 et Paul à la Campagne, l’auteur québécois raconte les pérégrinations de son alter-ego de papier. Cet anti-héros a presque tous les visages de la vie, passant, d’un album à l’autre, du stade de l’adolescent boutonneux à celui d’adulte accompli. Pas vraiment de transition ni même de logique dans cet exercice mais des petites touches qui peignent l’existence sans détour. Des fâcheries aux grandes rencontres, des moments fondateurs aux drames du quotidien, Paul c’est une vie ordinaire raconté d’une façon… ordinaire.

C’est vrai, le dessin de Michel Rabagliati est effectivement très simple mais il n’en demeure pas moins d’une extrême rigueur. Maisons, quartiers, paysages, personnages, tout est graphiquement très cohérent. Un trait souple, des cases aérés, un rythme régulier et une espèce de joie de vivre qui irradie ses pages. Une joie communicative que je trouve assez propre à la bande dessinée québécoise.

Comment ? Les québécois auraient-ils une façon particulière de faire de la BD ? Bonne question. A l’aune de mes lectures récentes (et moins récentes), je me hasarderais à répondre par l’affirmative. Je n’ai pas vraiment d’éléments, juste l’impression d’une réelle fraîcheur due peut-être à une absence totale de prétention, une volonté de prendre la vie avec légèreté et surtout,  une capacité d’autodérision rare dans notre vieille Europe. Résultat, sous couvert d’une fausse légèreté, de nombreuses émotions (positives et négatives) passent dans leurs productions. Personnellement, j’adore.

La vie, la voix

Tout est là. Le dessin de Michel Rabagliati, une sorte de réalisme naïf, s’articule très bien avec l’écriture. Les deux éléments se répondent. Les récits de Paul ont une double voix : celle du souvenir symbolisé par le dessin et les dialogue – que l’on observe – et celle du narrateur, que l’on entend. Oui, on perçoit le son d’une voix à la lecture de ces albums. Que voulez-vous, j’entends la voix off de Michel commenter la vie de  Paul. C’est magique. J’ai l’impression de partager un moment d’intimité, comme si ce livre avait été écrit pour moi. Et puis comment imaginer un narrateur plus fiable ? Michel a vécu la vie de Paul puisque il s’agit d’une œuvre autobiographique. Conteur de sa propre vie, ses histoires frappent par leur fluidité. On passe, comme dans Paul en appartement, de la période des souvenirs à celle du temps présent avec grâce, humour et intelligence. Et toujours cette même recherche de simplicité, toujours cette volonté de nous raconter une histoire comme si elle était la plus extraordinaire du monde.

Pourtant, si on passe en revue les albums, rien ne semble plus ordinaire que cette vie là. Dans Paul au parc, Michel Rabagliati raconte une courte période de sa jeunesse. Il évoque son passage chez les Scouts loin des clichés habituels. Il nous parle des camps d’été, les copains, les éduc’. Et pourtant, nous ne sommes pas dans Martine chez les Scouts ou Scouts toujours. Michel Rabagliati ne se limite pas qu’à ce simple épisode. Il élargit notre horizon en évoquant non seulement sa vie familiale mais aussi la réalité politique et sociale de la vie d’un jeune québécois moyen dans les années 70 : l’arrivée de la télé couleur, les mouvements indépendantistes… et les premières copines. La grande histoire rejoint la petite… comme dans la vraie vie. Résultat, le lecteur perçoit mieux les nuances… et c’est souvent ces détails qui font les belles histoires.

Un seul conseil pour terminer : lisez Paul et soyez heureux !

A relire : la chronique « Les incomparables #1″ consacré à Paul et… Atar Gull.
A voir : l’interview pour l’exposition Paul à Paris (2010)
A parcourir : le site de Michel Rabagliati et la fiche-album sur le site de La Pastèque

Paul au Parc (et tous les autres de la série pendant qu’on y est !)
Scénario et dessins : Michel Rabagliati
Éditions : La Pastèque, 2011

Public : J’aurais tendance à dire tout public sur certains albums mais...
Pour les bibliothécaires : peut-on se prétendre bédéthécaire et ne pas avoir Paul dans ses rayons ? J’en doute. Une série tout simplement indispensable.

