Umeo Masaki est un jeune garçon à problèmes. Dès ses premiers jours au collège, il commence par se battre avec des élèves plus âgés. Taciturne et violent, il n’arrive pas à se faire accepter. Il vit seul avec sa grande sœur, âgée de 16 ans, car sa mère est en prison. Mais sa vie bascule un jour en passant devant le gymnase. Il découvre une drôle de discipline, l’Aïkido, et un drôle de personnage, un étranger, le professeur Daniels.

Du sport, oui mais…

Petite anecdote pour commencer cette chronique. Quand j’ai animé la formation manga en septembre dernier, j’ai fait choisir en début de séance un album à chaque participant. J’avais pris soin de glisser parmi eux, Vitamine de Keiko Suenobu, un one-shot dont la couverture pouvait laisser à penser qu’il s’agissait d’un pur shojo de collégienne. Or, c’est un manga très dur sur le phénomène de l’Hijime. Ce petit piège avait pour but de démontrer qu’en matière de manga, il ne faut pas se fier aux apparences du graphisme. On pourrait qualifier ce genre de « faux-amis ».

Evil Heart fait complètement parti de cette catégorie. Il a tout du shonen-manga de sport et je dirais même du shonen-manga de sport romantique. S’il en reprend les bases, à savoir le jeune garçon perdu qui s’épanouit dans l’amitié (voire l’amour) dans une discipline et qui dépasse ses limites dans une compétition, cette série de Tomo Taketomi dépasse largement l’idée de base et ne cesse de surprendre son lecteur.

Car le sujet principal d’Evil Heart est bien moins le sport que la violence familiale et ses conséquences. En effet, on apprend rapidement qu’Umeo (dit Ume) a subi ainsi que sa sœur et sa mère, la violence d’un père puis d’un grand frère. D’ailleurs, notre jeune héros ne pratique pas l’aïkido pour les joies de l’amitié, mais bien pour être prêt à défendre ses proches contre tous les dangers… et en particulier la figure de Shigeru, son frère, à la fois démon intérieur et lourde réalité. D’autant plus que se pose la question de la transmission quasi-génétique de cette violence qui pèse sur ses épaules. La joie, l’amitié, le dépassement de soi ne font pas partie de ses préoccupations. Quant à la compétition…

Une autre philosophie

Pour ceux qui connaissent cet art martial, l’Aïkido n’utilise que des techniques de défenses. Par ce simple état de fait, Evil Heart se démarque déjà de tous les autres mangas sportifs. Alors qu’on ne peut plus lever un orteil sans parler compétition de nos jours, ce manga apparaît donc comme un rafraîchissement en faisant de l’autre non plus un adversaire mais un partenaire. Tomo Taketomi s’appuie donc sur une philosophie différente pour bâtir son histoire car l’entraide et la communication sont au cœur même du récit. Moins d’actions, plus d’interactions entre ses personnages et surtout des questions sans cesse renouvelées.

Dans les pages de ces 6 volumes, les certitudes sont rares et bien souvent synonymes de dangers. Ainsi, le lecteur alterne donc entre calme et grosse tempête… de quoi relancer régulièrement son intérêt. Mais plus que le rythme, l’auteur prend le temps de décortiquer les peurs, les espoirs et l’évolution lente de son héros à travers son évolution de pratiquant d’Aïkido. Si l’humour et la légèreté font partie du voyage – en particulier avec le Pr. Daniels, figure classique du sage qui ne se prend pas au sérieux – on se retrouve confronté sans mesure aux différentes réalités du personnage. Une réelle empathie se créé non seulement avec lui, mais aussi avec les autres acteurs de cette histoire finalement touchante et particulièrement bien pensée.

Car Tomo Taketomi a eu deux bonnes idées. La première a été de ne pas faire une série à rallonge qui, aurait trop usé la corde. Ce qui arrive malheureusement trop souvent. Cette série a été écrite en plus de 5 ans, ce qui est un délai rare dans un manga. La deuxième idée a été de ne pas multiplier les personnages importants, lui permettant de mieux maîtriser le caractère complexe de chacun tout en se renouvelant. J’avoue que ce dernier aspect m’a beaucoup surpris et qu’il est pour moi un point important de la réussite de sa série. En effet, tout en se focalisant toujours sur le héros principal, il a su tour à tour laisser une place à chacun des protagonistes, de Machiko à Shigeru lui-même en passant par des personnages beaucoup plus obscures dont je tairais le nom pour ne pas gâcher votre plaisir de lecture.

Côté Aïkido, mon spécialiste maison n’a pas eu l’air de trop rechigner à la vue des images dessinées. Pour ma part, j’ai trouvé les dessins plutôt réussi mais dans une forme très classique. Par quelques traits, la famille Masaki a un réel lien de parenté sans forcément être des clones. Pour le coup, la lecture est très agréable et fluide. Rien de bien révolutionnaire là-dedans, on sent que l’attention première a été porté comme souvent sur la réussite du scénario.

Bref, si vous aimez le manga de sport, vous pouvez tenter Evil Heart. Mais vous êtes prévenus. Evil Heart dépasse complètement ce genre et devient un vrai manga de société et dans une certaine mesure, propose une philosophie de vie différente où l’autre n’est pas un concurrent mais un partenaire… Une chouette leçon pour une chouette série ! Un must have comme on dit chez les iroquois.

A lire : le dossier spécial sur manga news

Evil Heart (6 volumes – série terminé)
Scénario et dessins : Tomo Taketomi
Éditions : Kana (2005-2011), 7,50€

Public : Ado-Adultes (c’est un seinen)
Pour les bibliothécaires : une série courte & de qualité. Pas d’excuses pour ne pas l’avoir dans votre mangathèque.

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