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Mini-chronique

Mini-chroniques | Saucisse, patrimoine, rail et goodbye…

Quelques jours avant Noël, je vous propose une petite série de mini-chroniques, comme ça, sans prise de tête, juste histoire de se faire une petite synthèse de mes dernières lectures. J’ai lu beaucoup de choses mais pas forcément de quoi en faire une chronique intéressante… positive ou négative. Bref, rien qui me permettent d’argumenter un peu.

Du patrimoine en BD

On commence avec Les mystérieux mystères insolubles de Grégoire Kocjan (scénario) & Julie Ricossé (dessins) chez Les ateliers du Poisson soluble publié en 2014.

Cette série en 6 volumes (j’ai reçu les volumes 5 & 6 en service presse) propose de suivre les aventures des agents de la ZIZEMPC (Zorganisation Internationale et Zecrète des Enfants qui en ont Marre d’être Pris pour des Imbéciles) dans des enquêtes étranges à travers le patrimoine de la région Centre. Oui, ça ressemble bien à une commande. Les deux volumes que j’ai eu entre les mains ont pour cadre la ville de Blois et à la Cathédrale de Chartres.

Je dois avouer que je suis assez mauvais client de ce type d’ouvrage pédagogico-ludique. En général, ils sont assez mal fait. Sous couvert d’aventure, on nous propose des un discours bourré de poncifs et pénible comme la pluie. Dans le cas de cette série, je dois avouer que j’ai été plutôt agréablement surpris par les premières planches. Une histoire dynamique qui ne s’essouffle pas, un humour léger qui devrait plaire au plus jeune, quelques clins d’œil. Bref, ça s’assume.

De plus, l’éditeur a eu la bonne idée de proposer un format oblong assez surprenant avec une partie « histoire/BD » en haut et une bande « pédagogique/exposé photo » en bas. Un choix qui n’alourdit pas l’histoire et qui permet d’intégrer des éléments culturels intéressants. On peut facilement lire la partie BD et revenir plus tard à la partie photo et réciproquement. Côté graphisme, j’ai trouvé le dessin et le découpage plutôt intéressant, même si parfois un peu inégal sur certaines planches.

Cependant, le gros problème de cette série est la chute de chaque histoire. Pour les deux albums, j’ai eu deux fois la même réaction : une frustration devant l’impression de fin bâclée. Grégoire Kocjan arrive à nous emmener avec lui mais terminent son histoire en 2 planches quand il en aurait fallu 5 ou 6 de plus. Pour une fois qu’une série pédagogique pouvait s’avérer pas trop mal réussie, elle est gâchée par un final peu enthousiasmant. Je le répète, c’est vraiment dommage.

Boucherie, cocufiage et bande dessinée

On continue avec Crève saucisse de Simon Hureau au dessins et l’incontournable Pascal Rabaté  au scénario. Je n’oublie pas Claire Champion aux couleurs. Album publié en 2013 chez Futuropolis et qui avait fait un petit peu parler de lui à l’époque.

Si je pouvais résumer cette histoire en une phrase je dirais : il s’agit du récit de la vengeance d’un boucher cocu fan de BD. Et oui, tous les éléments sont importants.

Rabaté est vraiment un maître dans l’art de raconter les drames des gens du commun. Avec lui, pas de milliardaires bondissants ou de super-héros volants, Crève saucisse est le récit simple et déchirant d’un basculement d’un homme. Il met en scène un personnage particulièrement touchant. Un homme normal qui perd pied par trop de souffrance. Sa psychologie est remarquablement mise en place jusqu’au moment où… C’est subtil, simple mais subtil.

Côté graphisme, je ne suis pas un très grand fan du travail de Simon Hureau. C’est peut-être pour cela que je ne suis pas complètement entré dans cet album. En fait, je reste totalement hermétique  à son dessin car j’ai tendance à me perdre dans ses traits très compacts. Toutefois,  la couleur de Claire Champion réussit à rendre l’ensemble plus visible pour moi. Cependant, je trouve que le lien ne se fait pas vraiment avec le scénario.

Au final, un album à découvrir si vous aimez les drames sociaux… mais seulement si le dessin de Simon Hureau vous convient.

Cataclysme documentaire

Santetsu : 11 mars 2011 – Après le cataclysme de Koji Yoshimoto revient sur le drame japonais de l’année 2011.

Tout le monde connaît les conséquences du séisme qui a eu lieu au large du Japon en 2011. Les images du Tsunami qui ont ravagé l’archipel nippon ont fait le tour du monde. Sans parler de Fukushima. Dans ce cadre, la ligne de chemin de fer Sanriku, célèbre au Japon pour son charme, fut complètement ravagé par la catastrophe. Sorte de lien social pour toute la communauté, les ouvriers du rail ont décidé de la remettre en marche le plus rapidement possible. Ce manga-documentaire créé à partir de témoignages récoltés parmi les cheminots et les habitants racontent cette histoire.

Comme souvent après les drames, les créateurs s’approprient les histoires et les réutilisent pour raconter les évènements de leur point de vue d’artiste. Cinéma, littérature, bande dessinée, peinture, etc… Les œuvres sur le drame japonais ne manquent pas depuis 2011.Ici, Koji Yoshimoto, qui se met d’ailleurs lui-même en scène dans son manga, raconte la longue remise en marche d’un petit train. On ne peut qu’admirer cette solidarité et ce courage devant l’adversité. Peu de plainte, beaucoup d’action, de générosité et de patience. Les différents récits sont des exemples pour nous tous.

Côté artistique, je regrette juste le manque de créativité. C’est très classique, trop classique pour éveiller autre chose que de l’intérêt pour les histoires racontées. De plus, même si je ne suis pas d’une exigence folle avec les mangakas j’ai peu apprécié les dessins. Disons que c’est parfois à la limite du rétro, genre manga classique des années 70-80. Je n’ai rien contre ce style, mais en 2014…

Si on n’est pas trop exigeant sur la forme, le fond est vraiment à découvrir

Salut les artistes !

