En Afrique de l’Est, au détour de l’Erythrée et du Kenya, un petit garçon court dans les rues pour échapper à son frère. Il ne veut pas apprendre, il veut sa liberté. Portrait d’un Tom Sawyer d’Afrique.
Certains livres se lisent, d’autres se contemplent. La bande dessinée n’a pas choisi entre ces deux voies, elle est une osmose entre écriture et forme. Quand les dessins parlent, quand ils nous font ressentir des émotions, des sensations avec la même intensité qu’un texte finement ciselé, alors la bande dessinée montre toutes ses qualités. Avec Kililana Song, Benjamin Flao réussit ce petit miracle de papier. Pour tout vous dire, j’ai lu cet album il y a maintenant plus de deux mois. Je m’y penche de nouveau pour les besoins de KBD mais je n’ai pas vraiment eu besoin de l’ouvrir de nouveau pour me rappeler certaines de ses planches. Magnifique ce soleil bouillant perçant le toit de la case d’un vieil homme tout en mettant sa vieille carcasse en lumière ! Magnifiques ces pages où un simple trait bleu sépare la mer du ciel, où un bateau vogue sur le blanc du papier et l’azur de l’océan ! Magnifiques également, ces rues de Lamu où grouille une foule bigarrée au relent de post-colonialisme ! Alors forcément, il y a du bien, du mal, les galères de la misère mais peu importe. On y entend le bruit de la vie, les cris, les prières et la course de ce petit garçon s’échappant dans les rues poussiéreuses. Sa prison à lui, c’est l’école coranique. Son grand frère veut l’y emmener de force. Mais Naïm est plus malin, plus rapide, plus habile. Devant lui, la liberté, alors forcément, il court plus vite. Son frère est alourdi par ses certitudes.
Comme le Tom Sawyer de Mark Twain, Naïm est un personnage plein de légèreté, d’humour, de débrouillardise et surtout d’intelligence. Une intelligence qu’on ne trouve pas dans les lignes mais dans la relation aux autres. Naïm est un enfant libre et on a envie de le suivre dans son école buissonnière. Cependant, Kilalana Song n’est pas seulement le portrait d’un personnage. A l’image –toute relative – d’un Jean Rouch, le fameux anthropologiste cinéaste, il pose également un regard tout à fait particulier sur l’Afrique de l’Est, un regard presque universel tant cette région paraît être traversée par le monde entier. Si le scénario n’est pas d’une originalité folle – ce premier volume se bornant surtout à développer l’univers et le personnage de Naïm – cette atmosphère permet au lecteur de pénétrer immédiatement dans le récit, de s’y sentir bien.
Je ne pourrais pas vraiment ajouter d’arguments supplémentaires pour vous inciter à lire Kililana Song. Il a été pour moi une suite ininterrompue de sensations. Son dessin et de son personnage principal sont toute sa force. Il manque un peu de profondeur en matière de récit à mon goût. Mais ce premier album pose un certain nombre de bases qui seront sans doute développées par la suite. En attendant, on rêverait presque d’un album comme L’homme qui marche de Taniguchi, un livre uniquement constitué des pérégrinations de ce petit homme, un livre contemplatif poursuivant l’unique but de nous faire ressentir l’instant.
Kililana Song (première partie)
Dessins et scénario : Benjamin Flao
Éditions: Futuropolis, 2012 (20€)Public : Ado, Adulte
Pour les bibliothécaires : Très bel album. Parmi les meilleurs du premier semestre 2012. J’attends la suite avec un certain intérêt.