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Chroniques BD, Recommandé par IDDBD

L’enfance d’Alan (Emmanuel Guibert)

Avant de débarquer dans la France en guerre de 1944, Alan Ingram Cope a passé son enfance dans le Sud de la Californie. Portrait d’un jeune garçon dans l’Amérique des années folles, de la grande dépression et de l’Avant-Guerre.

Une histoire d’amitié c’est avant tout une histoire…

Il existe bien des façons de raconter l’histoire. On peut se borner à extrapoler sur des batailles, des drames politiques et géopolitiques de notre passé. Je ne doute pas de l’importance de ces récits, ni même de leur intérêt pour comprendre le monde actuel. Mais ils se bornent souvent à la simple vision des « grands hommes » et négligent le quotidien, l’évolution des mentalités, des hommes et des femmes ordinaires. Non, pour moi l’histoire n’est pas qu’un simple enchainement de tueries et de haines.

Avec l’Enfance d’Alan, Emmanuel Guibert continue son cycle consacré à Alan Ingram Cope commencé en 2000 (La Guerre d’Alan, 3 volumes). Il raconte surtout l’histoire à travers le destin d’un homme simple, doté d’une personnalité teintée d’intelligence, de lucidité et d’autodérision. Ainsi, ce héros ordinaire, décédé en 1999, était le sujet idéal pour raconter une « autre histoire. »

Mais plus important encore, l’histoire de ces livres est avant tout lié à une amitié entre le vétéran et l’auteur de bande dessinée. Cette rencontre est essentielle dans la vie et dans l’œuvre d’un des auteurs les plus discrets de la génération Nouvelle BD. Discret mais pas moins talentueux. Véritable esthète de la BD, Emmanuel Guibert cultive son goût pour les rencontres et les contrepieds dans un univers créatif très varié. D’Ariol à la Fille du professeur, du Photographe aux Sardines de l’Espace, de la Revue Lapin (où il pré-publie La Guerre d’Alan) à Japonais, un recueil de texte illustré, il a montré au cours de sa carrière son incroyable palette graphique et narrative.

Voix d’Alan, trait d’Emmanuel

Avec cet album, Emmanuel Guibert renoue avec un style épuré et une composition simple. Il propose peu de dialogues mais des récitatifs qui composent la « voix d’Alan ». Sous la plume du dessinateur, il est le narrateur. Ce dernier raconte, explique, précise, part dans des digressions et nous renvoie à plus tard. Quelques pages plus loin, le fil de l’histoire reprend et nous nous retrouvons au sein d’une famille américaine de Californie du Sud avec ses histoires de famille, ses traditions, ses amitiés et ses drames aussi.

Dans ce monologue d’une grande fluidité, l’auteur cherche à laisser toute sa place au héros. Mais la touche Guibert demeure. Utilisant toutes ses qualités de dessinateur, il joue avec les codes de la bande dessinée. Capable de faire disparaître totalement le décor pour laisser la seule place aux personnages décrits dans un effet de zoom, il peut quelques pages plus loin nous proposer une planche d’un réalisme quasi-photographique d’une nature sauvage, d’une rue de banlieue ou d’un vieux cliché.

Ainsi, par ce jeu constant entre récit graphique et narration, nous sommes plongés dans cette histoire très personnelle. Peu à peu, elle devient la nôtre, nous nous attachons aux personnages et aux situations. A l’image d’une couverture tout en simplicité, l’œuvre réalisée par Emmanuel Guibert est passionnante, aboutie, profonde d’humanité. Une œuvre à l’image d’un auteur majeur de la bande dessinée contemporaine. Un album récompensé à juste titre du Prix des journalistes de l’ACBD en 2013.

A voir : la fiche album (avec des extraits) sur le site de L’Association

L’enfance d’Alan (one-shot)
D’après les souvenirs d’Alan Ingram Cope
Scénario et dessins : Emmanuel Guibert
Editions : L’Association, 2012 (19€)

Public : Adulte
Pour les bibliothécaires : dans la continuité de La Guerre d’Alan, incontournable.

Chroniques BD

Chronique | Aâma T.1 (Frederik Peeters)

C’est au sommet d’un cratère volcanique sur une terre inconnue que se réveille Verloc. Il ne se souvient de rien, ou presque… Quand un étrange singe androïde prénommé Virgile le rejoint, il répond à ses questions en lui tendant un petit carnet. Un journal de bord écrit de la main même de Verloc… Une aventure qui débute dans un caniveau…

Entamer la lecture d’un nouvel album de Frederik Peeters, c’est toujours un moment d’excitation pour moi. C’est un auteur qui m’accompagne maintenant depuis très longtemps. Un auteur que j’ai découvert quand j’ai commencé à travailler en bibliothèque et que j’ai toujours suivi depuis. Moi, je suis toujours bibliothécaire, lui est toujours explorateur d’horizon nouveau. Mais vous êtes bien placé pour le savoir car vous lisez IDDBD depuis longtemps (si, si !)