Chroniques BD, Recommandé par IDDBD

Chronique | Supplément d’âme (Kokor)

Il est anonyme dans la masse, petit homme rondouillard, chapeau mou et petite valise, marchant dans les rues de Dublin. A première vue, on ne dirait pas qu’il vient de trouver une solution aux problèmes de ce monde. Un hasard, un message sur internet, une chaîne universelle qui grandit, des oiseaux sculptés qui envahissent les édifices, la girafe Sophie et surtout cette question qui résonne partout : qui a sauvé le monde ?

Les belles âmes

Supplément d’âme, dernier né du talentueux Kokor, auteur pour lequel nous ne cachons pas notre admiration, est une œuvre chorale. On commence par entendre la voix de notre héros anonyme, narrateur de cette histoire. Puis s’ajoute celle de Willie, une jolie artiste irlandaise et enfin, arrive Camille Desmoulins, un français venu travailler dans une grande firme internationale, divorcé. Trois voix – et voies – qui semblent bien distinctes au départ. Rien ne semble les lier.

 

Et pourtant, comme à son habitude, Kokor joue avec son scénario et son lecteur dans des pistes qui se croisent, où les éléments s’additionnent et s’enrichissent pour constituer au final une seule histoire. Supplément d’âme est un album construit comme cette fameuse solution pour sauver le monde. C’est une histoire multiple devenant unique, une cacophonie scénaristique se transformant par la magie de la bande dessinée en une fable humaniste. Cet album est une auberge espagnole… et irlandaise.

Il s’agit peut-être de sa plus grande faiblesse. C’est le pendant de la grande liberté de ton de Kokor. Plus que d’autres, il travaille souvent sur la corde d’une réalité contrariée, différente, jouant sur les interprétations. Evidemment, le lecteur apporte sa propre besace émotionnelle et Supplément d’âme aura des ressenties très différents selon le lecteur. Ainsi, de mon point de vue, cette histoire résonne d’une façon particulière mais certains d’entre vous resteront à la porte. Trop de symboliques, peu d’explications et un univers qui, par la force de choses, dérangera les plus cartésiens d’entre nous.

Insoutenable légèreté

Mais assurément, Kokor ne peut renier cet album. Il porte sa marque. On retrouve les éléments qui ont fait de Balade Balade ou des Voyages du Docteur Gulliver des albums à part dans le paysage de la BD. Cet auteur distribue de la légèreté avec délice. Et même dans les instants difficiles, il y a un éclat dans les yeux des personnages, une parole, une situation permettant de voir le bon côté de la vie. Quand les êtres courent après le temps, la solitude ou l’abandon permettent de réfléchir sur soi-même, de prendre ce temps qui manque, de penser au détail. Car dans cet univers, le moindre élément peut prendre une grande importance. Je ne dévoilerai rien de l’intrigue mais notre personnage solitaire est finalement bien entouré. Et je ne parle même pas de Willie et Camille

Dans cet esprit, Kokor écrit une histoire où l’insouciance traverse constamment les planches. Alternant moments de silences contemplatifs, dialogues surréalistes et réflexions sur notre rapport aux autres, Supplément d’âme en devient une sorte de fable universelle qui la rapproche un peu des œuvres de poètes comme Prévert, Tati ou Sempé. Si l’histoire se passe à Dublin, elle aurait pu se dérouler au Havre, Copenhague, Kyoto ou Johannesburg. Peu importe le lieu car la mise en scène, le côté clownesque des personnages, leur regard amusé sur les événements, le rire, l’esprit, tout est là pour raconter cette belle histoire. Nous n’avons plus qu’à nous laisser porter par un graphisme somptueux. J’ai lu beaucoup d’album de cet auteur et pourtant, j’ai été particulièrement surpris par ses planches. Non seulement, il livre un travail technique varié (classique, figuratifs, croquis) mais il multiplie les lieux (mer, ville, atelier, gratte-ciel, bureau, rue…) tout en créant des atmosphères très disparates par son travail sur la couleur. Depuis Les Voyages du Dr Gulliver, je reste particulièrement amateur de ses bleus. Et justement cette couleur, c’est le ciel et la mer, la liberté, le rêve… Assis face à l’océan, le personnage principal se noie dans l’azur en devenant homme-oiseau (selon Willie) ou homme-poisson (selon Camille) et nous emporte tous, lecteurs et personnages, avec lui.

