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Chroniques BD

Garulfo

scénario d’Alain Ayroles
dessins de Bruno Maïorana
Editions Delcourt (Terres de Légendes)
6 volumes

Cloaque Humanitaire

Il était une fois l’histoire d’une grenouille prénommée Garulfo. Exaspérée par sa modeste et fragile condition d’amphibien, il décida – car Garulfo était un mâle, les grenouilles n’étant pas les femelles des crapauds – de devenir ce qui se faisait de mieux dans la condition terrestre : un homme ! Après une rencontre avec Madame la fée (qui est soit dit en passant est autant bonne fée que la non moins fameuse Radada), le voici plongé dans la dure réalité du monde féodal et sauvage de l’humanité.

Qu’est-ce qui est bon dans Garulfo ? Et bien tout, rien que ça ! L’univers d’abord. Il se nourrit des contes de l’enfance et des adaptations de ces derniers, allant y chercher images et personnages afin de remanier le tout dans de sempiternelles galipettes scénaristiques. Ainsi, le récit prend une profondeur surprenante pour ce genre de bd, la multiplication des personnages, des références, des petits détails prenant soudainement une importance inattendue ajoute à chaque fois un peu plus de piment à une histoire à priori simple.

L’écriture ensuite, celle d’Alain Ayroles (à ne pas confondre avec François, plutôt édité chez L’Association), le papa du nom moins mythique De Capes et de Crocs. Ici aussi, on retrouve ce même plaisir des (bons) mots, des dialogues ciselés et des surprises à chaque coin de case. La douce naïveté de son personnage principal, la cruauté et l’idiotie de la race humaine fournissent sans cesse des situations décalées et logiquement humoristiques. Alain Ayroles prend un malin plaisir à décortiquer les contes et à malmener ses figures emblématiques (du pourfendeur de dragon à la princesse bimbo). Mais l’idée principale, prendre une grenouille comme héros principal d’un roman d’apprentissage, un des thèmes favoris des conteurs/auteurs depuis la nuit des temps, est déjà en soi très iconoclaste.

Et enfin, le dessin celui de Bruno Maïorana, superbe dessinateur s’amusant autant à glisser des détails qu’à créer des décors somptueux et variés. Vous vous baladerez dans les bois, les châteaux, dans l’antre d’une sorcière, vous exploserez de rire en découvrant les attitudes des personnages et serez peut-être intimidé et curieux devant des scènes grandioses. Et tout cela dans un univers graphique très cohérent.

Garulfo est, dans le bon sens littéraire du terme, une vraie farce. Entre conte et pièce de théâtre où rebondissements et situations farfelues se mêlent aux petites attaques sur les travers de l’humanité. Mais Garulfo, c’est surtout deux auteurs qui ont pris une immense plaisir à façonner leur petite histoire de grenouille découvrant les joies de l’humanité. Évidemment, ce plaisir est communicatif et se transmet au travers de la lecture des deux « livres » constituant la série (tome 1 à 2, puis de 3 à 6). Sans aucun doute, Garulfo laissera forcement une marque différente dans votre esprit. Celle d’un petit sourire et d’une espèce de nostalgie inhérente à l’univers des contes.

A lire : l’interview d’Alain Ayroles dans BD sélection
A lire : la chronique de Mo’ la fée

Attention : cette chronique s’inscrit dans le Challenge BD lancé par Mr ZOMBI et auquel participe IDDBD

Chroniques BD

Engagez-vous qui disait !

Dol (scénario et dessins de Philippe Squarzoni, Les Requins Marteaux, 2006)

En 2006, un an avant l’élection de qui-vous-savez, un pavé plus que conséquent paraissait chez Les Requins Marteaux. Son auteur avait déjà signé auparavant un diptyque remarqué (et remarquable) : Garduno en temps de paix & Zapata en temps de guerre. Partant d’un petit village mexicain, il y évoquait la mondialisation et ne se privait pas de décortiquer et de critiquer toute la sauvagerie d’un système. Si, dans une boutade dont il avait le secret, Desproges se disait artiste « dégagé« , Philippe Squarzoni se présente comme son contraire. Membre de la première heure du mouvement ATAC, il est de ces noms devenus incontournables lorsqu’on évoque une bd franco-belge militante.

