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Chroniques BD, Recommandé par IDDBD

City Hunter (Tsukasa Hojo)

Quand vous n’avez plus d’espoir, que la justice ou la police ne peuvent plus vous aider, alors laissez le message XYZ à la gare de Shinjuku. Car dans la jungle du quartier tokyoïte, le duo City Hunter règle les affaires sensibles. Derrière ce pseudonyme se cache le sage Hideyuki Makimura et l’exubérant Ryo Saeba. Un duo de choc dans une ville menacée par les cartels de la drogue sud-américains.

De Nicky à Ryo

City Hunter est surtout connu par le grand public grâce à son adaptation TV : Nicky Larson. Si cette version française a rendu service à la série et à l’introduction du manga en France en étant l’un des grands succès de la génération Club Dorothée (de 1987 à 1991), elle a également contribué à donner une image très décalée de l’œuvre originale. La faute à une censure et à un doublage farfelue qu’on hésite à qualifier de mythique ou de summum du ridicule. Il fallait donc se replonger dans le manga publié de 1986 à 1992 dans le Jump pour découvrir les  aventures originales de Ryo Saeba. Pour le replacer dans l’histoire du manga, il faut se rappeler que les années 1970-1980 sont un peu l’âge d’or de la bande dessinée japonaise contemporaine. Les jeunes auteurs nés dans les années 50 ou 60 bénéficient des avancées artistiques des pionniers d’après-guerre et font preuve eux-mêmes d’une grande créativité. Dragon Ball, Akira, La Rose de Versailles et City Hunter font partie des réussites majeures de cette période.

Schizophrénie à la japonaise

Le succès et le ressort même de cette série reposent sans conteste sur la personnalité de Ryo Saeba, le fameux « nettoyeur ». A la fois loup solitaire et joyeux drille, grand professionnel et détraqué sexuel, il est surtout clown qui cache sa sensibilité sous le couvert du n’importe quoi. En fait, l’apport même de City Hunter à la bande dessinée japonaise est justement la popularisation d’un héros porteur du fameux double héritage culturel (cf la première partie du texte de la formation manga). Ryo Saeba est à la fois la figure du samouraï chère à la tradition noble et bourgeoise de l’ère Edo, mais il est aussi l’héritier des personnages de récits populaires bénéficiant d’un rapport au corps très libre. Cette liberté est d’ailleurs souvent une source d’incompréhension pour le lecteur occidental de manga.  Ainsi, le lecteur de City Hunter sera constamment balancé entre scènes d’actions sérieuses et moments franchement décalés où sexualité et ridicule sont la règle. Comme symbole, le fameux Mokkori, instant de grâce ultime où Ryo Saeba réagit de manière très masculine à une situation d’excitation particulièrement érotique (pour lui). Bref, pour ceux qui ne connaissent pas… je vous laisse découvrir.

Belles formes et actions : l’art de Hojo

Durant 32 volumes, soit 336 chapitres, le cowboy au grand cœur fera régner la justice face à des adversaires toujours renouvelés à coup de gros flingues (Freud mon ami !) et de coup de poing. Même si globalement les ressorts sont toujours un peu les mêmes, Tsukasa Hojo a su entourer son personnage principal d’une galerie de second rôle tout à fait croustillant. En tête, ce faux second rôle qu’est Kaori (la fameuse Laura de l’adaptation TV française). La sœur de Hideyuki entre tragiquement dans la vie de Ryo. Sous ses airs de garçon manqué, elle prend une place prépondérante dans la série. Si City Hunter est un polar, l’auteur y fait entrer une histoire d’amour. Qui a dit que les garçons (public cible de ce manga à la base) n’aimaient pas les romances ? Cependant, cette dernière est bien cachée par le côté ouvertement érotique de la plupart des protagonistes féminins secondaires. Ce côté « belle forme » est une marque de fabrique chez Hojo. Pour rappel, il est également le créateur de jolies voleuses de Cat’s eyes. Ce choix assumé est particulièrement efficace grâce à l’approche réaliste de son dessin. En effet, il a su intégrer les codes graphiques du manga hérité de ses aînées tout en développant sa propre forme. Ainsi, on oublie (un peu) les caricatures et les grands yeux pour des personnages fortement sexués et des décors réalistes. Gardant un découpage très nerveux, Tsukasa Hojo donne beaucoup de rythme à ses aventures, ménageant avec efficacité moments d’actions et de rigolades. Et c’est vrai, on rit beaucoup tout en étant pris par les histoires (environ deux par albums). Pour conclure, un classique… et quel classique ! Bénéficiant d’une image brouillée en France, City Hunter n’en demeure pas moins une œuvre importante du shonen manga (même si je le conseille plutôt pour un public plus adulte). A la fois drôle et bourré d’action, ce manga a ouvert la voie à des personnages de « clowns nobles » (Eikichi Onizuka de GTO par exemple) et montre toutes les qualités graphiques et narratives d’un auteur incontournable. Bref, à découvrir… ou redécouvrir !