Pour finir, l’ultime volume de Bakuman de Obata et Obha chez Kana.

Ce n’est pas vraiment une chronique, même mini, mais plutôt un hommage à une shonen-manga qui se termine. Un manga sympa qui m’a tenu en haleine jusqu’au bout malgré ces 20 volumes. Beaucoup d’énergie et de qualité chez ces deux auteurs habitués au haut du panier (Death Note notamment…). J’en ai déjà suffisament parler pour ne pas revenir dessus. Vous pouvez retrouver nos chroniques.

Bref, un manga à découvrir pour découvrir d’une manière romancée (et un peu romantique) l’autre facette de la vie des mangakas !

Chroniques BD

Ma révérence (Lupano et Rodguen)

Vincent est un trentenaire paumé. Pour sortir de sa condition, il prépare l’attaque d’un fourgon blindé avec son vieux pote, Gabriel, alias Gaby Rocket, un quinquagénaire tout aussi perdu que lui. Pour cela, ils vont prendre le fils du chauffeur en otage. Mais voilà, nos deux apprentis malfrats ne sont pas des pros et les imprévus se succèdent.

Faux polar

Ma révérence a reçu le prix polar au festival d’Angoulême en 2014. Bravo à Rodguen (aux dessins), Ohazar (le coloriste) et à Wilfrid Lupano qui est décidément un scénariste qui a le vent en poupe. C’est très bien excepté que Ma révérence n’est pas un polar.

Si on se base sur une définition stricte, à savoir qu’un polar intègre une enquête, un mystère et un policier (ou un détective) comme personnage principal. Ici, rien de cela. A y regarder de plus près, même sans cette définition stricte, cette histoire est avant tout une affaire de personnages, de contexte social, d’utopie et de quête de soi. Les deux apprentis malfrats ne sont pas des durs, mais deux types un peu paumés en décalage avec la réalité qui les entoure. Bref, de magnifiques losers comme on les aime. L’un poursuit un rêve, l’autre survit malgré tout. Nous pourrions presque nous passer du « casse de fourgon » tant il paraît anecdotique à côté de l’aspect quasi-sociologique présentant une France des années 2000 en manque de repères.

Vrai réalisme

C’est là toute la force de l’écriture de Wilfrid Lupano. Il décrit avec beaucoup de justesse, mais aussi d’humour à travers des dialogues incisifs, une société où racisme, individualisme, quête de l’apparence, manque de courage sont au cœur des préoccupations et des débats. Vincent et Gaby n’échappent pas à ce contexte mais ce sont surtout les personnages secondaires nombreux qui enrichissent tour à tour le cadre de cette histoire.

Côté récit, l’ensemble est d’une grande fluidité et on prend plaisir devant les multiples rebondissements. Le dénouement ne surprendra toutefois pas vraiment le lecteur. Ce n’est pas grave car l’intérêt de cet album est ailleurs. Graphiquement, le dessin et la couleur rappellent le travail d’un illustrateur comme Gazzotti (Seuls). Un trait plutôt classique mais qui correspond à l’esprit particulièrement réaliste de cet album. Classique mais efficace, donc !

Finalement, cette lecture est agréable. Je doute toutefois que cet album demeure dans les mémoires très longtemps. Référence politique, sociale, graphisme très classique oblige. Toutefois, on prend un vrai plaisir à suivre les aventures de ce personnage plutôt positif qu’est Vincent. Looser ? Pas tant que ça. Un bon album, ça c’est sûr !

A lire : la critique de Mo’

Ma révérence (one-shot)
Scénario : Wilfrid Lupano
Dessins : Rodguen
Couleurs : Ohazar
Editions : Delcourt, 2013

Public : Ados-Adulte
Pour les bibliothécaires : un bon album, un prix, de quoi plaire aux lecteurs.

Chroniques BD, Recommandé par IDDBD

Chronique | GTO : Great Teacher Onizuka (Toru Fujisawa)

Eikichi Onizuka, 22 ans, toujours puceau ne sait pas vraiment quoi faire de sa vie. Par un improbable concours de circonstance, il devient enseignant stagiaire dans un collège privée très réputé ? Mais comment lui, issu d’une université de 5e catégorie, ancien chef de gang bosozoku (motards), va-t-il faire face aux élèves, enseignants et parents qui veulent tous sa peau ? Avec fantaisie, humour, inventivité… et pas mal de surprises.

Un classique des 90′

Je profite de mes vacances d’été pour relire quelques classiques et GTO fait incontestablement partie de cette catégorie. Dans le style Shonen Gankuen – les histoires se déroulant en le milieu scolaire – c’est tout simplement un incontournable. De 1997 à 2002 et 25 volumes, Tôru Fujisawa et son équipe ont conquis un grand nombre de lecteur. Depuis de nouvelles séries de mangas, une anime (43 épisodes), des dramas ont vu le jour… La preuve d’un succès populaire incontestable.

Pourtant, GTO dresse un portrait particulièrement sombre du système éducatif japonais : violences, intimidations, abandons, suicides, obligations de résultats, égoïsme, parents absents, professeurs désabusés ou obsédés… Des jeunes filles sont la proie de détraqués sexuels à tous les coins de rue ou dans les transports. Des jeunes garçons sont complètement perdus dans un monde qui ne leur donne pas de repères. Nous sommes clairement dans le manga des années 90, mélange des grands thèmes d’après-guerre (la perte de confiance envers les adultes) et de cette remise en cause des valeurs du miracle japonais né avec la bombe Akira quelques années plus tôt. Pour rappel, en 1997, date du début de publication de GTO, le japon se remet à peine de l’éclatement de la bulle économique.