En finissant cette chronique, je jette un œil aux paragraphes précédents. Encore une fois, je me laisse emporter par l’enthousiasme… mais quel bel album ! Kokor aime les fables humanistes, aime nous faire voyager dans son univers où même les choses graves ne le sont pas vraiment. Émouvant cet album est une grande réussite. Graphiquement, on joue ici dans la cour des très grands. En espérant que grâce à cette œuvre, Kokor son auteur gagne enfin la reconnaissance publique qu’il mérite depuis longtemps. En tout cas, on vous recommande ce Supplément d’âme !

A lire : la chronique de Mo’ et celle de Paka
A voir : la fiche album sur le site de Futuropolis

Supplément d’âme (one-shot)
Scénario et dessins : Alain Kokor
Éditions : Futuropolis, 2012 (19€)

Public : Ado-adulte
Pour les bibliothécaires : L’une de ses oeuvres les plus accessibles. Digne d’une bonne bédéthèque !

Chroniques BD

Chronique | Daytripper : au jour le jour (Moon & Ba)

Bras est un journaliste chargé d’écrire les nécrologies d’hommes et de femmes célèbres dans un quotidien de Sao Paulo. Il caresse le rêve de devenir, comme son père, un illustre écrivain. Il attend le jour où sa vie débutera vraiment… Mais quand ? A 32, 11 ou 72 ans ? L’existence est un jeu… et Bras a plusieurs vies.

Daytripper est un album dont l’ambition est d’explorer la vie à travers ses possibilités. Multiples, profondes, faites de rencontres et de coups du sort, de bonheurs, d’amitiés, d’amours…  de l’apprentissage de la mort aussi. Celle des autres, et puis la sienne qui viendra tôt ou tard. A ce petit jeu, Bras, le héros de cette histoire singulière imaginée par deux frères jumeaux, a une place tout à fait particulière.

En effet, dans un machiavélique jeu de contraste, Fabio Moon et Gabriel Ba ont décidé d’évoquer la mort pour parler de la vie. Bras trouve la mort à la fin de chacun des 10 chapitres que compte ce livre : 10 chapitres, 10 âges de la vie, 10 morts, 10 possibilités.

Alors Bras, deviendra-t-il un politicien véreux avant d’être médecin puis écrivain. Changera-t-il de sexe, de pays, de siècle ? Non. Il n’y a qu’un seul et unique Bras. Étonnement, malgré ses morts multiples, son existence reste la même. Cela tient à deux idées simples mais géniales : l’unité des personnages secondaires et l’unité de lieu. La famille, les amis, les enfants, la ville ou les lieux de vacances ou le rapport aux autres, tout est toujours présent. A chaque nouveau chapitre, Bras est encore là, comme si ses disparitions passées ou à venir n’étaient que des morts de jeux vidéo. Vous savez comme dans les jeux de rôles où l’on sauvegarde avant d’attaquer le boss… « Et si on disait que j’étais pas mort en fait. » Je l’écrivais dans la présentation… cette vie n’est qu’un jeu.

Toutefois, ça ne veut pas dire que le lecteur doit oublier ce qu’il a vu à la fin de chaque chapitre. Daytripper est un album, pas un recueil de nouvelles. Chaque mort met fin à un mini-récit mais devient une étape supplémentaire de la narration. Le récit progresse dans de nouveaux éclairages même si le lecteur ne suit pas le personnage d’une manière chronologique. La construction s’avère finalement complexe et fine, un puzzle formant un tout.