Ainsi, après la mondialisation, Philippe Squarzoni s’attaque à la politique française des années Raffarin et reprend une formule déjà utilisée dans ses albums précédents. Dol est construit comme un reportage télé : multiples interviews de spécialistes face à la « caméra » (économistes, journalistes, sociologues, élus),  graphiques et images commentées, narration à la première personne, science du corrosif et de la question rhétorique. Tout cela dans un style graphique changeant, allant du montage d’images aux crayonnés les plus simples en passant par des caricatures élégantes et bien souvent efficace. Dans l’ensemble, les enchainements entre les sujets et les images sont naturels et la lecture se fait, avec concentration certes, plutôt facilement. Tout cela avec un seul souci : expliquer le plus clairement possible les éléments d’une politique complexe.

Cette façon d’utiliser la BD, comme support de démonstration d’idées politiques, la plonge dans un champ relativement nouveau. Bien entendu, la BD n’a pas attendue Philippe Squarzoni pour s’engager, beaucoup de grandes BD sont nés dans les pages de la presse quotidienne, mais Dol est véritablement un essai politique déguisé en bande dessiné… Je dirais même plus, une bande dessiné déguisé en essai politique. Ici, l’auteur utilise les règles narratives de la BD au profit de sa démonstration. Rythme des cases, gestion des effets,  les interviewés se succèdent face à la caméra et l’histoire se met en place… comme une œuvre de fiction ! Oui mais voilà, on parle politique et le narrateur nous le rappelle. Peu à peu, le message passe… Place au débat !

La politique étant une chose trop sérieuse pour être confiée à des blogueurs BD, le rôle d’IDDBD n’est pas d’analyser ce contenu. Ni même de dire si telle ou telle démonstration est fausse ou biaisé. Le point de vue est clair, chacun son opinion… L’intérêt de cet album est aussi dans sa forme. Cependant, Philippe Squarzoni pose avec une extrême rigueur, un humour juste et un talent certain de vraies questions et force le lecteur à la réflexion. Clairement, Dol n’est pas une bande dessinée faite pour se vider la tête, mais plutôt pour la remplir… C’est une définition assez juste d’un bon livre, non ?

A lire aussi : Garduno… et Zapata… (site des Requins Marteaux)
A découvrir : la fiche album et une interview de Philippe Squarzoni (toujours chez les Requins)

Attention : cette chronique s’inscrit dans le Challenge BD lancé par Mr ZOMBI et auquel participe IDDBD

Chroniques BD

Un monde précieux

La cité saturne (scénario et dessins de Hisae Iwaoka, Kana, série en cours)

Dans un futur plus ou moins proche, la terre est devenue une zone inhabitable. Les habitants se sont donc réfugiés dans un anneau orbital entourant la planète à plusieurs millieurs de kilomètres de distance. Cet anneau est divisé en 3 niveaux, correspondant chacun à une strate sociale. Le niveau supérieur est composé des plus hauts dirigeants et des personnes les plus riches, les niveaux inférieurs étant réservés aux « gens du commun ». C’est dans le niveau intermédiaire que Mitsu termine ses études. A peine sorti du collège, le voici recruté par le syndicat des laveurs de vitres. A priori, un petit job tranquille ? Sauf, qu’il ne s’agit pas de laver les carreaux de mamie ! Non, Mitsu et ses collègues sont chargés des vitres extérieures de la méga-structure. Autant dire que ce n’est pas un travail de tout repos ! Entre les chutes d’objet stellaires, les glissades, les UV et les vents, ce travail est même dangereux. D’ailleurs, 5 ans auparavant, le propre père de Mitsu est tombé. Depuis, le syndicat refusent systématiquement les contrats rares mais trop dangereux émanant du niveau inférieur. Ce dernier est donc condamné à la crasse des poussières stratosphériques. Voici donc Mitsu, avec le souvenir de son père en tête, faisant l’apprentissage d’un monde professionnel propre à ces métiers durs, où honneur, courage & humilité sont au rendez-vous.