Héros, culottes et grandes valeurs

Au milieu de ce petit monde : Eikichi Onizuka. 22 ans, puceau, ancien chef de gang, capitaine de l’équipe de karaté d’une université pourrie où il est rentré en envoyant quelqu’un d’autre à sa place. Il est nul, ne connaît rien hormis les motos et pourtant…

Ce dernier se situe dans la droite ligne de ces héros des années 80/90 totalement anticonformiste mais porteur de réelles valeurs humaines. En fait, Onizuka est plus proche d’un Ryo Saeba (Nicky Larson en français) que du Gérard Klein dans l’Instit. Violent, obsédé sexuel, ados totalement attardé ne s’intéressant qu’à des futilités, il débarque un jour dans ce petit monde, semble mettre le bazar mais règle finalement les problèmes les uns après les autres. Au cours des 25 volumes de GTO, les soucis qui se posent à lui sont aussi variés que surprenants. Mais Tôru Fujisawa trouvent sans cesse de nouvelles façons de rebondir pour nous plonger un peu plus dans son monde. Ainsi, les nombreux cycles de cette histoire sauront vous faire découvrir de nouveaux aspects de la personnalité des personnages. Ados, profs, parents, tout ce petit monde qui forme une grande communauté à la fin de l’histoire, trouvera le moyen de vous séduire… et surtout de vous faire rire. Car c’est avant tout le but de GTO.

Cet humour est parfois très pipi-caca-petite-culotte blanche et saignement de nez. On peut d’ailleurs légitimement se poser la question de la présence de GTO dans la catégorie manga pour ados tant le côté sexuel est présent dans ce manga. De quoi avoir quelques maux de têtes pour les les bibliothécaires qui choisiront de l’intégrer dans leur secteur jeunesse ou ados. Au passage, cela prouve encore toute la liberté de ton des auteurs japonais par rapport à la bande dessinée franco-belge ou américaine. GTO serait tout simplement impossible chez nous. D’un autre côté, ce manga – hors de cet humour japonais très libre – aborde des thèmes qui parleront très fortement aux plus grands : prise de responsabilités, conscience de ses actes, importance de l’amitié et de la communication. Bref, une réflexion plus intéressantes qu’il n’y paraît sur le passage à l’âge adulte (héros principal compris) et des valeurs nobles portées par un héros charismatique et totalement iconoclaste.

Bref, si vous ne connaissez pas GTO, si vous souhaitez découvrir une série un peu longue qui saura vous détendre sans pour autant être totalement débile, si vous aimez les bons personnages avec un peu de profondeur, découvrez ce Great Teacher Onizuka. Assurément, une série qui vous procurera pas mal de joie !

A lire : le dossier Manga-news
A voir : Passion-GTO, un blog consacré uniquement à l’univers d’Onizuka

GTO : Great Teacher Onizuka (25 volumes, série terminée)
Scénario et dessins : Tôru Fujisawa
Editions : Pika, 2001-2004 (Nouvelle édition double en 2012)
Editions Originales : Kodansha (1997-2002)

Public : Grands ados-adultes
Pour les bibliothécaires : un classique mais en 25 volumes (enfin 13 avec l’édition double). Série terminée. A avoir dans une mangathèque idéale malgré quelques références qui ont un peu vieillies.

Chroniques BD

Chronique | Dans la prison (Kazuichi Hanawa)

En 1994, Kazuichi Hanawa est arrêté pour possession illégale d’armes à feu et emprisonné pendant trois ans. En 1998, il publie Dans la prison, récit autobiographique de son quotidien durant sa détention.

Du fabuleux au réalisme

Avant de commencer cette chronique, il me semble plutôt intéressant de situer un peu l’œuvre de Kazuichi Hanawa dans son contexte. Cet auteur est né avec le manga moderne en 1947 mais se situe du côté des alternatifs. Publié dès 1971 dans la revue d’avant-garde Garô, il est plutôt orienté vers le fantastique (voire l’érotico-fantastique en début de carrière) et propose des récits historiques peuplés de fantômes et autres êtres imaginaires. Thème assez récurrents à cette époque. Il connaît avec ses Contes fantastiques et Tensui, l’eau céleste un succès critique.

Mais en 1994, le voici incarcéré. La conséquence artistique directe est bien entendu les 230 planches que constituent Dans la prison publié par le magazine d’avant-garde AX en 1998, puis quelques années plus tard Avant la prison. Avec ces deux œuvres, Hanawa change de thématiques. Oubliées les histoires fabuleuses, il plonge le lecteur dans le quotidien répétitif d’un prisonnier japonais.

Une histoire de point de vue

J’aurais pu écrire « le quotidien sombre et obscure des prisons japonaises » mais ce n’est pas vraiment ce qui ressort de ce livre. Je suis désolé pour tous les partisans du retour aux geôles pleines de puces, de rats, de cafards, de surveillants matraqueurs et d’oubliettes moyenâgeuses mais il semble régner dans cette prison nippone un ordre, un calme et un respect qui laisse circonspect face aux réalités carcérales françaises.

Et moi, lecteur français moyen, c’est à ce moment précis que je me heurte au mur qui sépare les deux cultures. Difficile d’expliquer totalement cette sensation mais quand Hanawa écrit  » On doit être reconnaissant d’habiter dans un pays où l’on sert tous les jours un repas chaud, même à ceux qui ont mal agi et causé des troubles à la société », il ne fait aucun doute que nous rentrons dans un schéma de pensée totalement différent.