Résultat, encore par jeu de contraste, le rôle des personnages secondaires donnent une réalité à ce mortel-immmortel dont les choix sont paliés par un redémarrage constant. D’ailleurs, dans un chapitre, Bras n’existe qu’à travers les yeux de ses proches. Il meurt sans qu’on puisse le voir.

Au bout, chacun mettra un peu de soi dans cet album. Certains y verront peut-être une vaste fumisterie où l’effet de désordre cherche à rendre profond des réflexions de bas étage. Pour d’autres, dont je fais partie, c’est un album OVNI parlant de la vie, de l’existence à travers le rapport aux autres, de l’amitié, de l’amour, de la passion, de l’innocence ou du respect. Ce n’est pas un hasard si la préface a été signée par Cyril Pedrosa, auteur du fabuleux Portugal, et la postface de Craig Thompson, auteur des non-moins fameux Blankets et Habibi. Il y a une filiation entre ces trois auteurs, un humanisme qui rend leurs personnages quasi-universels. Comme dans l’album de Pedrosa, les deux frères font de ce personnage un faire-valoir pour ceux qui l’entourent. Son existence, ses choix, les événements de sa vie tiennent autant à lui qu’aux autres. De cette façon, l’objectif ambitieux de ces deux auteurs est atteint. Comme deux sages, ils donnent leur vision d’artiste sur la vie. Personnelle évidemment mais tellement positive.

Pour conclure, cet album me rappelle la lecture de Replay de Kim Grimwood, un livre où par contraste la mort cherche à expliquer la vie. Un livre positif et puissant à l’image de Daytripper. Une œuvre à découvrir, à faire lire, à discuter. Une œuvre majeure récompensé par l’Eisner Award de l’histoire complète en 2011.

En post-scriptum à cette chronique, je souhaiterais remercier mon libraire qui m’a conseillé avec enthousiasme cet album. On ne le redit pas assez, mais c’est quand même un beau métier libraire… presque aussi bien que bibliothécaire ! Allez les voir !

A voir : la preview sur BD Gest’
A lire : la chronique de 1001BD.com et celle de Jérôme

Daytripper : au jour le jour (one shot)
Scénario : Fabio Moon
Dessins : Gabriel Ba
Edition : Vertigo-Urban Comics, 2012 (22€)
Collection : Vertigo Deluxe
Edition Originale : Vertigo/DC Comics, 2011

Pour le public : A partir de 16 ans
Pour les bibliothécaires : l’un des albums les plus enthousiasmant du printemps 2012, forcément incontournable !

Chroniques BD, Recommandé par IDDBD

Chronique | Les derniers corsaires (Houde & Richard)

Durant la seconde guerre mondiale, le lieutenant Woolf est le second du capitaine Wallis sur le Jason, un sous-marin de la Royal Navy prêt à partir en mission. Woolf est ambitieux et ne comprend pas pourquoi, après des années d’efforts, il n’a pas encore son propre vaisseau. Le destin ne va pas tarder à lui offrir des réponses…

L’appel du large est souvent un moyen bien utile de débuter une aventure. Rien de mieux que l’horizon pour se lancer dans des promesses : des jolies filles dans chaque port, du sang, des combats et des larmes. Bref, de quoi s’éloigner pour un instant de la froideur de nos écrans d’ordinateurs pour se chauffer un peu au soleil, sur le pont. Non vraiment, rien de mieux qu’un titre comme Les Derniers Corsaires pour souffler dans les voiles de notre imagination.

Pourtant, dans cet album dont les qualités m’ont rendu très difficile la rédaction de cette chronique, il ne s’agit pas de cela. Ici point de flibustiers mais  la marine militaire avec toute sa rigueur, sa discipline, son honneur, son mérite et sa confiance ne se gagnant que par modestie et travail. Dans ce sous-marin, il n’y a pas de place pour l’approximation. L’horizon est celui du périscope, le sang est dilué dans l’eau de mer, les combats se déroulent sous le secret des vagues dans un jeu de cache-cache mortel. Quant aux femmes : pas l’ombre d’une chevelure, parbleu !

