1803, la Louisiane est vendue par le jeune consul Bonaparte à la toute jeune nation américaine. Dans le même temps, le futur empereur lève la conscription en France. En Normandie, dans le village de Champs-sur-Huguette, Alban Labiche, fils de paysan, frère d’Angèle, est ami avec Louis de Mauge. Ce dernier est également l’amant d’Angèle. Quels liens entre ces personnages, la Louisiane et la conscription ? Le destin et une aventure dans les paysages sauvages et dangereux de l’Amérique inexplorée.
Aventure, aventure
Ce qui attire l’œil en premier lieu avec ce livre, c’est cette couverture aux tons brumeux. On hume l’aventure à plein nez, le danger également. Bref, en l’ouvrant on sait que l’on va être transporté vers des univers bien éloignés de la réalité des grandes villes et des considérations intellectuelles du roman graphique. Ici, c’est de la BD à l’ancienne, avec des jeunes héros insouciants, des vieux briscards qui vont leur apprendre la vie et des méchants bien pourries comme on aime à les détester. Effectivement, pas de surprises, on trouve exactement ce qu’on était venu chercher.
Angèle, par exemple, porte magnifiquement son nom avec son visage doux, ses cheveux blonds, ses fesses rebondies, ce petit côté audacieux et indomptables, cette naïveté de (fausse) pucelle, bref des traits qui sauront séduire ces messieurs. Quand elle se fait presque violer, elle réussit à dire : « Sans votre intervention, je ne sais pas de quoi ce vaurien aurait été capable ». Heureusement, Patrick Prugne joue très bien le coup dans la réplique suivante. Ce qu’on pourrait donc prendre pour de la maladresse se révèle être un petit côté auto-dérision, une gentille façon de se moquer de son personnage. Quant aux garçons, pas de soucis avec eux, il y a du courage, de l’impétuosité, de la droiture et un côté candide absolument parfait qui les poussent de plus en plus loin dans leur aventure. Bref, des héros de bande dessinée qui ont, eux aussi, droit à quelques répliques bien senties.
La tradition « historique »
Le dessin n’est pas strictement académique. Mais il correspond parfaitement au genre « historique ». Toutefois, nous ne sommes pas ici dans les critères stricts d’une collection comme Vécu de Glénat qui cherche un trait très réaliste. La grande qualité graphique de cet album est double. D’abord les couleurs qui sont, à l’image de celles de la couverture, absolument splendides. Elles donnent une vraie atmosphère aux forêts sauvages, aux baraquements des premières colonies mais aussi à ces paysages normands du début du 19e siècle. Ensuite, les cadrages. Patrick Prugne fait ici un remarquable travail sur ces choix en faisant « tourner » ses images autour de ses personnages. Sur une même planche, on peut facilement avoir plusieurs angles. Cela nous permet à la fois de bénéficier d’un regard à 360° sur des paysages magnifiques lors de temps de repos ou de jouer sur les points de vue durant les moments « chauds ».
Bien entendu, comme dans toutes BD réalistes à l’ancienne, on notera le remarquable travail de documentation graphique et historique. Il nous permet de plonger avec exactitude dans une période et un lieu propice aux grandes aventures. Ici, il ne s’agit toutefois pas de dresser le portrait d’un général mais d’un simple soldat victime d’une chasse à l’homme accompagné d’un trappeur bougon type Davy Crocket à moustache. Ce dernier, personnage historique réel, est d’ailleurs l’archétype du vieux briscard dont je parlais tout à l’heure.
Par les chemins… balisés
Mais très vite, on s’approche des limites de ce type de bande dessinée. Il y a bien sûr le côté un peu vieillot. Mais après tout, c’est dans les vieux pots… vous connaissez le dicton. Non, mon principal reproche est la linéarité du scénario. Hormis le dénouement que je trouve bien vu quoique pas totalement surprenant, je trouve l’histoire très prévisible. Bien entendu, il y a ce long flashback qui permet de comprendre la situation de départ mais globalement, on voit les choses venir de loin, trop loin. J’ajouterais même qu’avec des personnages principaux et secondaires de ce type, très marqué graphiquement par leurs rôles respectifs, proposer un tel scénario signifie s’exposer aux clichés. Heureusement, on se laisse facilement emporter par la narration qui est plaisante et l’atmosphère graphique. Cependant, les quelques rebondissements sont, eux aussi, cousus de fils blancs.
Mais c’est peut-être un point de vue très personnel. Pour moi, le problème de la bd historique est souvent qu’elle cherche à trop se coller à la grande histoire en oubliant quelques peu le récit. Ainsi, malgré un travail remarquable d’inscription dans les faits historiques, on peine parfois à s’accommoder d’une histoire un peu trop simpliste. Voici quelques temps, je disais l’inverse dans un commentaire (sur Habibi je crois) mais simplicité ne rime pas toujours avec linéarité. Ici, nous sommes plus transportés par l’atmosphère que par une véritable action et des rebondissements.
Frenchman est un beau tableau d’un Amérique naissante avec ses violences, ses cruautés, ses beautés naturelles. Graphiquement somptueux, cet album s’inscrit dans un classicisme assumé et ravira les amateurs de BD historiques d’aventures. Cependant, son scénario très linéaire manque un peu de surprises. Une lecture agréable certes, mais loin d’être extraordinaire.
A lire : la chronique de Manuel Picaud sur son blog
Frenchman (one-shot)
Scénario et dessins : Patrick Prugne
Éditions : Daniel Maghen, 2011 (19€)Public : Adultes
Pour les bibliothécaires : une bd classique qui ravira les amateurs de bd historique… et pour une fois ce n’est pas une série à rallonge.