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Chronique | Terra Formars (Sasuga & Tachibana)

En 2599, le vaisseau Bugs 2 est envoyé sur Mars pour accomplir la dernière phase de la terraformation : éliminer la vermine envoyée 500 plus tôt par les scientifiques pour accélérer le processus. Mais à leur arrivée, les 15 jeunes nettoyeurs sont confrontés à un danger imprévu… et mortel. Les cafards ne semblent pas vraiment prêts à se faire massacrer.

Amis de la science, rangez vos lunettes (astronomiques), vos photos de nébuleuses et vos dédicaces d’astronautes. Amis de la science-fiction, oubliez Asimov, Herbert ou Moebius. Vous pouvez tous poser cette série et partir loin. Ici, pas vraiment de matière grise mais du muscle, de la brute, du rentre-dedans… Bref, Terra Formars s’inscrit dans la grande tradition du manga de baston. Ajoutons-y une belle pointe de Survival Horror (un mélange de Alien 2 et de Starship troopers). Bref, un Seinen avec du sang, des têtes arrachés, des tripes à l’air, de la tragédie pas vraiment tragique et bien entendu, des supers-combattant(e)s qui ne se laisseront pas défoncer par des cafards génétiquement modifiés. Faut quand même pas pousser mémé dans un trou noir !

ça c’est un cafard martien… Si, si !

Si nous nous la jouons un peu scientifique, partons du principe A : les cafards envoyés sur Mars des siècles plus tôt sont devenus des humanoïdes. Mais ces derniers ont gardé leurs caractéristiques de  résistance, vitesse et force… proportionnellement à leur nouvelle taille. Autrement dit, des humains normaux n’ont aucune chance face à ces adorables bêbêtes. Ce qui fut le cas d’une première mission (n’ayez pas peur, je dévoile à peine le début). Ajoutons à A, la variante B, seconde idée d’un scénariste décidément en état de grâce : les membres de l’équipage Bugs 2 ne sont pas de simples humains comme vous et moi. Après une opération extrêmement dangereuse (30% de survie), ces jeunes et pauvres gens ont reçu des caractéristiques génétiques d’insectes qu’ils activent grâce à un sérum spécial. Évidemment, tous des insectes rares ou extrêmement dangereux (le papillon s’est joli mais faut ce qu’il faut). J’ai apprécié le côté documentaire avec des fiches complètes sur certains insectes utilisés. Marrant.

Et ça c’est un humain énervé…

Pas besoin d’avoir fait une thèse de génétique appliqué à la bande dessinée japonaise pour avoir un début d’idée quant au déroulement de cette histoire simple. Toutefois, Yu Sasuga essaye de donner une certaine profondeur à l’ensemble en jouant sur un fond de drame social à partir de focus et de flashbacks sur le passé de personnages principaux. Outre la surpopulation terrienne, la plupart des personnages sont issus de milieux très défavorisés et ont acceptés cette mission contre une grosse somme d’argent (à leur retour évidemment, de quoi faire des économies). Si ces gros plans ne sont pas anecdotiques dans l’histoire, le scénariste les intégrant plutôt bien, leur manque de surprises – voire parfois les clichés qu’ils suscitent – ne permettent pas d’y croire totalement. Bref, côté scénario… Pourrait mieux faire.

Mais, finalement, dans ce genre de manga, l’action prime davantage sur les petites histoires de cœur ou les drames humains. On pose le cerveau dans un coin et c’est parti pour une suite de combats à mort chargés de rebondissements spectaculaires et visuels. Très efficace. C’est vrai, on ne s’ennuie pas dans ces moments-là. La curiosité gagne même le lecteur en attendant que les pouvoirs génétiques des personnages soient dévoilés peu à peu… Rendons grâce également au dessinateur Ken-Ichi Tachibana pour un design character plutôt réussi et une réelle lisibilité des scènes d’actions, un élément important dans ce genre de manga.

Bref, vous l’aurez compris, un manga gros bras pour des amateurs adultes du genre. Cependant, l’ensemble manque un peu d’originalité… ou alors possède un côté parodie/kitch assumé. Heureusement, la partie graphique est bien supérieure à la partie scénario. Visuellement, c’est agréable. Toutefois, si vous aimez le manga baston qui saigne avec un timbre-poste en guise d’histoire, je vous conseille plutôt Jackals. Plus efficace et qui a eu la bonne idée de ne pas trop durer…

A lire : la critique du volume 1 par Manga-News

Terra Formars (5 volumes, 8 volumes au Japon, en cours)
Scénario : Yû Sasuga
Dessins : Kenichi Tachibana
Editions : Kaze Manga, 2013 (7,99€)
Editions originales : Shûeisha, 2011
Public : Adultes

Pour les bibliothécaires : A voir en fonction de la durée de la série. Dans le style combat bourrin pour adultes, je préfère de loin Jackals (7 volumes seulement). Peut-être pas la peine de se ruiner.

