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Chroniques BD

In God we trust (Winshluss)

Saint-Francky, saint patron des amateurs de houblons et de bandes dessinées, nous racontent la merveilleuse aventure de la Bible. Dieu, Jésus et toute la bande vous attendent dans un livre à la fois fin, didactique et intelligent. Un livre à recommander en classe de catéchisme.

God is back… alleluia !

Après avoir tordu le cou à Pinocchio dans un des meilleurs albums des années 2000 (voire du siècle, facile on est au début) joué avec la mort dans son Death Club, raconté les aventures de Monsieur Ferraille, Winshluss revient avec un livre dont lui seul – et les Requins Marteaux – ont le secret.

Reprendre la Bible, surtout quand on fait dans l’humour en BD, c’est un peu un classique. Avant lui, des noms aussi illustres que Gotlib, Franquin (dans ses Idées Noires) ou plus récemment Robert Crumb (dans une Genèse très sage) s’y sont attelés. Cependant, je ne sais pas si l’un de ces auteurs a atteint un tel niveau dans la parodie volontairement crade et iconoclaste.

Si vous êtes un fervent chrétien pratiquant, amateur des messes en latin, incapables de recul et très chatouilleux sur les respects des icônes, oubliez ce livre. Oubliez cette chronique et, s’il vous plaît oubliez ce blog également. Encore une fois, je suis totalement réceptif à cet humour salement noir développé par cet auteur. Je n’y peux rien. Je suis sans défense face à ce démon.

Le ton est immédiatement donné par ce Saint-Francky, plus proche du pilier de bar que de la statue des églises. La Bible, Ancien et Nouveau Testament vont en prendre un sacré coup. Cette idée est confirmée avec l’arrivée de Dieu : cyclope, auréole en forme de triangle et look de biker. En fait, c’est le frère caché de Chacal, le père dans Litteul Kévin. Je passe sur les réinterprétations douteuses de l’histoire officielle qui – ne nous cachons pas – rend la Bible beaucoup plus intéressante du point du vue du mécréant que je suis. C’est méchant, drôle, irrévérencieux, souvent cruel mais tellement, tellement jouissif.

Virtuosité & bon goût

Outre ce côté parfaitement iconoclaste qu’on lui connaît, Winshluss fait encore l’étalage de tous ses talents d’illustrateur. Même s’il n’atteint pas vraiment le niveau de maîtrise graphique (et narratif) de Pinocchio – mais peut-on lui en vouloir vu la totale réussite de cet album –  il nous sert des pages de très haute volée. Il varie les formes, les approches, joue avec les styles graphiques, parodiant les œuvres religieuses classiques ou les comics (il y intégre Zombie, Super-héros et même un barbare bien connu en guest star) et montre encore une fois son érudition en matière de 9e art. Winshluss sait (presque ?) tout faire.

Afin d’ajouter un petite touche de surprise supplémentaire, il a convié son ami Cizo (avec qui il avait réalisé Monsieur Ferraille) pour réaliser les publicités parodiques qui ornent ce livre et se glisse entre les différentes histoires de longueur très variable. Je ne peux que remercier l’approche ouvertement trash de cet invité qui participe aux multiples ruptures de rythme de l’album. Je suis rarement choqué mais je dois bien avouer que j’ai encore du mal à me remettre de la pub « Lubrifiant Vatican »… Je vous laisse la surprise.

Pas besoin d’en faire trop pour vous inciter à lire cette relecture très irrévérencieuse de la Bible. Si, comme moi, vous sifflotez le Mécréant de Georges Brassens avec un certain plaisir. Je ne peux que vous conseiller In God we trust. Sinon, passez votre chemin sans même vous retourner. Même les religieux les plus libéraux risquent d’en prendre plein les yeux. Mention encore une fois spéciale aux Requins Marteaux pour la très belle édition.

In god we trust (one-shot)
Scénario et dessins : Winshluss avec la participation de Cizo
Editions : Les Requins Marteaux, 2013
Public : Adulte, assurément adulte
Pour les bibliothécaires : Pour les petits fonds, je préfère Pinocchio. Pour les moyens ou les grands ce n’est pas indispensable mais fortement recommandé.