Les auteurs occidentaux évoquent souvent le milieu carcéral d’une manière négative, avec tout son côté punitif. Mais dans cet album, l’auteur choisit une approche neutre voire reconnaissante. Certes, le prisonnier est privé de liberté mais son quotidien, souvent problématique à l’extérieur, se retrouve totalement encadré par l’institution. Malgré une volonté de responsabilisation de la part des surveillants, il ne gère plus grand chose et retrouve face à lui-même dans une démarche d’expiation presque religieuse. Mais il me semble que mon explication relève plus d’un point d’occidental de culture judéo-chrétienne.

Pour autant, la grande force de la démarche de Kazuichi Hanawa est justement de faire entrer le lecteur dans cette optique par la multiplication de détails sur le quotidien du prisonnier. Vous trouverez ainsi les plans d’une cellule individuelle, collective, une description des repas, des habits d’hiver et d’été, du rangement des étagères… Bon, je dois vous l’avouer, j’ai parfois sauté quelques-unes de ces pages car à la 5e description des plats de jour de l’an, j’ai craqué. Cependant, ces éléments sont importants dans la construction narrative. Comment comprendre la réalité du quotidien sans insister sur ces détails qui constituent l’essence même de la vie du prisonnier ? Les repas rythment la journée, le rangement des étagères définissent les rapports sociaux, la cellule est le lieu de méditation…

Pour conclure, j’avoue que je ne sais pas trop quoi vous dire sur cet album. Pour une fois, j’ai la pleine conscience de ne pas partager la même culture et la sensation qu’il me manque des éléments importants pour appréhender positivement cette œuvre. Toutefois, je trouve la démarche juste, bien réalisé, dans un dessin qui, comme souvent dans le manga, lie le réalisme des décors à la caricature des personnages. Une œuvre à méditer qui aurait pu, je pense, bénéficier d’un travail éditorial de décryptage.

A lire : la chronique de Sine Lege
A découvrir : les 22 premières planches sur Digibidi

Dans la prison (one-shot)
Scénario et dessins : Kazuichi Hanawa
Editions : Ego comme X, 2005 (25€)

Public : Adulte, amateur de Gekiga et autres BD alternatives japonaises
Pour les bibliothécaires : une œuvre intéressante qui demande toutefois un gros travail de médiation. Au même niveau qu’un Journal d’une disparition d’Hideo Azuma.

Chroniques BD, Recommandé par IDDBD

Chronique | Evil Heart (Tomo Taketomi)

Umeo Masaki est un jeune garçon à problèmes. Dès ses premiers jours au collège, il commence par se battre avec des élèves plus âgés. Taciturne et violent, il n’arrive pas à se faire accepter. Il vit seul avec sa grande sœur, âgée de 16 ans, car sa mère est en prison. Mais sa vie bascule un jour en passant devant le gymnase. Il découvre une drôle de discipline, l’Aïkido, et un drôle de personnage, un étranger, le professeur Daniels.

Du sport, oui mais…

Petite anecdote pour commencer cette chronique. Quand j’ai animé la formation manga en septembre dernier, j’ai fait choisir en début de séance un album à chaque participant. J’avais pris soin de glisser parmi eux, Vitamine de Keiko Suenobu, un one-shot dont la couverture pouvait laisser à penser qu’il s’agissait d’un pur shojo de collégienne. Or, c’est un manga très dur sur le phénomène de l’Hijime. Ce petit piège avait pour but de démontrer qu’en matière de manga, il ne faut pas se fier aux apparences du graphisme. On pourrait qualifier ce genre de « faux-amis ».

Evil Heart fait complètement parti de cette catégorie. Il a tout du shonen-manga de sport et je dirais même du shonen-manga de sport romantique. S’il en reprend les bases, à savoir le jeune garçon perdu qui s’épanouit dans l’amitié (voire l’amour) dans une discipline et qui dépasse ses limites dans une compétition, cette série de Tomo Taketomi dépasse largement l’idée de base et ne cesse de surprendre son lecteur.

Car le sujet principal d’Evil Heart est bien moins le sport que la violence familiale et ses conséquences. En effet, on apprend rapidement qu’Umeo (dit Ume) a subi ainsi que sa sœur et sa mère, la violence d’un père puis d’un grand frère. D’ailleurs, notre jeune héros ne pratique pas l’aïkido pour les joies de l’amitié, mais bien pour être prêt à défendre ses proches contre tous les dangers… et en particulier la figure de Shigeru, son frère, à la fois démon intérieur et lourde réalité. D’autant plus que se pose la question de la transmission quasi-génétique de cette violence qui pèse sur ses épaules. La joie, l’amitié, le dépassement de soi ne font pas partie de ses préoccupations. Quant à la compétition…

Une autre philosophie

Pour ceux qui connaissent cet art martial, l’Aïkido n’utilise que des techniques de défenses. Par ce simple état de fait, Evil Heart se démarque déjà de tous les autres mangas sportifs. Alors qu’on ne peut plus lever un orteil sans parler compétition de nos jours, ce manga apparaît donc comme un rafraîchissement en faisant de l’autre non plus un adversaire mais un partenaire. Tomo Taketomi s’appuie donc sur une philosophie différente pour bâtir son histoire car l’entraide et la communication sont au cœur même du récit. Moins d’actions, plus d’interactions entre ses personnages et surtout des questions sans cesse renouvelées.

Dans les pages de ces 6 volumes, les certitudes sont rares et bien souvent synonymes de dangers. Ainsi, le lecteur alterne donc entre calme et grosse tempête… de quoi relancer régulièrement son intérêt. Mais plus que le rythme, l’auteur prend le temps de décortiquer les peurs, les espoirs et l’évolution lente de son héros à travers son évolution de pratiquant d’Aïkido. Si l’humour et la légèreté font partie du voyage – en particulier avec le Pr. Daniels, figure classique du sage qui ne se prend pas au sérieux – on se retrouve confronté sans mesure aux différentes réalités du personnage. Une réelle empathie se créé non seulement avec lui, mais aussi avec les autres acteurs de cette histoire finalement touchante et particulièrement bien pensée.