Malgré des normes graphiques historiquement établies, l’univers du manga possède des dessinateurs avec des traits particulièrement reconnaissables. Je songe en particulier à des auteurs comme Taniguchi, Kiriko Nananan, Ebine Yamaji, Hiroaki Samura (L’habitant de l’infini). Au hasard de mon butinage hebdomadaire dans ma librairie, j’ai entr’aperçu ce petit manga au dessin arrondi et immédiatement un doute m’a assailli… J’avais déjà vu ça ! Ce dessin faussement naïf mais fourmillant de détail, cette atmosphère particulière plongée dans un univers cotonneux prenant, attirant, une atmosphère où réalisme et songe se retrouvent. Ah oui j’avais déjà vu ce dessin ! J’ai acheté ce premier volume et ce n’est que rentré chez moi que j’ai levé le mystère : YumenosokoHisae Iwaoka était donc cette formidable mangaka qui m’avait enchanté il y a deux ans avec ce one-shot déjà enthousiasmant !

C’est donc avec un apriori favorable que j’entamais complètement la lecture de cette Cité Saturne… et c’est avec ce même sentiment que je la refermais. Ce premier volume est assez classique pour un manga. Il pose les jalons de l’univers, situant les personnages principaux et secondaires et déroulant le fil rouge de l’histoire : le mystère entourant la chute de son père et indirectement la fascination du père et du fils pour la planète originelle. Mais la grande force de ce manga tient tout autant à sa construction solide qu’à la multiplication de trouvailles farfelues et poétiques symbolisés par les multiples découvertes de notre héros. L’extérieur regorge de détails et finalement, ce no man’s land apparaît bien plus peuplé que prévu. De souvenirs évidemment, mais aussi de rencontres avec les êtres improbables le peuplant et surtout avec les clients. Entrant indirectement dans l’intimité de ces gens, ces laveurs de carreaux bénéficient d’une liberté aérienne qui font d’eux des êtes à part dans cette civilisation enfermée et constituent peut-être un élément lui permettant de rester liée. Mais en ont-ils conscience ? Pas sûr. Certainement pas. Et pourtant, même s’il se l’explique mal, tous ces travailleurs de l’extrême sont attachés à cette façon de vivre un peu particulière. Finalement, avant d’être de la SF, La Cité Saturne parle avant tout de l’humain, de la vie.

Cette improbable histoire de laveurs de carreaux stratosphériques est entrainante, surprenante et d’une poésie qui semble propre aux œuvres d »Hisae Iwaoka. Une œuvre légère, simple mais loin d’être superficielle. Bref, une série à suivre (tome 3 prévu début mai 2010) et comptez sur nous pour ça !

Chroniques BD

Simplicité du complexe… ou l’inverse ?

American Splendor – Anthologie. Volume 1/3 (scénario d’Harvey Pekar, dessins de Robert Crumb, Gary Dumm, Gerry Shamray, Greg Budgett et Kevin Brown ; éditions çà et là)

En ce moment, je fais dans l’historique. Non pas la BD historique parce que ce n’est pas ma tasse de chocolat (je n’aime pas le thé désolé) mais je me penche sur les « grands ancêtres » de l’art séquentiel. Cette semaine, j’avais le choix entre un mangaka et un auteur underground… L’américain a gagné le pile-ou-face, je garde donc l’autre sous le clavier et la surprise pour la semaine prochaine.

Donc Harvey Pekar et l’anthologie American Splendor volume 1 (3 sont prévus par les éditions ça et là)…

Mon parcours de bédéphile amateur a rencontré Harvey Pekar lors de l’édition en français de The Quitter (Le dégonflé) en 2007 par Panini. C’est Hector, confrère et ancien chroniqueur d’IDDBD, qui nous en avait fait ici la chronique. Eminent spécialiste de comics (et de tout un tas d’autres choses), il avait été dithyrambique concernant l’œuvre de ce talentueux scénariste de la BD américaine. Et, comme très souvent (nous n’évoquerons pas la notion de roman graphique aujourd’hui), il avait raison.