Retour vers le futur ?

Avec Aâma, l’auteur suisse revient à la SF, un genre qui lui avait plutôt réussi avec sa série Lupus. Pourtant, les liens entre les deux séries ne se font pas vraiment. Pourquoi ? La couleur déjà. Alors que Lupus était en noir et blanc, avec un trait épais et virevoltant dans des circonvolutions parfois étranges, Aâma est une œuvre au dessin réaliste (pour du Peeters) et composée dans une large gamme de couleur. Ce choix permet à Fred Peeters de donner une profondeur nouvelle à son récit car la couleur tend à créer des univers uniques, parfois saisissant, alors que son dessin s’est épuré depuis Lupus.

On serait toutefois tenté de lier les personnages de Lupus et Verloc. Il est tout à fait possible d’y trouver des points communs : leur utilisation répétée de la drogue pour fuir la réalité (le shia), l’image du père, l’attachement à un côté désuet, le départ… Mais est-ce suffisant ? A trop vouloir de ressemblances ne risque-t-on pas de passer à côté d’Aâma ?

Sciences humaines

Ce premier chapitre ne nous ne donne qu’une partie les clefs d’une intrigue complexe. Débutant comme un pur récit de science fiction, Fred Peeters y ajoute l’ingrédient essentiel de toutes ses œuvres : l’humain. Si l’humanité est au centre du récit, sa frontière est extrêmement floue. En effet, les êtres vivants sont pour la plupart bourrés d’implants leurs permettant de contrôler leurs équipement mais aussi de survivre dans des environnements hostiles ou devenus instables pour leurs survies. Cette humanité est symbolisée par les trois personnages principaux : Verloc qui a décidé de retirer ses gadgets, le singe-robot fumeur de cigares Churchill et Conrad, l’étrange frère de Verloc, qui semble parfois le plus artificiel des trois avec ses vêtements rétro et son attitude froide. Chacun présente un visage bien particulier, un visage d’une humanité évoluée, un visage qui risque bien de changer dans les tomes suivants.

Mais ce changement, on ne peut que le constater dès le début de ce premier volet. Quant à savoir comment ? Le lecteur est comme le personnage principal, il découvre le récit au fur et à mesure par les flasbacks successifs des lectures du journal de bord de Verloc. Un journal écrit sur un vrai carnet en papier dans un monde où les livres papiers sont devenus des pièces d’antiquité. D’ailleurs Verloc est libraire, chacun appréciera le clin d’œil (surtout en ce moment). Mais voilà, ce ne sont que des premières pièces et en refermant ce livre il nous tarde d’en savoir plus. On a la sensation que cette histoire ne sera définitivement close qu’en bas de l’ultime planche de l’ultime volume. Et encore… quand on connaît les albums précédents chargés de questions en suspens… Bref, j’avoue pour une fois ma frustration face à un album de Peeters. Ce n’est pas mauvais mais ce n’est pas fini… Je veux la suite (là vous devez m’imaginer en train de pleurer en trépignant sur mon clavier – j’ai pris des cours avec mes filles).

Que vous dire de plus ? Si vous avez aimé Lupus, lisez Aâma. Nous sommes ici dans un registre à la fois identique et fort éloigné. Un livre qui s’inscrit dans la tradition de l’œuvre de Frederik Peeters mais aussi dans celle de la pure SF où la part philosophique n’est pas exclue. Mais c’est un livre frustrant car il constitue la première (et pour l’instant unique) pièce d’un puzzle ambitieux et passionnant, une aventure extra-terrestre qui nous entrainera loin dans les profondeurs de l’âme humaine. Œuvre majeure ou pas ? Patience…

A voir : l’interview réalisée par BD Maniac à Saint Malo
A lire : l’interview réalisé par Angles de vue
A lire : l’analyse des planches par Fred Peeters sur Télérama

A découvrir : le projet Aâma, blog tenu par Frederik Peeters

 

scénario et dessins : Frederik Peeters
Éditions : Gallimard (2011)

Public : Adulte, amateurs de SF.
Pour les bibliothécaires : sauf mauvaise surprise un futur must. A acheter si vos lecteurs apprécient cet auteur, sinon vous pouvez attendre la suite.

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