Car Tomo Taketomi a eu deux bonnes idées. La première a été de ne pas faire une série à rallonge qui, aurait trop usé la corde. Ce qui arrive malheureusement trop souvent. Cette série a été écrite en plus de 5 ans, ce qui est un délai rare dans un manga. La deuxième idée a été de ne pas multiplier les personnages importants, lui permettant de mieux maîtriser le caractère complexe de chacun tout en se renouvelant. J’avoue que ce dernier aspect m’a beaucoup surpris et qu’il est pour moi un point important de la réussite de sa série. En effet, tout en se focalisant toujours sur le héros principal, il a su tour à tour laisser une place à chacun des protagonistes, de Machiko à Shigeru lui-même en passant par des personnages beaucoup plus obscures dont je tairais le nom pour ne pas gâcher votre plaisir de lecture.

Côté Aïkido, mon spécialiste maison n’a pas eu l’air de trop rechigner à la vue des images dessinées. Pour ma part, j’ai trouvé les dessins plutôt réussi mais dans une forme très classique. Par quelques traits, la famille Masaki a un réel lien de parenté sans forcément être des clones. Pour le coup, la lecture est très agréable et fluide. Rien de bien révolutionnaire là-dedans, on sent que l’attention première a été porté comme souvent sur la réussite du scénario.

Bref, si vous aimez le manga de sport, vous pouvez tenter Evil Heart. Mais vous êtes prévenus. Evil Heart dépasse complètement ce genre et devient un vrai manga de société et dans une certaine mesure, propose une philosophie de vie différente où l’autre n’est pas un concurrent mais un partenaire… Une chouette leçon pour une chouette série ! Un must have comme on dit chez les iroquois.

A lire : le dossier spécial sur manga news

Evil Heart (6 volumes – série terminé)
Scénario et dessins : Tomo Taketomi
Éditions : Kana (2005-2011), 7,50€

Public : Ado-Adultes (c’est un seinen)
Pour les bibliothécaires : une série courte & de qualité. Pas d’excuses pour ne pas l’avoir dans votre mangathèque.

Chroniques BD

Les Incomparables #1 | Paul VS Atar Gull

Voici quelques temps déjà que cette idée me trotte dans la tête. Oh, rien de bien révolutionnaire : parler d’une BD non pas à partir de son histoire mais d’un de ses personnages. Chose étrange, la semaine dernière j’ai été incapable de rédiger un billet digne de ce nom sur l’excellentissime série des Paul du québécois Michel Rabagliati. Cette semaine, suite à des discussions intéressantes sur le blog de Mo’, je voulais parler d’Atar Gull, album qui ne m’a pas du tout enthousiasmé. Pareil ! Impossible de rédiger quelques choses de cohérents. Après avoir écrit deux pages sans queue ni tête, j’ai laissé tomber, un peu intrigué par ces deux échecs similaires sur des albums pourtant très différents.

Justement, ils sont différents, aucun points communs…

Et si c’était  ça la clef ?

Et si, pour rire, nous convoquions ces deux personnages de fiction pour une confrontation ? Qu’est-ce que ça donnerai comme chronique au final ? Alors juste pour s’amuser, je vous présente le premier (et peut-être l’unique) duel de cette nouvelle catégorie d’IDDBD : les incomparables !

A ma gauche : Paul. Québécois de Montréal né dans les années 60. Alter-ego de papier de son créateur, le très sympathique Michel Rabbagliatti. Paul, c’est 6 albums qui racontent une vie : la sienne. Paul est un genre de M. Jean  sans le côté parisien énervant. Son travail : graphiste, maquettiste, illustrateur. Il vit avec Lucie, sa très intelligente compagne et sa fille, Rose. Paul a de la famille, des amis, des emmerdes aussi. Bien entendu ce héros a de nombreux défauts mais aussi de grandes qualités dont les principales sont l’ouverture d’esprit et la dose d’autodérision qui manque à la plupart d’entre nous. Qualités qui lui permettent de prendre la vie comme elle vient, avec ses bons et ses mauvais côtés, sans s’illusionner sur ce qu’il est… ou n’est pas. Il a quelques regrets mais finalement, Paul est un humaniste qui s’ignore. J’exagère, c’est une personne simple qui sait faire attention aux autres.

A ma droite : Atar Gull. Prince d’une tribu africaine devenu esclave, donné comme cadeau à la fille d’un planteur. A la mort de son père, il n’a qu’un but… La vengeance ! Atar est né de la plume d’Eugène Sue au 19e siècle mais c’est Fabien Nury, nouveau scénariste hype de la BD franco-belge, qui l’a fait revivre sous le dessin de Bruno (Biotope, Michel Swing). Sous ses airs de statues, il est presque impossible de comprendre ce que ressent ce personnage singulier. Est-il simplement mué par la haine ou ressent-il véritablement les choses ? Qui est ce personnage, un fou dangereux, un tueur psychopathe incapable d’empathie ? Personnage dérangeant, impénétrable comme cette armure graphique qui l’entoure constamment. Seul son némesis, un dénommé Brulart, pirate et assassin de son état, semble percer à jour cet étrange personnage. A la fois terrifiant et froid, un robot avant l’heure.

A ma description, ces deux personnages sont différents autant sur le fond que la forme. Pourtant, en y réfléchissant un peu… Bon côté graphisme, pas de doute. Celui de Paul est influencé par la BD ligne claire des années 70-80, avec des traits caricaturaux pour les personnages mais plus de détails dans les décors. Globalement ça reste quand même très simple. Atar Gull en revanche dispose d’influences artistiques variées et fortement marquées par l’art africain. Ce personnage de golem sombre au trait si particulier rappelle les œuvres d’art premier. Cependant, le choix des couleurs l’entourant me semble si saugrenue qu’à la lecture je pensais sans cesse : « mais pourquoi diable a-t-il colorisé cet album ? ».