American Splendor est avant tout l’histoire d’une rencontre entre un petit fonctionnaire américain, lettré, amateur et critique de jazz avec la bande dessinée underground durant les années 60. Surpris par l’approche nouvelle de ce courant et les possibilités narratives offertes par ce média, Harvey Pekar décide de poser sur le papier ses premières histoires. Encouragé par Crumb, à l’origine de sa vocation, il s’auto-édite en 1976 avec des planches signées Gary Dumm, Gerry Shamray, Greg Budgett, Kevin Brown et évidemment Robert Crumb, déjà pape de la BD underground. Le succès n’est pas immédiatement au rendez-vous, comme souvent avec les choses novatrices, mais l’importance de l’œuvre de Harvey Pekar est déjà fondamentale.

Si aujourd’hui, les autobiographies en BD sont légions, parfois au détriment d’une certaine imagination (mais ce n’est que mon point de vue personnel), c’est beaucoup moins le cas en 1976. Harvey Pekar se raconte à Cleveland : son boulot, son divorce, ses amours, ses passions, ses pulsions, ses folies, sa ville, son environnement, ses rencontres… Rien n’est laissé au hasard.
Navigant entre un monde ouvrier dont il ne voudrait surtout pas s’éloigner et un univers d’intellectuel où il ne sent pas à sa place, Pekar retranscrit cette différence dans ses récits et impulse une nouvelle façon de faire de la BD en ouvrant un champ d’action inédit. Sans détour ni ménagement parfois même avec violence, il dresse son propre portrait mais également celui d’une amérique désenchantée, moins fière de ses symboles et revenue de sa culture. Une amérique perdue ? Un homme perdu ? Non pas autant qu’il n’y parait. Harvey Pekar, américain moyen, vit et survit dans un monde qu’il observe d’une manière différente mais véritablement réfléchi, tout comme la plupart de ses choix personnels.

Hormis son héros (qui parfois change de nom), ne cherchez pas de liens entre les nouvelles de cette anthologie (regroupant des histoires parues entre 1976 et 1982). Là encore, ces histoires ont l’air d’avoir été écrites comme un journal intime, sans recul de temps, « à chaud ». Cette immédiateté les rend différentes dans le ton, dans la manière de les construire mais aussi dans leur importance. Impression renforcée par les différents graphismes dus aux changements de dessinateur. Parfois fondamentales pour comprendre l’homme Pekar, parfois totalement anecdotiques et humoristiques, elles illustrent parfaitement sa devise : « La vie ordinaire, c’est un truc assez complexe ».

Pas mieux.

A lire : les chroniques d’Hector sur IDDBD consacrée The Quitter et sa chronique du Best Of American Splendor.
A voir : le site et le blog des éditions çà et là
A voir : le site des éditions Cornélius qui préparent un volume spécial de l’intégrale Robert Crumb aux années American Splendor
A voir : les images du film American Splendor sortis en 2003.

 

Chroniques BD

Le Retour du p’tit bolet

Litteul Kévin T.8 (dessins et scénario de Coyote, ed. Le Lombard, 2009) 

Au-delà de la nuit dans le Kalahari
Le lion va rugissant comme un gros chat qui miaule…

Ceux qui connaissent la fin de cet authentique joyaux poétique peuvent entrer dans la cabane des lions, les autres devront avoir lu les aventures du plus jeune biker de l’histoire de la BD pour connaître la fin.
Dans la précédente chronique, je vous avais parlé du petit plaisir de revenir dans les lieux que l’on sait agréable. Plus heureux encore est de retrouver, après bien des années d’attentes, les amis perdus de vue. Dans une certaine mesure, les héros de BD sont autant de copains que l’on attend avec impatience au fil des parutions.
Et c’est donc avec une joie quasi-enfantine que j’ai retrouvé Kévin, Gérard (euh… Chacal), Sophie, Hulk  et tous les autres (les
Lions et les frères du Club) et bien entendu la poésie du Kalahari. Si tous ces noms n’évoquent rien pour vous alors il est grand temps, ô chanceux que vous êtes, d’ouvrir les albums de Litteul Kévin, dessiné par Coyote.
On les avait quitté en 2003 dans le tome 7, à l’époque ils s’envoyaient en l’air dans les alpes en pissant sur les castors (non, le
s marmottes) et on les y retrouve (avec de la couleur pour l’édition simple, noir et blanc pour la collector) toujours présent. Nous avons quelques années de plus et eux n’ont pas pris une ride.