Les derniers corsaires est une évocation des combats sous-marin durant la seconde guerre mondiale. Comme Soldats de Sable (cf chronique de la semaine dernière) Jocelyn Houde et Marc Richard, les deux auteurs québécois de cet album, n’ont pas pris le parti de la fresque historique majeure mais la petite histoire de quelques personnages. En fait, il s’agit surtout d’un récit d’apprentissage. Si le lieutenant Walter Woolf connaît la théorie du combat, il est vite confronté à la réalité et surtout au capitaine Wallis, alias Ed Le Puant. Ce personnage austère particulièrement réussi allie la sagesse du vieux briscard, la noblesse de l’homme d’honneur et la morgue de l’officier. On appréciera également le personnage du capitaine Fielding, fin stratège et orfèvre en combat sous-marin. En y repensant, il n’est sans rappeler le capitaine Stark (Chargez !!!) des Tuniques bleues. Bref, la narration repose essentiellement sur leurs rapports, parfois conflictuels, parfois cocasses, de maître à disciple. Par ce biais, le lecteur est entraîné dans les profondeurs du récit. Les situations s’enchaînent entre moments de tensions,  de guerres et instants de calme, voire de réflexions. Combats et stratégies sont démontrés et expliqués sans lourdeur, les situations sont amenées avec beaucoup de finesse, laissant la place à des rebondissements inattendus. Au bout du compte, tout est précis, orchestré, fluide. La construction en trois temps est impeccable, ça file, on veut en savoir plus. Bref, un récit aussi construit et pensé que les opérations décrites.

Cette super-précision pourrait être un frein à l’émotion. Or, c’est là qu’intervient le travail magnifique du dessinateur Jocelyn Houde qui n’est pas sans rappeler le Christophe Blain d’Isaac le pirate. Une référence ! A première vue pourtant, le trait est simple. Des trames garantissent une relative obscurité à l’ensemble, la couleur est simple également, jouant sur les tons chauds ou froids quand nécessaire. Mais plus on pénètre dans le cœur du récit, plus on s’aperçoit de la virtuosité du dessinateur. C’est puissant et beau quand nécessaire, dynamique ou contemplatif au besoin, ça accroche l’œil immédiatement. Les émotions comme la panique ou la honte sont palpables. Et que dire des brouillards ou des vagues, superbe ! N’ayant pas les qualités techniques pour juger de la qualité d’un dessin, je m’enthousiasme rarement autant sur un illustrateur. Mais il faut bien avouer que peut avant sa mort en 2007, Jocelyn Houde montrait une qualité époustouflante à chacune de ses cases. Loin des critères réalistes, il donnait pourtant une vraie présence à ses personnages et à ses histoires. De quoi laisser un goût très amer à tous les amateurs du 9e art qui aurait pu bénéficier de son talent. Je suis triste à retardement.

Je ne sais qu’ajouter de plus sinon vous inciter à découvrir cet album réédité par La Pastèque cette année. Un album magnifique dressant le portrait de héros méconnus, soldats de l’ombre sous-marine, adepte du jeu d’échecs. Des hommes vrais avec leurs faiblesses et leurs victoires. Un bel hommage par des auteurs québécois qui, une fois de plus, on pense à Michel Rabagliati ou Jimmy Beaulieu, nous gratifient d’un album tout simplement merveilleux. Merci !

Merci aux éditions La Pastèque pour cette découverte (j’ai beaucoup de chance avec cette maison d’édition)

A voir : la fiche auteur sur le site La Pastèque

Les Derniers Corsaires (one-shot)
Scénario : Marc Richard
Dessins : Jocelyn Houde
Éditions : La Pastèque, 2012 (première édition en 2006)

Public : Amateurs de livres historiques, Ado-adultes
Pour les bibliothécaires : Il y a tant de BD historiques qui n’ont aucun intérêt… Pour une fois que vous avez un bijou, sautez dessus sans attendre. Vos lecteurs vous remercierons !

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