Au-delà de l’aspect graphique, ces personnages semblent toutefois partager quelque chose d’indéfinissable. Déjà, étant tous les deux les héros éponymes de leurs aventures, leurs histoires respectives reposent sur la réussite ou non de leur personnalité, de leur présence et leur charisme de « héros » de bande dessinée. Bien entendu, il est plus facile pour moi de se retrouver dans le personnage du québécois. Après tout, j’ai plus de chance d’être Paul qu’un prince esclave. Cependant, comme pour les univers imaginaires qui ne sont que des terreaux pour raconter des histoires, ça n’empêche pas l’ennui. Ce qui est intéressant dans le personnage de Michel Rabagliati, c’est sa faculté à se livrer sans ambages, sans se cacher ni prendre des chemins de traverse. Il montre, donne et reçoit avec la même intensité, n’élude aucun thème (même la mort comme dans Paul à Québec). L’auteur québécois se situe à la fois dans la ligne d’un Harvey Pekar par rapport au côté autobiographique de son œuvre mais aussi en rupture par son approche très positive. L’un est américain l’autre québécois, je ne sais pas si ça joue. En tout cas, Paul donne vraiment envie de traverser l’Atlantique à la nage, la rame et autres moyens plus ou moins rapides histoire de balancer quelque « hostie de calices » et autres « Tabernac ». Bref, lisez Paul et soyez heureux.

A l’inverse, alors qu’on cherche à me faire ressentir avec force la violence, le dégoût ou la compassion, on me livre un personnage déshumanisé comme Atar Gull. Comment puis-je adhérer au propos ? C’est pour moi un véritable frein qui me fait préférer – et de très loin – le personnage du pirate bien plus poétique et romantique que le héros principal. Hormis le fait que l’histoire soit plutôt bâclée sur la fin, il me semble quand même important dans un récit de ce genre qu’il puisse y avoir une accroche avec le héros. Rappelez-vous le Comte de Monte-Christo, l’un des plus grands récits de vengeance jamais écrit ! Atar Gull subit, puis agit comme un golem. Jamais il ne semble ressentir quoique ce soit. Il m’est donc impossible d’entrer confortablement dans cette histoire et d’être dérangé par quoique ce soit.

Voici donc le résultat de cette comparaison d’incomparable. Pourquoi j’aime Paul ? Parce qu’il est humain. Pourquoi je n’aime pas Atar Gull ? Parce qu’il ne l’est pas du tout. Pourtant ces deux personnages, par leur style de récit, sont des porteurs de vie, de sens, de ressenti. Si l’un m’entraîne, l’autre me laisse à quai.

Merci à vous d’avoir subi ce test dont l’intérêt est sans aucun doute discutable. Tiens et bien discutons-en justement !

Paul (7 volumes)
scénario et dessins : Michel Rabagliati
Éditions : La Pastèque
Public : Pour tous
Pour les bibliothécaires : indispensables, surtout Paul en appartement, Paul à la pêche & Paul à Québec.

Atar Gull (one-shot)
scénario : Fabien Nury d’après le roman d’Eugène Sue
dessins : Bruno
Editions : Dargaud
Public : Adulte
Pour les bibliothécaires : Gros buzz cette année (sélectionné à Angoulême, comme Paul d’ailleurs) mais je demande à voir sur la durée. Pas certains que cet album vieillisse très bien.

Chroniques BD

Chronique | New York Trilogie

scénario et dessins de Will Eisner
3 volumes : La Ville / Les Gens / L’immeuble
Editions Delcourt (2008)
Editions originales : Norton & Cie (1981, 1982, 1983, 1986)
Public : tous les amateurs de bande dessinée en âge de comprendre une planche de BD
Pour les bibliothécaires : Simplement incontournable.

« La grande ville n’est au fond qu’une ruche de béton et d’acier… »

Will Eisner est un génie. Oui, c’est la nouvelle de l’année ! Heureusement qu’IDDBD est là pour vous le rappeler. Oui, vous avez le droit de vous moquer. Mais est-ce que ça vous est déjà arrivé ? Savoir qu’un artiste est un mythe et pourtant être à chaque lecture surpris par son talent…

Je le savais pourtant. J’étais prévenu ! J’ai même lu des dizaines d’articles ou de livres là-dessus. J’avais des éléments de comparaison ! Pourtant en tournant les pages des trois volumes de New York Trilogie de Will Eisner, je ne pouvais m’empêcher de répéter : « c’est génial ! C’est génial ! C’est génial ! ». Au point d’obliger ma femme à aller lire son roman (un livre sans image) plus loin.

Pour recadrer cette trilogie dans son contexte, brève histoire de l’auteur. Après la seconde guerre mondiale (à laquelle il participe en tant que dessinateur), Will Eisner ne rencontre pas le succès escompté avec The Spirit, son pourtant fameux personnages de détective privé créé en 1939. En 1952, il abandonne la série et se consacre à son métier d’enseignants à l’école d’arts visuels de New York. Durant les années 60 et 70, il dessine peu de bandes dessinées. Mais son envie d’évoquer sa ville, sa population et son passé devient le ferment d’une nouvelle approche dans son œuvre. Elle forge surtout une période charnière de l’histoire de la BD américaine. En effet, en 1978, il publie A Contract with God (Un pacte avec Dieu) considéré comme l’un des premiers romans graphiques. Jusqu’à sa mort à l’âge de 87 ans en 2005, Will Eisner consacre la majorité de son œuvre à l’histoire du petit peuple New Yorkais.