Après 6 ans d’attente, on retrouve cet humour biker décalé, la famille de Kévin étant tout sauf aux normes, les jeux de mots foireux (ou pas) et surtout la grande tendresse de Coyote pour ses personnages. Et, pour ce nouvel opus, il a fait le choix de mettre en lumière des personnages secondaires (et d’en introduire de nouveaux) en particulier la belle-mère « adorée » de Chacal. Et c’est sous un jour nouveau, et dans des situations toujours aussi cocasses que Coyote nous fait rire. Comme d’habitude, l’album est composé d’historiettes qui se succèdent pour autant de moments-clefs de la vie de nos héros. Ici, pas de cynisme ou d’humour noir, juste un mélange d’humour (de) brut(e), de finesse et de fausse naïveté pour finalement une série qui n’est pas réservé au gros motards barbus balèzes et buveurs de Jack Daniel’s. Personnellement, à part le fait d’être gros et barbu, je n’appartiens pas à cette catégorie.

Alors bien sûr, j’aurais été sans doute plus exigeant si ce tome était sorti un an après le précédent. A mon humble avis, toutes les histoires ne sont pas de la même qualité. Mais malgré cela, le mérite de Coyote a été de garder l’esprit original de la série tout en faisant évoluer ses personnages et leur univers. Pour le coup, c’est un retour réussi (contrairement à des livres d’or parus récemment mais je ne balance pas).
De toute manière les aficionados comme moi sauront apprécier ce retour, les autres pourront profiter du nouveau tirage de la série (chez Fluide du tome 1 à 7, Le Lombard pour le dernier) pour se pencher avec délice sur les tomes précédents.
A titre d’information, Litteul Kévin (et surtout le tome 5, l’apogée de la série) est l’une des trois séries d’humour à m’avoir fait, au sens propre, pleurer de rire. Les deux autres étant Gaston Lagaffe et Rubrique à brac. On passe vraiment pour un imbécile quand on pleure de rire en plein milieu d’une librairie, croyez-moi !

Bon, je vais m’arrêter là pour aujourd’hui alors salut mes gueules et bonne bourre !!! [Rassurez-vous c’est une citation ]

A découvrir :
le site de Coyote

Chroniques BD, Recommandé par IDDBD

Chronique | Amer Béton (Matsumoto)

(scénario et dessins de Taiyou Matsumoto, éditions Tonkam)

Contrastes Urbains

A Takara, mégalopole contemporaine où règnent misère et petites arnaques, Noiro et Blanko sont deux orphelins vivant de rapines et de racket. D’une remarquable agilité, les chats survolent les toits et sont impitoyables. Ils règnent en maitre sur « leur » ville.
Si Blanko est extraverti, complément déconnecté de la réalité, à la limite de la folie, son grand frère Noiro est sombre, secret, toujours prêt à dépasser les limites de la violence. Mais cet équilibre précaire est remis en cause le jour où une série d’évènements vient remettre en cause leur suprématie. Voici le début d’une quête initiatique pour les deux frères… et d’une oeuvre riche et magnifique.

Sorti en 1995 au japon, le manga de Taiyou Matusmoto est une chronique d’une urbanité oppressante, noyant ou plutôt conservant l’individu dans sa folie et dans sa démesure. Takara littéralement Trésorville, est bien plus qu’un décor. C’est un symbole. Si les deux orphelins portent même jusque dans leurs noms sa part d’obscurité et de lumière, les personnages secondaires (en particulier les deux figures formidablement réussies des Yakuza) font également parti de ce corps omnipotent.

Seule figure féminine importante du récit, Takara est une ville-mère, moteur de l’histoire. En effet, ce sont bien ses propres évolutions qui obligent les personnages à se découvrir eux-même, parfois pour leur plus grand malheur. Dans Amer Béton, peu d’entre eux échappent aux vicissitudes de leurs destins même si l’espoir ne disparait jamais.

