Plus constat qu’analyse historique, cette partie se penche sur l’impact du numérique sur les pratiques de création, de diffusion et de lecture de la bande dessinée.
Tous auteurs ! Bienvenue dans la blogosphère !
La révolution numérique a ouvert la voie à de nouvelles possibilités de diffusion de la bande dessinée (et de ses critiques 😉 ). Phénomène le plus marquant (et typiquement français) du milieu des années 2000 : le blog BD.
Les blogs sont apparus dans les années 2000. A l’origine, ces sites web clefs en main sont conçus comme des journaux intimes. Faciles d’utilisation, ils permettent à n’importe qui de publier sur Internet textes, photos et dans notre cas… dessins ! Ainsi, plusieurs auteurs de BD ne tardent à s’approprier l’objet pour en faire une vitrine de leur travail.
L’un des premiers auteurs à obtenir la reconnaissance via cette plateforme est Boulet. Il lance bouletcorp.com en 2004. Auteur jeunesse déjà reconnu, il publie notamment dans le magazine « Tchô ! ». Rapidement, Boulet utilise ce blog comme une œuvre en tant que telle. Un laboratoire d’idées certes, mais toujours avec une qualité et un rythme de parution exemplaire depuis ses débuts. Tout en abordant des thèmes variés, Boulet s’est créé son propre personnage, un double numérique, assouvissant les petites folies de son auteur. Loin d’être nombriliste, ce qui est souvent le défaut des blogs BD, cet univers virtuel s’enrichit sans cesse et connaît un très grand succès (on parle de plus de 100 000 visiteurs par jour). En 2005, Boulet devient le premier parrain du festiblog, le festival des blogueurs BD. En 2008, le premier volume de Notes, recueil de ses histoires, est publié dans la collection Shampooing (dirigé par Lewis Trondheim) et est aussitôt nommé dans la sélection du Festival d’Angoulême.
L’autre auteur incontournable de la blogosphère BD est Pénélope Bagieu et son blog « Ma vie est tout à fait fascinante ». Ouvert en 2007, elle signe à l’époque Pénélope Jolicoeur et fait de son blog un journal intime humoristique d’une jeune parisienne branchée (mais parfois à côté de la plaque). Son blog est à l’origine de la vague « girly », souvent des clones de son style. Le livre éponyme est publié en 2008 par Jean-Claude Gawsewitch.
Depuis, de nombreuses publications papier ont été tirées de blogs avec de beaux succès pour certains d’entre eux (Margaux Mottin, Martin Vidberg, Maliki, Leslie Plée, Marion Montaigne). Cependant, malgré les succès, le genre peine encore à être reconnu (les adaptations papiers ont d’ailleurs baissé en 2014 selon le rapport de Gilles Ratier).
Création numérique : l’exemple des Autres Gens
Lancé en mars 2010, Les Autres Gens est un concept créée par le scénariste Thomas Cadène. A partir du scénario de ce dernier, plus de 100 dessinateurs se sont relayés pour signer chaque jour (du lundi au vendredi) un nouvel épisode des aventures de la jeune Mathilde, étudiante parisienne qui gagne par hasard, 30 millions d’Euros à la loterie.
Sans éditeur au départ, l’idée du projet était de montrer qu’une solution numérique payante sur le web était possible. L’abonnement était de 2,79 € par mois.
Construit comme un soap opera, il n’avait de fin prévu. L’histoire s’est terminée en 2012. Thomas Cadène est usé par le rythme mais retient le succès de sa démarche. Les Autres Gens ont été publiés dans des albums luxueux par les éditions Delcourt à partir de 2011.
Les Autres gens est un exemple réussi de développement d’offre numérique de qualité en parallèle des circuits officiels (« papier ») de la bande dessinée traditionnelle. Cependant, les réussites sont encore rares. On peut citer cependant Anne Frank au pays des mangas, une BD interactive (mais plus tournée vers la jeunesse) soutenue par la chaîne ARTE.
Des plateformes de diffusion
Accompagnant la vague numérique, des sites Internet ont proposé des espaces de diffusion du travail de jeunes auteurs. Système de partage, accès gratuit, diffusion sur Internet avec système de lecture, création de communautés virtuelles d’échanges de pratiques, ces sites ont souvent un succès rapide malgré une certaine instabilité (Manolosanctis qui était aussi devenu éditeur disparaît en 2011).
Si certaines plateformes reposent sur des communautés de graphistes (Café Salé, CFSL.net), d’autres sont exclusivement à destination des auteurs BD (30 jours de BD devenus Projets-bd.com en 2015, lapin.org qui est également éditeur de BD d’humour).
N’oublions pas enfin les plateformes de financement participatif tel que My Major Company (proposant aussi des financements autour de la BD) ou Ulule (Généraliste). Sandawe, spécialisé en bande dessinée, propose de soutenir certains titres avec un suivi éditorial par les équipes de l’éditeur et un mode « projets libres ». Si le titre reçoit suffisamment de financement, il est édité. Le risque de base est donc limité. En 2011, Maître Corbaque de Zidrou & E411 fut la première BD publiée via cette plateforme. Il reste toutefois la question de la qualité artistique de l’œuvre. Hors du filtre de l’édition (et donc d’un regard de spécialiste), ces propositions sont-elles viables sur le long terme ? La réussite critique de certains projets semblent plaider la cause de cette solution alternative.