En 1978, Alain fait du cinéma d’animation en pâte à modeler et Jasmine étudie le théâtre de l’absurde. Ils tombent amoureux. En France, tout est simple mais à la fin de ses études, elle doit repartir en Iran au moment où une Révolution se met en marche. Quelques mois plus tard, il la rejoint à Téhéran. Tous les deux vivent une histoire d’amour singulière dans les heurts du changement. Mais il y a 30 ans, Alain laisse Jasmine et oublie la pâte à modeler.

Quand je tente de présenter le documentaire de création à des profanes, j’explique qu’il s’agit pour le réalisateur de chercher à capter l’instant afin de le retravailler à la manière de n’importe quel cinéaste pour donner sa propre vision du « réel ». Mais dès les premiers instants du film, il apparaît clairement que Jasmine échappe à cette définition très (trop) simple de ce qu’est le cinéma documentaire. Et oui, la création échappe encore aux petites cases du bibliothécaire !

L’angoisse d’une révolution

Ni tout à fait dans la réalité, ni tout à fait dans la fiction, Jasmine nous plonge dans les souvenirs amoureux du réalisateur. Mais des questions se posent : comment raconter le passé ? Comment en faire un documentaire sans images d’époques ? Qu’importe car une autre matière existe, bien présente. De réel, le réalisateur possède les dizaines de lettres envoyées par une jeune femme passionnée se languissant de l’absence de ce français dont elle est tombée amoureuse, la nostalgie et les regrets, les images oubliées en Super 8 ou encore, les archives d’une révolution pleine d’espoir au futur sombre.

La multitude

Quant aux images, comme un symbole, il choisit de les créer lui-même en renouant avec un savoir-faire qu’il avait perdu il y a 30 ans. Une matière « physique » cette fois-ci, une matière charnelle qui prend corps entre les doigts du réalisateur. Ainsi, pendant plus d’une heure, alternant prises de vue « réelles », images d’archives et séquences d’animation d’une beauté esthétique rare, Alain Ughetto raconte cet amour nostalgique et apaisé à l’aide de simple pâte à modeler. Il se met en scène en créant un personnage jaune et installe une  Jasmine bleue à ses côtés. Prenant vie, ces êtres incarnent une réalité, racontent l’Iran de la révolution, les femmes de ce pays, une autre culture et évoquent surtout une déchirure.

Sur les toits d’un Téhéran de polystyrène

Ainsi, bercés par les voix chaudes et profondes de Jean-Pierre Darroussin et Fanzaneh Ramzi, passeurs d’une écriture tout en subtilité, nous voici plongés dans une forme cinématographique bouleversante. A l’image de cette scène d’amour où les personnages et leurs couleurs s’entrelacent dans un jeu de couleur enivrant, ce film repousse sans cesse les limites. Celles d’un genre bien entendu mais aussi du regard sur l’autre.

Jasmine
Réalisateur : Alain Ughetto
Durée : 70′
Production : Les films du Tambour de Soie
Année de production : 2013
Distribution : Shellac Sud

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