Le dessin est très surprenant, loin des canons classiques du manga. Il indignera encore plus que d’habitude les ayatollahs du franco-belge. Pas grave on a l’habitude ! Si vous avez la chance de passer outre, alors vous découvrirez une histoire riche, parfois rude et sans complaisance, mais absolument passionnante qui, sous bien des aspects, me fait penser au cultissime Akira de Katsuhiro Otomo. Je regretterai seulement le travail un peu léger des éditions Tonkam. L’absence de traductions d’idéogrammes ou quelques pages d’explication aurait pu être un plus, surtout pour une édition intégrale… Enfin, je chipote…

Avant de refermer cette chronique, je ne saurais trop vous conseiller de voir la superbe adaptation du manga. Un pur joyau d’animation (pour les grands hein, évitez de regarder ça avec vos enfants) !

A lire : la chronique du Monde à l’occasion de la sortie du film

A lire (encore) : la chronique (énorme et archi complète : respect) sur du9.org

A lire (toujours) : le dossier réalisé par le site Akata (Delcourt) sur Amer Béton

A voir : des extraits vidéos du film

A faire : voter pour Jibé et Sans Emploi pour la révélation Blog

Chroniques BD

Eloge de l’autre

L’autre laideur l’autre folie (scénario et dessins de Marc Malès, collection Tohu-Bohu, éditions Les Humanoïdes associés)

Tout commence par un dessin au style retro, mélange de comics des années 30-40 et de José Munoz pour son utilisation du noir et blanc.
Ça continue par une émission, rétro également, de la télévision américaine évoquant une ancienne star de la radio des années 30 et de son étrange disparition. Puis, une femme âgée arpente en compagnie de sa fille le quai désert d’une gare oubliée au beau milieu d’un trou perdu des Etats-Unis.
Finalement, c’est un souvenir. Celui d’une rencontre peu banale entre deux êtres perdus, l’un fuyant sa douleur, l’autre son image. L’un sur les chemins, l’autre cloîtrée dans une maison sans miroir.

Dans tout ce que l’on peut lire, et je ne parle pas seulement de BD, il y a des choses que l’on aime mais que l’on oubliera, d’autres que l’on adore et qu’on garde pour soi et puis il y a ce genre de merveilles, des livres à part découvert au hasard, des livres qui résonnent en vous et qui rejoignent votre patrimoine personnel. Des œuvres parfois perdues dans les étagères d’une librairie, dans un carton ou qui vous attendent sous votre nez depuis des mois, voire des années. J’ai attendu longtemps avant d’ouvrir L’autre laideur l’autre folie. J’avais tort.

Je me demande encore comment un auteur comme Marc Malès fait pour regrouper autant de qualités et de talent dans 120 pages : finesse de l’écriture, dessin totalement maitrisé servant au-delà de toute espérance son récit et donnant une humanité « physique » à ses personnages, construction du récit ciselé, histoire magnifique, psychologie des personnages poussé au point qu’on se demande si ce n’est pas du vécu. Mais surtout, plus que toutes ses qualités un peu « technique« , c’est cette incroyable alchimie dégageant une atmosphère, une mélancolie, une poésie profonde et touchante. Poésie qui personnellement me ramène inexorablement vers des œuvres telles que Sur la route de Madison ou plus récemment The Hours. Sans grand effet de style, ni effusion de sentiments, nous voici submergés par des vagues d’émotions contradictoires.

Vous l’aurez compris, L’autre laideur l’autre folie est un album marquant, magnifique, beau et triste, optimiste et désespérant. Marc Malès a tenté de réunir les tourments, les peurs, les tristesses mais aussi les espoirs de l’âme humaine. S’il est présomptueux de vouloir réussir ce tour de force, on doit admettre qu’il l’a effleuré du doigt. C’est une définition d’un chef d’œuvre.

A lire : les chroniques sur Sceneario.com et sur BDselection.com

A écouter : Philipp Glass signant la BO de The Hours.

Chroniques BD

Il était une fois… un merveilleux album.