Chroniques BD

Chronique | Aâma T.1 (Frederik Peeters)

C’est au sommet d’un cratère volcanique sur une terre inconnue que se réveille Verloc. Il ne se souvient de rien, ou presque… Quand un étrange singe androïde prénommé Virgile le rejoint, il répond à ses questions en lui tendant un petit carnet. Un journal de bord écrit de la main même de Verloc… Une aventure qui débute dans un caniveau…

Entamer la lecture d’un nouvel album de Frederik Peeters, c’est toujours un moment d’excitation pour moi. C’est un auteur qui m’accompagne maintenant depuis très longtemps. Un auteur que j’ai découvert quand j’ai commencé à travailler en bibliothèque et que j’ai toujours suivi depuis. Moi, je suis toujours bibliothécaire, lui est toujours explorateur d’horizon nouveau. Mais vous êtes bien placé pour le savoir car vous lisez IDDBD depuis longtemps (si, si !)

Retour vers le futur ?

Avec Aâma, l’auteur suisse revient à la SF, un genre qui lui avait plutôt réussi avec sa série Lupus. Pourtant, les liens entre les deux séries ne se font pas vraiment. Pourquoi ? La couleur déjà. Alors que Lupus était en noir et blanc, avec un trait épais et virevoltant dans des circonvolutions parfois étranges, Aâma est une œuvre au dessin réaliste (pour du Peeters) et composée dans une large gamme de couleur. Ce choix permet à Fred Peeters de donner une profondeur nouvelle à son récit car la couleur tend à créer des univers uniques, parfois saisissant, alors que son dessin s’est épuré depuis Lupus.

On serait toutefois tenté de lier les personnages de Lupus et Verloc. Il est tout à fait possible d’y trouver des points communs : leur utilisation répétée de la drogue pour fuir la réalité (le shia), l’image du père, l’attachement à un côté désuet, le départ… Mais est-ce suffisant ? A trop vouloir de ressemblances ne risque-t-on pas de passer à côté d’Aâma ?

Sciences humaines

Ce premier chapitre ne nous ne donne qu’une partie les clefs d’une intrigue complexe. Débutant comme un pur récit de science fiction, Fred Peeters y ajoute l’ingrédient essentiel de toutes ses œuvres : l’humain. Si l’humanité est au centre du récit, sa frontière est extrêmement floue. En effet, les êtres vivants sont pour la plupart bourrés d’implants leurs permettant de contrôler leurs équipement mais aussi de survivre dans des environnements hostiles ou devenus instables pour leurs survies. Cette humanité est symbolisée par les trois personnages principaux : Verloc qui a décidé de retirer ses gadgets, le singe-robot fumeur de cigares Churchill et Conrad, l’étrange frère de Verloc, qui semble parfois le plus artificiel des trois avec ses vêtements rétro et son attitude froide. Chacun présente un visage bien particulier, un visage d’une humanité évoluée, un visage qui risque bien de changer dans les tomes suivants.

Mais ce changement, on ne peut que le constater dès le début de ce premier volet. Quant à savoir comment ? Le lecteur est comme le personnage principal, il découvre le récit au fur et à mesure par les flasbacks successifs des lectures du journal de bord de Verloc. Un journal écrit sur un vrai carnet en papier dans un monde où les livres papiers sont devenus des pièces d’antiquité. D’ailleurs Verloc est libraire, chacun appréciera le clin d’œil (surtout en ce moment). Mais voilà, ce ne sont que des premières pièces et en refermant ce livre il nous tarde d’en savoir plus. On a la sensation que cette histoire ne sera définitivement close qu’en bas de l’ultime planche de l’ultime volume. Et encore… quand on connaît les albums précédents chargés de questions en suspens… Bref, j’avoue pour une fois ma frustration face à un album de Peeters. Ce n’est pas mauvais mais ce n’est pas fini… Je veux la suite (là vous devez m’imaginer en train de pleurer en trépignant sur mon clavier – j’ai pris des cours avec mes filles).

Que vous dire de plus ? Si vous avez aimé Lupus, lisez Aâma. Nous sommes ici dans un registre à la fois identique et fort éloigné. Un livre qui s’inscrit dans la tradition de l’œuvre de Frederik Peeters mais aussi dans celle de la pure SF où la part philosophique n’est pas exclue. Mais c’est un livre frustrant car il constitue la première (et pour l’instant unique) pièce d’un puzzle ambitieux et passionnant, une aventure extra-terrestre qui nous entrainera loin dans les profondeurs de l’âme humaine. Œuvre majeure ou pas ? Patience…

A voir : l’interview réalisée par BD Maniac à Saint Malo
A lire : l’interview réalisé par Angles de vue
A lire : l’analyse des planches par Fred Peeters sur Télérama

A découvrir : le projet Aâma, blog tenu par Frederik Peeters

 

scénario et dessins : Frederik Peeters
Éditions : Gallimard (2011)

Public : Adulte, amateurs de SF.
Pour les bibliothécaires : sauf mauvaise surprise un futur must. A acheter si vos lecteurs apprécient cet auteur, sinon vous pouvez attendre la suite.