City Hunter (32 volumes, série terminée) Dessins et scénario : Tsukasa Hojo Editions : Panini, 2005-2012 (10€) Editions originales : Shueisha, Tokuma Shoten, 1986-1992 Public : Adulte Pour les bibliothécaires : Considéré comme un shonen (public ado garçon) à sa sortie. Pour moi un indispensable en rayon adulte. Sous réserve de pouvoir acheter les 32 volumes. Mais bon… un classique quand même !

Chroniques BD

Chronique | Comédie Sentimentale Pornographique

scénario et dessin Jimmy Beaulieu (Québec)
Editions Delcourt (2011)
Collection Shamphooing
Public : Adultes
Pour les bibliothécaires : un très bon album d’un auteur québécois. Pas essentiel dans un fonds moyen.

Histoire de Q

Je ne partage pas vraiment l’enthousiasme des foules sur le retour de la BD érotique. C’est vrai que  ça revient à la mode, d’ailleurs même les éditeurs de BD bien commerciales vendues chez Carrefour entre les légumes et les pots de haricots verts (bios de préférence) s’y sont récemment remis… Comme quoi les popotins, ça marche toujours.
Bref, c’est vous dire, si le titre « Comédie sentimentale pornographique » ne me donnait pas franchement envie de découvrir pour la première fois l’œuvre du québécois Jimmy Beaulieu.
Mais ne cherchez pas, en ce moment je suis difficile.
La preuve, j’avais tord.

Comédie Sentimentale Pornographique est même une très agréable découverte. Je ne sais pas dans quelle mesure Jimmy Beaulieu a été influencé par la « Nouvelle BD » européenne mais une chose est sûre, son album entre dans la droite ligne éditoriale de la collection dirigée par Trondheim. On retrouve un trait faussement simpliste, très énergique et expressif. Jimmy Beaulieu fait surtout preuve d’un réel talent d’écriture. Il fait cohabiter deux histoires qui ont uniquement deux points communs : une femme et un livre. La femme c’est Corrine, petite amie de Louis Dubois, réalisateur de film pour l’argent et auteur de BD pour le plaisir. Tous les deux sont fans des romans de Martin Gariépy, lui-même amoureux d’une lesbienne nommée Annie qui est en fait l’ex de …. Corrine ! Ah oui, j’oubliais, Louis quitte Montréal pour s’affranchir de la civilisation dans un hôtel perdu (qu’il vient d’acheter) d’une région perdue.

Comédie sentimentale pornographique est donc une suite de scènes et une série de portraits liées par ces hypothétiques fils rouges que sont l’amour, les souvenirs, les fantasmes, une sexualité très assumée. Mais ici, le sexe n’est pas bardé de toute moralité ou immoralité. Il est vécu bien simplement, à la fois comme plaisir, dialogue et terreau de créativité. En fait, l’album est bien plus « érotique » que « pornographique ». Car la créativité est aussi un thème récurrent de cet album. Entre l’écrivain et le dessinateur, l’un se nourrissant du souvenir fantasmagoriques de la petite amie de l’autre, la différence n’est finalement pas si grande. La présence d’un extrait du roman écrit par Martin à chaque début de chapitre fait écho à l’une des scènes où Louis parle de son travail à Corrine.

Je ne résiste pas à vous retranscrire le dialogue :

–    Sérieux ! J’comprends pas pourquoi tu t’entêtes à faire un nouveau livre ! T’en as déjà fait 10000 !
–    Pffff ! C’est du dessin ! ça intéresse personne! Les gens veulent qu’on leur raconte des histoires!
–    Mais c’est super beau !
–    Beau, beau… on s’en fout que ce soit beau… il y tellement plus que ça dans le dessin quand on a appris à regarder au-delà de la surface.

Si au début de l’album on se dit : où va-t-on ? On se laisse entrainer peu à peu par ces vagues de sentiments et de situations contradictoires. C’est très plaisant de parcourir les envies et les sentiments de ces personnages. Et pour reprendre les propos de Louis, sous le vernis du dessin érotique on trouve une grande pudeur chez des personnages auxquels on s’attache très rapidement. Si tous ont des manières différentes de chercher, tous sont en quête de sens  par l’écriture, l’isolement ou l’amour.

Pour conclure, Jimmy Beaulieu rejoint la longue liste des auteurs de BD québécois que je relirais avec plaisir ! Avec Comédie sentimentale pornographique, il signe un album d’une extrême finesse où vulgarité et voyeurisme sont complètement absents. Un très bel album où poésie et onirisme règnent en maître. Merci à Babelio et à leur opération Masse Critique de m’avoir fait découvrir cet album !

A découvrir : le blog de Jimmy Beaulieu

A lire : la chronique de Sud-Ouest

A lire : un entretien (rapide) avec Jimmy Beaulieu

A noter : cette chronique a été faite dans le cadre de l’opération Masse Critique de BabelioCliquez ici pour voir les autres critiques sur cet album

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