Chroniques BD

Chronique | Punk Rock Jesus (Sean Murphy)

En 2019, un producteur de télévision a une idée géniale : cloner le Christ et en faire un héros de téléréalité ! Après avoir récupérer de l’ADN sur le célèbre Saint-Suaire de Turin, le projet J2 voit le jour. De quoi faire enrager un certain nombre de groupes intégristes…

Sombre Jesus

Punk Rock Jesus, voici un titre qui en dit long sur le degré hautement iconoclaste de cette série de Sean Murphy. Urban Comics nous proposent dans cette élégante intégrale de découvrir les 6 épisodes de ce récit d’anticipation venu tout droit de la collection Vertigo. Au programme : critique des pouvoirs religieux et médiatiques. Chouette ! En général, quand les américains traitent ces sujets, on se retrouve avec des œuvres à fort potentiel déjanté comme Preacher ou Transmetropolitan. Mais, dès les premières pages, le lecteur comprend vite que la comparaison s’arrête là. Graphiquement, on se situe plus du côté des romans noirs de B.M. Bendis avec des personnages sombres dans un graphisme sobre et réaliste. Ça sent le drame, la violence et la mort. Ça pue les manipulations, la dépression et le mal-être. Bref, on ne s’attend pas vraiment à rigoler. Et hormis le pétage de plomb de Chris – le fameux clone de Jésus (rassurez-vous je ne gâche rien, c’est sur la couv’) – il n’y a effectivement pas vraiment de raisons de se réjouir. Enfin, si, mais pas dans le sens d’un travail des zygomatiques.

Comme toute bonne œuvre d’anticipation, Punk Rock Jesus n’est pas un outil de prédiction mais un moyen détourné pour parler de notre société contemporaine… Dans son monde, Sean Murphy décrit le poids des intégrismes religieux, l’intolérance, le contrôle des masses et en décor le danger du dérèglements climatiques. Rien de bien futuriste, non ? Dans cette série-métaphore, l’auteur évoque aussi son propre parcours. Catholique convaincu, il est devenu athée en 2003 et toute cette œuvre sonne comme un terrible pamphlet et une tentative très indirecte d’explication de la perte de ses croyances.

Intégrisme(s)

Pour cela, il abuse de personnages-clichés qui se révèlent être particulièrement pertinents dans sa démarche. Ils ont l’effet de bonnes caricatures : grossir le trait pour dénoncer. Entre le producteur machiavélique, la jeune vierge qui ne comprend que trop tard son erreur, le gros bras ancien tueur de l’IRA et la scientifique de génie se vendant afin de sauver le monde grâce à ses recherches, nous sommes amenés à voir toutes les facettes, et en premier lieu les plus sombres, de cette humanité qui bascule dans une folie religieuse de premier ordre.

Au cours d’une histoire bien pensée où moments d’actions pures et phases d’introspection s’alternent avec un certain équilibre, les rebondissement ne manquent pas pour accompagner le lecteur. Chris est soumis aux aléas d’une existence qui le dépasse totalement. Quand il décide de prendre les choses en main, il bascule vers une réalité tout aussi crue avec toute la violence de ses 16 ans. Mais ce sont surtout les personnages et les évolutions de leurs psychologies qui présentent l’intérêt véritable de cet album. D’ailleurs et contrairement à ce que l’on pourrait penser, le personnage de Chris n’est pas véritablement un personnage principal. Il joue plutôt le rôle de plaque tournante. Tout tourne autour de cet astre, il est l’objet des désirs, des folies, des peurs et des espoirs. Car si Punk Rock Jesus est pamphlet violent (dans tous les sens du terme) contre la religion et les médias il se veut surtout une tentative d’exploration de la nature humaine. Les croyances ne sont-elles pas révélatrices de ce que nous sommes après tout ? Et avec cette fin à la fois ouverte et révélatrice, les questions ne cessent pas.

Toutefois, je mettrais un bémol à cette lecture sur un point très précis. Il me semble que tout en basculant dans l’athéisme farouche, Sean Murphy ne peut s’empêcher de tomber aussi dans une certaine glorification de la science moderne. Et la croyance en une science toute puissante, capable de résoudre les problèmes qu’elle a elle-même créé, me semble tout aussi discutable que les croyances populaires en un messie sauveur… D’une certaine façon, on tombe d’une fascination à l’autre. Cependant, derrière toute cela, entre croyance en un dieu ou toute  puissante pensée humaine, le message final, symbolisé par le Dr Epstein, met en avant la nature profonde de l’homme…

Avec cette œuvre engagée, Sean Murphy signe une œuvre sombre et riche en débats. Dépassant le seul pamphlet, il propose une lecture des ressorts des croyances humaines. Contrat plutôt rempli au final. Sacrément fort.

A lire : les chronique de Champi et Choco

Punk Rock Jesus (one-shot)
Scénario et dessins : Sean Murphy
Editions : Urban Comics, 2013 (19€)
Editions originales : DC Comics (Vertigo)

Public : Adultes
Pour les bibliothécaires : une bonne référence, public plutôt ouvert nécessaire

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