Chroniques BD

Un monde précieux

La cité saturne (scénario et dessins de Hisae Iwaoka, Kana, série en cours)

Dans un futur plus ou moins proche, la terre est devenue une zone inhabitable. Les habitants se sont donc réfugiés dans un anneau orbital entourant la planète à plusieurs millieurs de kilomètres de distance. Cet anneau est divisé en 3 niveaux, correspondant chacun à une strate sociale. Le niveau supérieur est composé des plus hauts dirigeants et des personnes les plus riches, les niveaux inférieurs étant réservés aux « gens du commun ». C’est dans le niveau intermédiaire que Mitsu termine ses études. A peine sorti du collège, le voici recruté par le syndicat des laveurs de vitres. A priori, un petit job tranquille ? Sauf, qu’il ne s’agit pas de laver les carreaux de mamie ! Non, Mitsu et ses collègues sont chargés des vitres extérieures de la méga-structure. Autant dire que ce n’est pas un travail de tout repos ! Entre les chutes d’objet stellaires, les glissades, les UV et les vents, ce travail est même dangereux. D’ailleurs, 5 ans auparavant, le propre père de Mitsu est tombé. Depuis, le syndicat refusent systématiquement les contrats rares mais trop dangereux émanant du niveau inférieur. Ce dernier est donc condamné à la crasse des poussières stratosphériques. Voici donc Mitsu, avec le souvenir de son père en tête, faisant l’apprentissage d’un monde professionnel propre à ces métiers durs, où honneur, courage & humilité sont au rendez-vous.

Malgré des normes graphiques historiquement établies, l’univers du manga possède des dessinateurs avec des traits particulièrement reconnaissables. Je songe en particulier à des auteurs comme Taniguchi, Kiriko Nananan, Ebine Yamaji, Hiroaki Samura (L’habitant de l’infini). Au hasard de mon butinage hebdomadaire dans ma librairie, j’ai entr’aperçu ce petit manga au dessin arrondi et immédiatement un doute m’a assailli… J’avais déjà vu ça ! Ce dessin faussement naïf mais fourmillant de détail, cette atmosphère particulière plongée dans un univers cotonneux prenant, attirant, une atmosphère où réalisme et songe se retrouvent. Ah oui j’avais déjà vu ce dessin ! J’ai acheté ce premier volume et ce n’est que rentré chez moi que j’ai levé le mystère : YumenosokoHisae Iwaoka était donc cette formidable mangaka qui m’avait enchanté il y a deux ans avec ce one-shot déjà enthousiasmant !

C’est donc avec un apriori favorable que j’entamais complètement la lecture de cette Cité Saturne… et c’est avec ce même sentiment que je la refermais. Ce premier volume est assez classique pour un manga. Il pose les jalons de l’univers, situant les personnages principaux et secondaires et déroulant le fil rouge de l’histoire : le mystère entourant la chute de son père et indirectement la fascination du père et du fils pour la planète originelle. Mais la grande force de ce manga tient tout autant à sa construction solide qu’à la multiplication de trouvailles farfelues et poétiques symbolisés par les multiples découvertes de notre héros. L’extérieur regorge de détails et finalement, ce no man’s land apparaît bien plus peuplé que prévu. De souvenirs évidemment, mais aussi de rencontres avec les êtres improbables le peuplant et surtout avec les clients. Entrant indirectement dans l’intimité de ces gens, ces laveurs de carreaux bénéficient d’une liberté aérienne qui font d’eux des êtes à part dans cette civilisation enfermée et constituent peut-être un élément lui permettant de rester liée. Mais en ont-ils conscience ? Pas sûr. Certainement pas. Et pourtant, même s’il se l’explique mal, tous ces travailleurs de l’extrême sont attachés à cette façon de vivre un peu particulière. Finalement, avant d’être de la SF, La Cité Saturne parle avant tout de l’humain, de la vie.

Cette improbable histoire de laveurs de carreaux stratosphériques est entrainante, surprenante et d’une poésie qui semble propre aux œuvres d »Hisae Iwaoka. Une œuvre légère, simple mais loin d’être superficielle. Bref, une série à suivre (tome 3 prévu début mai 2010) et comptez sur nous pour ça !

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