Château l’Attente (scénario et dessin de Linda Medley, traduit de l’anglais par Fanny Soubiran, lettrage de Anne Beauchard et Aymeric Lalevée, éditions ça et là)

Vous vous souvenez des paroles de la chanson Cendrillon ? Mais non, pas celle de Walt Disney ! Celle de Téléphone, ce mythique groupe de rock français qui a fait toute notre jeunesse dans les années 80 ! Ca y est ? Vous y êtes ? Et bien cette chanson pourrait servir de bande originale à Château l’Attente, une BD totalement atypique dans le monde de la fantasy.

A commencer par le propos. Linda Medley s’intéresse aux personnages des contes de fées après la dernière page de leur histoire officielle, celle où nous nous endormons en rêvant du « Ils se marièrent et eurent beaucoup d’enfants... ».

Son Château l’Attente n’est pas peuplé de Princes Charmants et de Princesses allanguies… En réalité, ce château est un refuge pour tous les parias, les exclus, les victimes d’un monde qui n’est pas forcément un conte de fées pour tous. Son personnage principal, Dame Jaine, est de celles-là : Château l’Attente est son seul refuge après les coups reçus de son mari. Mais il y a aussi tous les autres, Rackham, l’intendant du château, Sir Chess, un chevalier étonnant, ou Soeur Paix, une nonne à barbe… Tous ces personnages que l’on pourrait croire secondaires intéressent au plus haut point Linda Medley qui s’attarde longuement sur leurs histoires respectives. Elle nous fait ainsi découvrir l’envers du décor, l’après « Il était une fois… », avec un point de vue personnel très féminin, très fin, très bien vu et, en définitive, très attachant…

Cela vous étonnera-t-il de savoir que Linda Medley a fait ses études d’art à San Francisco ? Moi non. On sent dans son Château l’Attente toute la sensibilité humaine dont sont capables les artistes qui viennent de ce coin-là des Etats-Unis. En tout cas, son œuvre est absolument originale, pleine de vie, d’amour et de talent.

Il était une fois… une reine du 9ème art en son Château l’Attente. Son nom était Dame Linda Medley

A découvrir : quatre planches sur le site des éditions ça et là

A visiter : le site officiel de Château l’Attente (en français !) et celui (indipensable à voir !) de Linda Medley (en anglais…)

Chroniques BD

Tempus benedictus fantasisticus

Légendes des contrées oubliées : édition intégrale ( scénario de Bruno Chevalier, dessins de Thierry Ségur, Delcourt, 1989)
De la ville de Gaedor à la Gorge des vents brûlants, du pays des Songes au Pic de la mer, cinq voyageurs,en quête d’un nouveau roi, s’avancent en terres inconnues et réveillent à leur passage les haines ancestrales des anciennes puissances. Leur odyssée est devenue une légende.

 

 Une quête, trois nains, un voleur elfe (un Lin), un barbare, de la magie, des puissances divines et voilà posés les jalons de la fantasy. Si comme moi, vous êtes nostalgiques d’une époque où ce genre n’était pas un catalogue de clichés pour « Gros Bill » basés sur la notion de toujours plus (de monstres, de magies , d’humours, de glandes mammaires), époque où les scénaristes enrichissaient leur univers sans réutiliser systématiquement les mêmes formules commercialement viables, bref, si vous aimez la fantasy, la vraie, alors Légendes des contrées oubliées est pour vous.

Proche de la pure illustration le dessin rappelle que cette série en 3 tomes date de la fin des années 80, il peut décontenancer mais très vite on y trouve un réel intérêt. Ne serais-ce que par cet univers unique qu’il crée peu à peu. Le scénario est, quant à lui, digne des plus grands récits de fantasy. Sans s’écarter des schémas classiques du genre, il donne pourtant au lecteur sa leçon de récit bien bâtit. Bien sûr, nous n’allons pas vous révéler ici la moindre parcelle du mystère entourant la quête des nains. Ce serait un affront au talent des auteurs.

Personnellement, je n’avais pas lu une œuvre aussi abouti (en BD) depuis le dernier tome du premier cycle de la Quête de l’oiseau du temps. Car bien entendu, la comparaison avec la mythique série du talentueux Loisel est incontournable. Et à la lecture, il est bien difficile de les départager. Dans l’une comme dans l’autre, on revient aux origines. La quête et l’aventure ne sont plus prétexte aux errements militaro-simplistes de ces dernières années, mais bien une découverte de l’univers, de soi-même et des autres.