New York Trilogie regroupe les nombreuses histoires publiées dans les albums Big City édités dans les années 80. Pour plus de précision concernant l’édition Delcourt, je vous invite à cliquer sur ce lien démêlant les tenants et les aboutissants de cette publication. Durant ces récits, parfois longs parfois courts, parfois muets ou bavards, Will Eisner croque avec un talent d’observateur hors du commun le folklore de la vie urbaine sous ses aspects les plus divers. Utilisant trois focales correspondant aux trois albums (Les Gens, La Ville, L’immeuble), il mélange poésie du quotidien et fantastique, situation improbable et analyse sociologique. Comme l’a fait Woody Allen au cinéma, il signe une véritable déclaration d’amour à sa ville et à toutes ses composantes.

Mais surtout, les pages de Will Eisner grouillent, virevoltent de vie. Il créé des planches audacieuses, n’hésitant pas à casser les codes de la bande dessinée classique, utilisant le texte comme un dessin et son trait comme une phrase. Un trait précis, efficace et dynamique doté d’un sens de la composition et de la mise en scène inimitable. Avec Will Eisner, une bouche de métro devient la scène d’un petit théâtre urbain et un immeuble le personnage central de la vie de quatre personnes d’origines diverses. Il ne suffit que d’un instant pour pénétrer dans l’atmosphère poussiéreuse et enfiévré de la rue new yorkaise. Dans cet espace de liberté, les éléments graphiques et narratifs sont intimement liés. L’art de la fusion texte-image qu’est la bande dessinée prend tout son sens. La modernité frappe et on contemple comme un enfant, en se taisant doucement. On prend un cours de BD. On rit et on pleure.

Et au milieu, ce personnage, un petit bonhomme incrusté dans les pages le nez sur un carnet de croquis, invisible mais présent : l’observateur du quotidien. Dans le dessin de Will Eisner, il y a, on le devine, des heures et des heures de regards sensibles posés sur le monde. Un regard d’artiste, un regard de génie furieusement poète.

A découvrir : le site officiel de Will Eisner (en anglais)
A lire : la biographie de Will Eisner sur Wikipedia
A (re)lire : la chronique de KBD sur Un Contrat avec Dieu brillamment rédigé par notre ami Champi

A noter : cette chronique s’inscrit dans le Reading Comic Challenge de Mr Zombi. Un album qui entre dans l’option A mort les superhéros !

Chroniques BD

Chronique | Sarah Cole, une histoire d’amour d’un certain type

scénario et dessins de Grégory Mardon
d’après la nouvelle de Russell Banks
éditions Futuropolis (2010)
Public : adulte
Pour les bibliothécaires : Grégory Mardon, auteur peu reconnu mais toujours très bon. Une valeur sûre !

Le Prince et la grenouille

Il est beau, musclé, calme, intelligent, riche et célibataire depuis peu. Le soir, il traine souvent dans ces bars huppés où se rencontre avocats et courtiers en bourse. Elle, la quarantaine, pas vraiment une gagnante de concours de beauté, divorcé, 3 enfants, une attitude qui cache difficilement son milieu social, populaire évidemment. Pour oublier la solitude et son boulot de mise en carton dans une imprimerie, elle sort avec ses copines. D’habitude, elle évite ce genre de bar huppé où se mêlent avocats et courtiers en bourse…

Grégory Mardon fait partie de ces auteurs peu connus des médias mais impeccablement régulier dans la qualité de leur travail. Je l’avais découvert avec Vagues à l’âme en 2000, récit biographique et imaginaire de son grand-père marin, un récit assez proche de Big Fish de Tim Burton. Depuis, c’est toujours avec plaisir que je découvre ses œuvres (Corps à Corps, Leçon de choses, Incognito…). Ici, Grégory Mardon s’attaque à l’adaptation d’une nouvelle très connue de Russel Banks, grand auteur américain dont l’un des thèmes de prédilection est la description du monde du petit peuple. Bref, c’est dire si le travail n’était pas aisé.

Dans ces cas-là, le plus difficile est de ne pas se laisser manger par l’œuvre originale. Or, Grégory Mardon évite cet écueil en très bon scénariste qu’il est. Comment ? Tout simplement en  en faisant le moins possible. Ici, les silences sont de rigueur et le trait, doublé d’un sens de la mise en scène et du découpage très précis, fait le reste. Les regards en biais, les sourires en coin, l’isolement de l’un et la vulgarité de l’autre, la lâcheté aussi… Tout cela est mis en exergue par une succession de cases, bien pensées, bien posées, silencieuses. Et c’est ainsi que les mots prononcés prennent sens dans la bouche des deux protagonistes jusqu’au moment où le monde des apparences et les fossés sociaux sont les plus forts. Les contes de fées sont pour les autres, ici, dans le monde de Russell Banks, et par appropriation dans celui de Grégory Mardon, les princes n’embrassent pas les grenouilles ou alors, c’est juste sous le coup d’une inspiration malsaine ou par pitié… jusqu’au moment où il se reveille de sa gueule de bois.

Encore une fois, Grégory Mardon est juste sur toute la ligne. Une très belle adaptation littéraire dans la lignée d’album comme Shutter Island ou Pauvres z’héros. Sans trop en faire, il restitue parfaitement l’atmosphère de cette étonnante et poignante nouvelle de Russell Banks.

A découvrir : la fiche album sur le blog Futuropolis
A lire : pour preuve qu’on ne dit pas toujours que des imbécilités sur IDDBD, voici la chronique du blog du journal Le Monde


A noter (encore une fois) : Sarah Cole
fera l’objet d’une présentation (par votre humble serviteur) lors de la soirée Rentrée Littéraire du 5 novembre 2010 à la librairie La Compagnie des Livres à Vernon (27). N’hésitez pas si vous passez dans le coin (20h30 !). J’y présenterai également Château de Sable et Fais péter les basses, Bruno !