Les personnages, bien qu’issues directement de la tradition – comme Hûrl le chevalier-tonnerre ou Bragon le héros de la Quête – ne sont plus des caricatures

mais bien des éléments d’un univers aux équilibres subtiles et compliqués qu’on ne peut résumer aux luttes entre bien et mal. Chaque personnage subira à son tour les aléas du destin.
Plus fort que tout, cette BD nous rappelle pourquoi, un jour, on a aimé la fantasy : pour ses nobles sentiments, ses élans chevaleresques et romantiques issus des romans médiévaux et des contes, pour ses messages positifs et humanistes, pour cette curiosité inhérente au genre. Voici, une BD digne de cet héritage
et qui est indispensable à toute bédéthèque !
Pour finir, je dois remercier un des lecteurs de la médiathèque (encore un qui me prouve combien mon métier est formidable), futur très grand auteur de BD, pour ce conseil. J’ai  malheureusement oublié son nom… Mais on en reparlera.

A découvrir : le mini-site de présentation du jeu de rôle issu de la BD

Chroniques BD

Rose manga

Pink ( scénario et dessins de Kyoko Okazaki, Casterman, collection Sakka ou collection Ecritures)

Après Helter Skelter, chroniqué durant le mois d’aout, voici une autre petite merveille d’une très grande dame du manga, Mme Kyoko Okazaki.
Pink raconte l’histoire de Yumi, jeune fille de 22 ans, employée de bureau le jour et prostitué la nuit. Contrairement aux apparences, Yumi a choisi cette double condition qui lui permet d’être indépendante de sa belle-mère détestée et de nourrir tranquillement son animal de compagnie : un crocodile !
Un jour, elle rencontre Haruo, un jeune étudiant, apprenti écrivain et accessoirement amant de sa belle-mère !
Vous l’aurez compris en lisant ce petit résumé, le ton de ce manga est à l’image de son héroïne largement décomplexé ! S’il avait été par un homme, sans doute l’aurait-on qualifié de machiste, sexiste etc… Mais voilà, Kyoko Okazaki est bien une femme et elle n’a pas peur d’aborder crûment, mais sans vulgarité, un thème comme la sexualité. Si de nos jours, c’est assez banal, en 1989, date de parution de Pink, c’est une première.

C’est par un ton désinvolte, comique mais aussi cynique – incarné par Keiko, la petite soeur très adulte de Yumi – que Kyoko Okazaki  aborde la société japonaise. Critique vis-à-vis du monde de l’entreprise, du culte de l’apparence (la cruelle belle-mère), de l’hypocrisie des « biens-pensants » (voir la scène très drôle où après un séance, Yumi voit un de ses clients sado-maso à la télé), du monde littéraire (avec le personnage d’Haruo, pauvre garçon très légèrement débordé par la folie douce de sa copine), elle n’oublie pas pour autant d’évoquer les rêves, les ambitions ou les douces folies de son héroïne.

Cruelle parfois, déjantée souvent, entière, l’œuvre de Kyoko Okazaki a ouvert les portes à un manga pour femmes plus adultes. Si aujourd’hui Mari Okazaki (Complèment affectif), Erika Sakurazawa (Diamonds), Fumi Yoshinaga (All my darling daughters) ou Kiriko Nananan (Blue, Everyday) et bien d’autres peuvent aborder des thèmes aussi variés dans leur josei (manga pour femmes adultes) c’est bien grâce à leur glorieuse ainée.

Pour résumé, c’est un manga incontournable à mettre entre toutes les mains. Encore une pierre contre le mur des idées reçues qui commence juste à se fendiller.
A noter : deux versions disponibles : l’une dans la collection Sakka, l’autre dans la « select » collection Ecritures.

A lire : à lire une critique du site de la collection Akata (c’est marrant ça, Delcourt fait une chronique sur un album Casterman !!! )
A lire : une critique de sceneario.com

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