Chroniques BD

Chronique : El Borbah

scénario et dessins de Charles Burns
éditions Cornélius, 2008 (première publication en 1981)
Public : Adulte et amateur de comics alternatifs américains
Pour les bibliothécaires : Indispensable pour les fonds importants, sinon préférez Blackhole

Freak story

Charles Burns a connu un succès mondial avec Black Hole, une métaphore carnassière de la jeunesse américaine. Mais plusieurs années auparavant, il avait créé un détective au look et à la gouaille bien particulière. Mais non, ce n’est pas Colombo ! El Borbah, le détective privée aux allures de catcheurs mexicains et aux réparties fleuries constitue l’une de ses premières créations.

Comme expliqué dans le petit texte à la fin de ce recueil d’histoires, c’est en regardant par hasard un match de catch à la télévision que Charles Burns dessine les premiers croquis de son personnage. Publié initialement dans le magazine Heavy Metal, El Borbah rencontre un succès rapide et trouve sa place dans la mythique revue d’avant-garde Raw dirigée par Art Spiegelman.

A mi-chemin entre Sébastien Chabal (pour le physique) et Les Tontons flingueurs (pour les dialogues). Toujours prêt à tout pour se faire un maximum d’argent frais (ou pas, mais il n’en a rien à faire tant que c’est de l’argent), El Borbah se retrouve régulièrement dans des postures complexes face à des personnages farfelues et/ou monstrueux. Bien avant Black Hole (1994), Charles Burns aimaient déjà jouer avec le glauque et la difformité. Ici, il les prend comme des métaphores de l’esprit humain, le corps devenant une représentation véritable de l’esprit. Dans El Borbah, les méchants ont l’air méchants et les imbéciles aussi ! Impression renforcée par cette déjà grande maîtrise du dessin et ces atmosphères noires et blanches reconnaissables entre 1000.

Mais tout ceci n’est qu’un prétexte, car tout comme au catch, le lecteur se retrouve au milieu d’un jeu. L’intrigue en elle-même est moins importante que les personnages ou l’univers. Charles Burns ne cherchent pas à faire briller ses talents d’auteur de polar. Il s’amuse, joue et détourne les règles. Pourquoi ? Pour le plaisir de pointer du doigt les vices de la bonne société et des bonnes mœurs avec un joli brin de cynisme, pour rire de la bêtise humaine tout simplement.

Incontestablement, on retrouve déjà les prémisses de Black Hole dans cette première œuvre majeure. Une œuvre tout à fait sympathique et haute en couleur. Originale ! Saluons encore l’extraordinaire travail des éditions Cornélius. Encore du bel ouvrage !

A lire : l’entretien de du9 avec Charles Burns
A découvrir : le blog des éditions Cornelius
A noter :
cette chronique s’inscrit dans le challenge BD de Mr Zombi auquel IDDBD participe !

Chroniques BD

Welcome to the Death Club

(scénario et dessins de Winshluss, 6 pieds sous terre/Cornélius (2002), (2010) )

Quand vous aimez l’humour noir, quand Les Idées Noires de Franquin sont autant de textes sacrés pour l’athée que vous êtes, le titre même de cet album à quelque chose d’attirant.

Pour la plupart issues de la magnifique et démoniaque revue Jade (oui, je soupçonne les gens de 6 pieds sous terre d’avoir pactisé avec le démon pour réaliser leur revue !!), ces nouvelles de Winshluss sont des petites pierres à l’édifice de l’humour sombre, décalé, franchement gore et politiquement incorrect. Vous, ô ami respectueux de la belle BD, du beau graphisme, de la belle morale à la fin qui finit bien, du scénar’ qu’ont a vu 10 fois, de la série à 19 tomes qu’on vous remet un 2e cycle derrière parce que la vache a encore un peu de lait, passez votre chemin. Welcome to the Death Club est une insulte à tout ce que vous aimez, mais certainement pas à la bande dessinée.

Si le dessin reste en noir et blanc (revue Jade oblige), on retrouve déjà ce trait énergique à la fois expérimental et très inspiré des comics underground. Winshluss s’amuse et varie son trait en fonction de ses besoins. Mettant tour à tour en scène, et sans aucun dialogue, un écrivain bohème, un détrousseur de cadavres, le fils de la mort rêvant d’être un ange, la Mort elle-même passant un bien mauvais quart d’heure au bord d’une route, un mécano rêvant d’être célèbre, bref toute une galerie de personnages qu’il va maltraiter au plus haut point. Winshluss joue avec les petits et les grands travers de l’humanité pour rendre ses histoires encore plus cyniques, sordides, immorales… et drôles. Car ne l’oublions pas, l’humour noir est ici la règle d’or. Et quand l’humour noir devient satire sociale, alors on atteint des sommets dans le macabre.

Évidemment, cet album est bien en-dessous du chef d’œuvre stratosphérique qu’est Pinocchio (ne cherchez pas il n’est pas encore sur IDDBD). Mais Welcome to the Death Club est une petite pépite à lire et à relire les soirs de dépr… Euh, non quand il fait beau et que vous venez d’avoir une augmentation.

A noter, initialement publié chez 6 pieds sous terre en 2002, l’album a été réédité (en version augmentée) en 2010 par Cornélius avec toujours ce même souci de qualité. On les en remercie (encore) !

A lire : les chroniques sur Le Cafard Cosmique et Fluctuatnet
A voir : le reportage de l’emission Kultur sur Arte consacré à Winshluss et son Pinnochio

Attention : cette chronique s’inscrit dans le Challenge BD lancé par Mr ZOMBI et auquel participe IDDBD

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